La question de la taille ne cesse de préoccuper l’économie sociale et solidaire dans toutes ses composantes. La question est double selon qu’on l’aborde sous l’angle du rapport aux valeurs ou sous celui du rapport à l’activité. Sous l’angle des valeurs, l’accroissement de la taille est souvent perçu comme susceptible de menacer les pratiques coopératives, mutualistes et associatives. Il faut toutefois souligner qu’une taille insuffisante constitue également une menace. Combien de petites associations ou coopératives souffrent d’inanition démocratique ? Contrairement aux idées reçues, nombre de coopératives de consommateurs fondées au plus fort de l’effervescence créatrice de la fin du xixe siècle manquaient de ressources humaines pour animer, administrer, gérer leur organisation naissante. C’est toujours vrai aujourd’hui pour de nombreuses associations. Cependant, c’est plus fréquemment sous le second angle qu’est posée la question de la taille. Comme le souligne Henry Noguès dans sa mise en perspective du dossier présent, bâti à partir des contributions au colloque 2012 de l’Addes, la question est en réalité moins celle de la taille proprement dite que celle de la bonne taille
, c’est-à-dire une taille correspondant aux contraintes ou aux impératifs qui conditionnent la survie de l’entreprise en tant qu’organisation d’ESS : une coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma) n’a pas à faire face aux mêmes impératifs qu’une mutuelle de santé. Plus encore, si une taille trop modeste condamne aujourd’hui cette dernière, une taille trop importante peut condamner une Cuma. La question est souvent posée lorsque se présente la nécessité de croître. Mais, cette problématique diffère selon les raisons pour lesquelles croît une entreprise et selon les formes de cette croissance. Il faut à ce propos tordre le cou à une croyance trop répandue considérant qu’il existe une taille maximale au-delà de laquelle une entreprise ou une organisation ne pourrait plus vivre en accord avec les principes de l’ESS. Si c’était vrai, quelle serait cette limite ? 20 membres (la Scop moyenne), 2 000 membres (modèle de la communauté selon Robert Owen comme selon Charles Fourier) ou 2 millions (en deçà de nombreuses mutuelles) ? La question de la taille est indissociable de la nature du groupement de personnes, de l’activité de ce groupement et de sa dynamique. Qui se regroupe ? Des salariés, des usagers, des personnes morales ? Pour quoi faire ? Se soutenir réciproquement, mener une activité commerciale, rendre un service d’intérêt général ? Comment ? En s’appuyant sur ses membres bénévoles, sur une équipe salariée, sur un marché, sur des alliances, etc. ? C’est cette complexité que mettent en évidence les contributions à ce numéro 326.
Jean-François Draperi
A l’heure où nous mettons sous presse, nous apprenons le décès d’Aliette Levecque. Nos pensées vont à ses enfants et à ses proches. Nous rendrons plus amplement hommage dans le prochain numéro à notre amie, militante infatigable de l’économie sociale et membre émérite du comité de rédaction de la Recma depuis de longues années.