Après l’adoption à l’unanimité par la 110 e Conférence de l’Organisation internationale du Travail (1), de la Résolution et des conclusions sur le « travail décent et l’Économie Sociale et Solidaire » en juin 2022, suivi de celle de l’OCDE (2), et dans la perspective d’adoption par l’ONU en 2023, cultivons l’espoir de transformer cette définition universelle de l’ESS en une alternative toujours plus crédible, résiliente et visible afin de concrétiser une société plus juste et solidaire. Formons le vœu, pieux et sans doute utopique, d’œuvrer à l’émergence d’un mouvement international où l’ESS, par le débat d’idées et le partage d’expérimentations, fera face à l’accroissement sans précédent des inégalités sociales, économiques, culturelles, sanitaires, énergétiques, … Un monde au contexte géopolitique et climatique incertain.
Poursuivons le travail amorcé par Gide à l’essence même de la RECMA, celui d’une République coopérative. Le besoin de concevoir et penser une économie sociale et solidaire entre les différents continents et les pays, traduit sa richesse dans l’appropriation par les communautés de l’ESS. Comment répondre aux besoins, comment bifurquer dans la crise complète que nous vivons, renouveler nos cadres d’analyse et nos modes de vie ?
L’anthropocène et les inégalités rendent caduques le faire « as usual » et le prêt à penser. Inspirons-nous donc des expériences dans le monde ! Formons le projet que la RECMA poursuive cette ambition en étant actrice du débat d’idées et du partage d’expériences.
L’année 2022 a été pour la RECMA une année de transition. Elle a été riche en réorganisations qui se traduiront en 2023 par un nouveau site internet et de nouveaux modes de diffusion. L’année 2023 poursuit en effet le déploiement de son projet scientifique et partenarial à travers une ouverture aux idées et aux expériences. Ainsi, d’un point de vue éditorial, le numéro de janvier s’ouvre sur un dossier dédié aux Variétés des critiques en actes et espaces d’autonomie de l’économie sociale et solidaire en Amérique latine. Nous avons souhaité que Thomas Lamarche et Renaud Metereau, que nous remercions chaleureusement pour leur engagement et leur contribution en tant que coordonnateurs du dossier, proposent un dossier qui atteste de la vivacité des expériences et nous permette un regard réflexif sur nos propres pratiques. Comme le souligne si justement Robert Boyer « fondateur de la Théorie de la régulation » qui leur a accordé un entretien, l’ESS pèche encore à proposer une « analyse des processus conduisant à la reconnaissance politique de sa légitimité, et par conséquent de sa reconnaissance dans le droit et son institutionnalisation ». Son analyse conduit à suggérer que « l’ESS joue le rôle de soupape dans l’atténuation des contradictions du régime. Ce secteur n’est en rien menacé de disparition puisqu’il a la charge de maintenir un minimum de cohésion sociale ». Sa lecture sans concession via la théorie de la régulation, lui permet de souligner les atouts de l’ESS, à savoir « son pouvoir réparateur du lien social, d’étendre le projet démocratique à l’organisation de l’économie et de son régime socio-écono- mique solidariste tout en alertant sur ses faiblesses liées à sa fragmentation, son hétérogénéité voire les risques de récupération de son pouvoir d’innovation sociale ». Nous avions souligné l’intérêt de la constellation des unités de l’ESS mais cette hétérogénéité est effectivement également perçue comme celle d’une fragmentation conduisant à une dilution de son pourvoir transformateur. Comment dès lors relever le défi ? L’ESS peut-elle être le vecteur du changement social en réponse aux besoins des citoyens ? François Doligez et Patricia Toucas-Truyen avaient déjà signalé la richesse des expérimentations latino-américaines 3. En 2023, Thomas Lamarche et Renaud Metereau orientent le questionnement vers la « dimension critique de ces mobilisations collectives et des formes d’organisation des rapports sociaux de production qui en émergent ». Notre dossier composé de cinq articles présente les initiatives et les processus d’organisation et d’action collective dans quatre pays d’Amérique latine, rendant compte des mouvements latino-américains mais interrogeant ceux des autres continents dans leur pourvoir d’agir.
Notre numéro s’enrichit également de plusieurs temps forts qui illustrent le dynamisme de l’ESS en France comme à l’international. Ainsi Camille Dorival s’interroge sur l’âge de raison de « Les Journées de l’économie autrement » qui se tiennent annuellement à Dijon, ou Jérôme Saddier qui revient sur le Mois de l’ESS, célébré tous les mois de novembre dans « Est-il possible de conquérir le cœur des Français avec le Mois de l’ESS ? », et Eva Cantele nous relate la dixième édition des Rencontres du Mont-Blanc, rendez-vous mondial de l’ESS, tenues pour la première fois sur le continent américain, du 18 au 19 octobre 2022, au centre de convention de Carthagène des Indes, en Colombie. De même, l’activité scientifique a aussi été en effervescence telle que le rappelle Vera Vidal avec le troisième Forum des plateformes coopératives de la Coop des communs dédié aux « Plateformes en communs : quelles alliances pour quelles transitions ? », mais aussi Corinne Vercher-Chaptal, Philippe Eynaud et Clément Feger qui soulignent un des points forts du Colloque du Riodd « Quand les communs ouvrent des voies pour des transitons pérennes sur les territoires ? » ou encore Benjamin Roger qui revient sur les séminaires de l’ADDES avec celui sur « Les porosités de l’ESS dans le secteur sanitaire et social » discutées lors d’un séminaire de l’ADDES ». L’activité des jeunes est également encouragée par l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) à travers son prix de thèse qui a récompensé en 2022 Caroline Demeyère pour sa thèse « Gouvernance publique et collaboration gouvernements-associations dans l’action publique : approche ethnographique des dynamiques relationnelles dans le champ des politiques d’égalité entre les femmes et les hommes (1981-2020) » soutenue à l’Université de Paris Nanterre en Sciences de gestion.
Nous attirons enfin votre attention sur le nouvel appel à contribution dédié aux « Coopératives en temps de conflits » porté par Marie J. Bourchard et Eva Cantele et dont l’objectif est d’appréhender les rôles effectifs des coopératives, et, plus généralement les organisations de l’ESS, pour répondre aux besoins des communautés affectées par les conflits, les violences ou violations des droits humains et donc de participer à la consolidation de la paix dans un territoire (dead line au 30 juin 2023).
Enfin nous ne pourrions conclure cet édito de janvier, sans des remerciements chaleureux à l’équipe, aux partenaires et au comité éditorial de la RECMA pour leur engagement au service de nos lecteurs et de nos auteurs, un merci particulier à nos relecteurs qui opèrent à travers les évaluations à double aveugle des articles, un travail de l’ombre mais essentiel à la bonne tenue académique de notre revue.
Nous terminons l’année 2022 avec un bilan qui dénote de la bonne santé de notre revue, un nombre de soumissions en hausse et de nombreux projets qui écloront en 2023.
Merveilleuse et heureuse année à toutes et à tous, une année toujours plus coopérative et solidaire, accompagnée de belles lectures !
Maryline Filippi
Rédactrice en chef
(1) Cantele E., 2022, « Vers une reconnaissance internationale de l’ESS : retour sur la 110e Conférence Internationale du Travail », RECMA, n° 365, p. 9-12.
(2) Noya A., 2022, « La Recommandation de l’OCDE sur l’économie sociale et solidaire et l’innovation sociale : un standard international novateur pour préparer l’économie de demain ! », RECMA, n° 366, 10-13.
(3) Doligez F. et Toucas-Truyen P., 2015, L’ESS en Amérique Latine : de nouvelles pratiques, RECMA, introduction au dossier, n°337, 25-26.