À la fin de cette année 2021, la Recma aura 100 ans.
La Recma a été fondée par Charles Gide et Bernard Lavergne. La notoriété de Charles Gide dans le monde universitaire permet de réunir la signature de 200 intellectuels à la sortie du premier numéro, dans lequel Gide publie pourtant un article très virulent – « un texte pamphlétaire », dit André Chomel 1 – expliquant « pourquoi les économistes n’aiment pas la coopération ».
Cet article permet de comprendre que la tonalité de la Revue des études coopératives (REC) est singulièrement différente, dès sa fondation, d’une revue académique. Elle publie certes des textes « classiques » sur les questions politiques, économiques et sociales, mais également des textes doctrinaux ou techniques sur la coopération, incompatibles avec la conception d’une revue scientifique classique. Cette spécificité de la REC tient à la façon dont se situent les chercheurs coopératifs vis-à-vis de leur objet d’étude. Ils sont tous très engagés dans le mouvement coopératif. Charles Gide est l’ancien président de l’Union coopérative (1885), première fédération des coopératives de consommateurs, cofondateur avec Jean Jaurès de la Fédération nationale des coopératives de consommateurs (FNCC, 1912) et inspirateur internationalement reconnu du mouvement coopératif.
La REC est ainsi directement reliée au mouvement coopératif, représenté par la FNCC pendant le premier demi-siècle de son existence, et n’aurait pu avoir la densité théorique et politique qu’elle a eue sans qu’existe un mouvement social qui ait eu l’ambition de changer le monde et se soit engagé en faveur de l’instauration d’une République coopérative. En 1921, c’est la puissance de ce mouvement animé par cette ambition qui justifie la création de la REC, comme elle fonde dans le même élan les Presses universitaires de France et les coopératives scolaires.
La revue se saborde en 1940, reparaît en 1945 sous la forme d’une publication commune avec L’Année politique et Res Publica. Ce n’est qu’en 1950 que renaît tout à fait la REC. À partir de cette date, ses centres d’intérêt s’élargissent à la coopération agricole et à la coopération de crédit, même si, sous la plume de son directeur Bernard Lavergne, les coopératives de consommateurs et les régies coopératives sont à l’honneur. Cependant, dès 1935, l’utopie de la République coopérative était ébranlée par la publication par Georges Fauquet de son ouvrage Le Secteur coopératif. Après la guerre, le rêve d’une République des consommateurs s’éloigne et laisse la place à une coopération considérée comme au service de l’intérêt général.
Lorsque en 1960 Henri Desroche fonde les Archives des sciences sociales, de la coopération et du développement (Asscod), il associe les chercheurs qui ne s’intéressent pas à la REC. De fait, durant les Trente Glorieuses, la revue est tournée vers les questions techniques et professionnelles qui mobilisent les coopérateurs. Inversement, Desroche ne parvient pas à intéresser les coopérateurs français, mais trouve un écho considérable dans les pays de l’hémisphère Sud accédant à l’indépendance. Cette dualité témoigne des premières difficultés à tenir les deux rênes du projet initial de la REC : être une revue qui s’adresse à un large public aussi bien universitaire que de praticiens. Cette difficulté s’exprime clairement lorsque, au début des années 1980, l’universitaire Serge Koulytchizky reprend la responsabilité éditoriale et entre en conflit avec l’administration de la revue, composée de représentants des mouvements. L’année suivante voit la faillite des coopératives de consommateurs.
La revue perd tout soutien et l’histoire aurait pu s’arrêter là.
Ouverture, indépendance et nouveaux défis
Mais la Revue des études coopératives renaît grâce aux implications de Jacques Moreau, président du Crédit coopératif, et d’André Chomel, ancien directeur financier de la même banque, qui en prend la direction pour dix ans. Chomel souligne que cette renaissance ne peut être durable qu’à deux conditions : d’une part la distinction nette entre l’administration et la rédaction pour garantir l’indépendance éditoriale ; d’autre part l’élargissement de l’objet de la REC. L’indépendance s’obtient par un équilibre des pouvoirs et par une forme d’institutionnalisation à travers un conseil d’orientation, un comité éditorial et un réseau de correspondants dans une vingtaine de pays. Et le champ s’élargit avec la transformation en 1984 de la REC en Recma, Revue des études coopératives, mutualistes et associatives, puis Revue internationale de l’économie sociale.
À la fin des années 1990, les défis n’en sont pas moins nombreux : il s’agit d’abord de restaurer la reconnaissance universitaire de la revue. La Recma est lue par des praticiens et ignorée du monde universitaire, à l’exception des quelques membres du comité de rédaction qui en sont issus. Ce pari suppose également d’ouvrir la revue à d’autres disciplines que l’économie, discipline de référence depuis sa fondation. Alors que les Asscod de Desroche ont cessé leurs publications en 1990, il s’agit également de s’ouvrir au niveau international. La Recma devait articuler la socio-économie des organisations coopératives de Claude Vienney et la sociologie du projet coopératif d’Henri Desroche qui s’exprimait dans les Asscod.
L’orientation universitaire de la revue et l’élargissement de son champ au-delà du mouvement coopératif éloignent cependant la Recma des mouvements qui la soutenaient auparavant sans réserve. Il y a un siècle, la REC servait un projet politique que n’a pas l’ESS, comme le souligne le Riuess dans l’introduction du dossier de ce numéro 359.
L’année qui commence, et qui met fin à mon activité de rédacteur en chef, s’annonce comme l’une de celles qui doivent redéfinir le projet de la Recma. Les innovations coopératives et associatives, les nouvelles formes d’éducation populaire, la renaissance élargie des communs, le renouveau des sciences ouvertes dans le sillon des open sources, peuvent constituer des cadres dans lesquels la recherche coopérative a toute sa place. La Recma organisera au cours de l’année 2021 des manifestations autour de ses 100 ans. Aussi ne peut-on que lui souhaiter, ainsi qu’à celles et à ceux qui la font et qui la lisent, une bonne année de centenaire.
Jean-François Draperi
(1) André Chomel, « Une histoire de la Recma. De l’école de Nîmes à l’économie sociale et à ses prolongements », Recma, n° 268, 1994