Dans la lettre aux lecteurs qu’il a rédigée le 1 er septembre 1921 et qui ouvre le premier numéro de notre revue, le petit groupe qui crée la Rec, qui allait devenir la Recma, se présente ainsi : « Les uns coopérateurs militants, les autres professeurs, unissant parfois ces deux qualités, nous avions librement formé dès avant la guerre un petit groupe d’amis qu’unissaient les mêmes tendances démocratiques et de communes habitudes scientifiques. [...] La revue que nous présentons au public est née de ce désir d’entraide intellectuelle, osons le dire, de cette obligation de conscience qui s’imposait à nous (1) . »
Ce numéro 360 montre qu’il est possible d’allier la rigueur scientifique et l’engagement, ces deux qualités fondatrices de l’identité de la Recma et qui ont assuré sa longévité.
Dans leur article titré « Financement public des associations et écart salarial entre hommes et femmes : nouvelles perspectives pour l’égalité professionnelle ? », Lionel Prouteau et Viviane Tchernonog mettent en évidence une diminution de l’écart de salaire hommes-femmes avec l’augmentation des financements publics. Les auteurs analysent ensuite cet écart en considérant, d’une part, les niveaux de qualification à partir des catégories socioprofessionnelles et, d’autre part, les secteurs d’activité, et explicitent différentes modalités de variation de l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Au-delà même de résultats très éclairants, la recherche montre la fertilité du terrain et de la démarche empruntée.
Élodie Ros, Lamia Bouadi et Carole Brunet étudient les « nouvelles formes d’ancrage de l’économie sociale et solidaire au sein des universités françaises ». Le fait est d’importance puisque, jusqu’au début de ce siècle, l’enseignement universitaire de l’ESS était réduit à l’extrême en France. Les auteures montrent en particulier le potentiel de cet essor en présentant le dispositif Coop’en 8, porté par le service commun universitaire d’information, d’orientation et d’insertion professionnelle (Scuio-IP) de l’université Paris-8, et dont l’une des spécificités est d’être « la première coopérative éphémère étudiante mise en œuvre au sein d’une faculté française ».
Yves Cariou nous offre une analyse inédite du désormais célèbre « quadrilatère de Desroche » appliqué à l’entreprise d’ESS. Henri Desroche l’écrivait : ce quadrilatère est « tendu » et doit être « animé ». S’appuyant sur un ensemble d’analyses d’associations, de Scop, de CAE et de Scic, Yves Cariou caractérise la créativité et le dynamisme que recèlent les tensions entre les différents projets et les diverses catégories de populations... ainsi que les conditions pour qu’elles ne deviennent pas des « dissonances ». L’un des intérêts majeurs de l’article vient de ce qu’il s’adresse aux praticiens, par l’usage qu’ils peuvent en faire, tout autant qu’aux théoriciens de l’ESS, par l’étude des pratiques coopératives qu’il dévoile.
L’article de Djaoudath Alidou sur les associations villageoises d’épargne et de crédit (Avec) montre la pertinence de ces petites caisses, dont on estime qu’elles permettent à cinq millions de femmes africaines de bénéficier de crédits sans faire appel à une banque. L’analyse du fonctionnement de l’une d’entre elles permet d’identifier les clés de la réussite. Parmi ces clés, « un certain nombre de principes. Il s’agit d’organisations autonomes et autogérées à cycle relativement court (neuf à douze mois). Elles sont indépendantes des banques sur le plan aussi bien financier qu’institutionnel. Elles sont composées de quinze à vingt-cinq membres auto-sélectionnés – un nombre suffisamment important pour une bonne réserve de capitaux et suffisamment restreint pour une bonne gestion des réunions ».
Quentin Chapus interroge le rôle de l’entrepreneuriat social au Maroc, en proposant de déplacer le débat théorique vers l’analyse des pratiques. Si les entrepreneurs sociaux marocains s’inspirent comme ailleurs de l’entreprise capitaliste, associée à l’image de la performance, le contexte – l’État, les associations, les coopératives et l’ESS – permet à l’auteur de proposer une interprétation nuancée du rôle de ces entrepreneurs dans la société : « Là où, ailleurs, certains considèrent l’entrepreneuriat social comme une menace, on pourrait tout aussi bien, ici, y voir une opportunité pour un secteur qui manque de visibilité et de moyens. »
André Descamp, dans « Le mouvement d’éducation populaire entre innovation sociale et innovation financière : l’exemple des fédérations de centres sociaux », montre précisément comment les centres sociaux « semblent pris en étau » entre les nouvelles formes de l’action publique et les modalités d’action, en particulier la concurrence. Il plaide en faveur de l’ouverture d’espaces réflexifs et collaboratifs afin de renouveler le projet et les formes d’action innovantes de l’éducation populaire.
Dans son article titré « L’exemple de la commission paritaire employeurs-salariés de la Confédération paysanne », Simon Cottin-Marx se penche sur la situation des salariés des petites associations en France, au nombre d’environ 190 000, qui sont très généralement isolés pour défendre leurs droits. De même que leur employeur est rarement formé et accompagné dans la gestion de conflits. C’est pour réduire le gâchis humain qui en résulte que la Confédération paysanne a instauré, dans le cadre de sa convention collective, une commission paritaire commune à une centaine de petites structures employeuses.
Revue scientifique et revue engagée, la REC-Recma n’a jamais cessé de l’être, en dépit d’une traversée de siècle qui fut tout sauf tranquille. Le numéro de juillet prochain sera consacré à l’histoire surprenante de notre revue. Nous espérons qu’il donnera au lecteur l’envie de découvrir d’anciens numéros 2 et qu’il contribuera à éclairer les pas des rédacteurs pour les années à venir.
Jean-François Draperi
(1) « Lettre à nos lecteurs », REC, n°1, 1921, p.1-2
(2) Accessibles en ligne sur le site de Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344272933/date1922.liste