La constellation de l’économie sociale et solidaire se compose d’un nombre illimité d’étoiles

Version imprimablePDF version

Au premier regard sur la composition de ce numéro, on peut se réjouir de l’équilibre qu’il représente en accord avec la ligne éditoriale : un article sur les associations, un sur les coopératives, un sur les mutuelles, et un sur l’économie sociale et solidaire. Les puristes qui contestent encore, avec des arguments sérieux, la pertinence de l’inclusion des fondations dans l’économie sociale et solidaire, salueront même leur absence, pourtant totalement fortuite comme l’illustre la présence d’un article à leur propos dans le précédent numéro.
Cette lecture nous semble réductrice. Cet équilibre ne vaut qu’au plan de la stricte conception statutaire : chaque famille aurait son article. Il ne s’agit pas de rejeter cette approche statutaire, mais il convient d’observer que celle-ci ne rend pas compte de la richesse de l’économie sociale et solidaire. L’approche statutaire est importante et elle se retrouve d’ailleurs dans la plupart des définitions, tant au plan national qu’international. Elle donne aisément à voir par l’exemple ce que recouvre l’économie sociale et solidaire et contribue donc grandement à l’établissement de ses frontières.

Pourtant, l’économie sociale et solidaire ne se réduit pas à ces statuts. Là encore, toutes les définitions qui en sont données l’intègrent par la référence, explicite ou implicite, à des principes ou des valeurs. L’économie sociale et solidaire est une constellation qui accueille des activités ou des organisations qu’il n’est pas toujours facile de systématiser : entreprises solidaires d’utilité sociale, commerce équitable, monnaies locales complémentaires, pôles territoriaux de coopération économique… De même, ce n’est pas la réitération inlassable des vertus des statuts révélées par une longue expérience qui fait l’intérêt de l’économie sociale et solidaire, c’est son aptitude à répondre aux questions les plus contemporaines, à faire face à la crise multidimensionnelle et aux besoins de la société. À cet égard, on se réjouira avec autant de force que, derrière les statuts, les articles de ce numéro se préoccupent d’écologie et de digitalisation, de la façon dont on peut quantifier le non marchand dans la comptabilité, ou tentent d’établir des ponts entre les expériences d’économie sociale et solidaire et l’analyse plus récente des communs. Et tout ceci n’est pas nouveau, il est seulement bon de le rappeler.

Compte tenu de l’importance de l’écologisation et de la digitalisation, il n’est pas surprenant ni ignoré que les coopératives s’y impliquent. À travers les coopératives viticoles d’Occitanie, l’article d’Éléonore Schnebelin, Jean-Marc Touzard, Pierre Labarthe, Isabelle Macaine, montre que cette implication consiste d’abord dans un rôle d’intermédiation de la coopérative, mais aussi que ces deux orientations ne sont pas sans incidence sur les relations des coopérateurs au sein de la coopérative, et avec celle-ci. On relèvera encore la confirmation de l’intuition que les entreprises d’économie sociale et solidaire sont confrontées dans leur choix aux mêmes dilemmes que les autres entreprises, et que digitalisation et écologisation ne vont pas nécessairement de pair.

Les crises récentes ont rappelé et redonné du lustre au bénévolat en même temps qu’elles ont pu le fragiliser. Et pourtant, dans notre société gouvernée par les nombres, pour reprendre les propos d’Alain Supiot, il peine à être durablement pris au sérieux. Lionel Prouteau examine, au besoin de manière critique, la méthodologie utilisée par le manuel de l’ONU de 2018 pour l’établissement d’un compte satellite du bénévolat afin de le compter et de le rendre visible. Il était important qu’une analyse soit menée sur les difficultés techniques auxquelles cette entreprise est confrontée et, plus fondamentalement, des questions ontologiques qu’elle soulève sur le phénomène qu’elle entend mesurer. À nouveau, il est frappant que la tentative d’ancrer l’économie sociale et solidaire dans un processus qui lui est étranger, fût-ce pour les meilleures intentions du monde, risque d’en saper les fondements. C’est peut-être l’indice le plus dramatique de ce que cette économie sociale et solidaire doit, pour survivre, assumer de constituer une alternative.

Elle partage sans conteste cette dimension alternative avec les communs et nombreux sont ceux qui approfondissent les proximités entre ces deux sphères de pensée et d’action. Sophie Audrain nous invite à le faire à propos des mutuelles. Le projet suscite des débats de principe parmi les historiens, dans la mesure où il consiste à utiliser un cadre conceptuel contemporain (les communs) pour rendre compte de réalités passées (les mutuelles du début du XIX e siècle), courant le risque de l’anachronisme ou, au moins, de négliger des spécificités du contexte historique. Le projet est toutefois tourné vers l’avenir puisque le détour par l’histoire est destiné à contribuer à repenser l’avenir de la mutualité inscrite dans les communs sociaux, face à l’urgence sociale, environnementale et démocratique.
De même, Adam Sofia et Douvitsa Ifigenia nous proposent une réflexion consacrée à l’économie sociale et solidaire dans ce numéro à partir d’une approche juridique. Or le constat qui se dégage de leur analyse ne surprendra pas : les quatre législations étudiées font apparaître à la fois des divergences de détail (y compris sur les contours de l’économie sociale et solidaire), mais avant tout une orientation commune, tant dans l’approche que dans les objectifs de la loi. C’est plutôt rassurant au regard de la recherche d’une définition universelle, mais les quatre législations étudiées sont européennes et des travaux comparables seraient bienvenus entre des systèmes juridiques plus éloignés.

L’ajout d’une contribution sur les coopératives sociales italiennes de Felice Scalvini et Enzo Pezzini, peut même s’analyser comme un clin d’œil aux entreprises sociales, sous la forme jugée la plus sympathique (n’oublions pas que ces coopératives sociales sont une des sources d’inspiration de nos SCIC) bien à la mode.
Les inter-relations de l’économie sociale et solidaire avec d’autres mouvements de pensée et d’action, d’autres disciplines, d’autres niveaux géographiques… transparaissent dans les autres rubriques de la revue. Il n’est pas utile d’en faire un recensement exhaustif, le lecteur profitera de cette diversité.

Les différentes notes de lecture invitent par ailleurs à la découverte de la constellation de l’ESS reconnue également à travers les Prix du livre sur l’ESS 2021 et 2022. Il convient en revanche de mettre en avant l’appel à communication lancé dans ce numéro, qui lui aussi nourrit la richesse de la constellation de l’économie sociale et solidaire, relatif aux territoires zéro chômeurs. L’intérêt de ce dossier ne tient pas spécifiquement au fait que toutes les entreprises impliquées dans ces projets sont impérativement des entreprises d’économie sociale et solidaire, leur nature statutaire ne figure même pas dans les axes proposés. Et ce n’est pas surprenant : malgré le nombre de SCOP dans le domaine du bâtiment, la RECMA ne risque pas de publier d’articles sur les difficultés spécifiques au secteur du bâtiment, simplement parce que ça ne présente pas d’originalité au regard de notre ligne éditoriale. Il en va tout différemment des territoires zéro chômeurs, qui eux aussi s’inspirent de conceptions socio-économiques radicalement alternatives et permettent d’en lancer les premières expériences. Nous espérons que les propositions d’article sur ce chantier nouveau seront nombreuses et originales,

Maryline Filippi et David Hiez

 

Nouvelle catégorie: