Le rôle de l’Etat dans la structuration de l’économie sociale a toujours été l’objet de nombreux débats. Selon que l’on se situe dans la sphère associative, dans la tradition mutualiste ou dans la tradition coopérative, le rapport à l’Etat est certes différent. Mais dans l’ensemble, l’économie sociale se présente généralement comme issue de l’initiative et du droit privés et, simultanément, il est difficile de la comprendre sans la situer relativement à l’Etat. Constatant son importance, André Gueslin remarque à propos de ce lien : « Il s’agit d’une alliance temporaire conçue comme telle à la fois par les pouvoirs publics et par les bénéficiaires » (Gueslin A, L’invention de l’économie sociale, Economica, 1998, p. 411). Cette question est abordée dans le numéro 293 à partir de trois problématiques principales.
La première est celle de la reconnaissance publique des associations, sur laquelle nous nous sommes souvent penchés dans la Recma depuis les textes fondateurs de F. Bloch-Lainé. Cette reconnaissance franchit aujourd’hui une nouvelle étape avec la mise en oeuvre du compte satellite des institutions sans but lucratif, qui permettra, pour dire vite, de mesurer et de comparer le secteur associatif. Nous poursuivons notre exploration commencée dans le numéro 292, en publiant la première partie d’un article signé par Edith Archambault et Philippe Kaminsky, qui présente les enjeux généraux de ce compte satellite.
La seconde problématique est celle de l’entrepreneuriat social proprement dit, sur lequel nous nous étions déjà penchés dans notre numéro 288. L’intérêt commun des deux articles que nous publions aujourd’hui sur ce thème réside dans la mise en évidence de la diversité des entreprises sociales: Nathalie Schieb-Bienfait et Caroline Urbain déplacent le mode de questionnement à partir d’une étude menée sur le secteur des services aux personnes âgées, en montrant que, face à des parties prenantes aux intérêts différents, les entrepreneurs sociaux se doivent de construire des coordinations innovantes au sein de leurs organisations comme avec leurs environnements. Les chercheurs du groupe EMES de l’université de Liège livrent les résultats, extrêmement riches, d’une vaste enquête européenne sur les entreprises sociales d’insertion, résultats qui les amènent à établir des typologies d’entreprises sociales. L’un des traits marquants des entreprises sociales d’insertion n’en reste pas moins que, s’adressant à des populations défavorisées, elles rendent un service qui dépasse les besoins stricts de leurs membres et peut être rapproché ainsi du service d’intérêt général.
A partir d’un angle de vue opposé, Nadine Richez-Battesti et Patrick Gianfaldoni étudient le sens du soutien économique de l’Etat. Les auteurs se penchent sur les dispositifs associatifs d’appui à la création de très petites entreprises soutenus par les pouvoirs publics. Ils mettent en évidence une forme d’industrialisation des services qui se réalise sous la tutelle des pouvoirs publics.
La relation souvent intime de l’entrepreneuriat social avec l’Etat paraît loin des principes d’autonomie et d’indépendance mis en avant par la coopération et la mutualité. Mais Jean-Christophe Fichou montre que l’Etat joua un rôle déterminant dans l’émergence de la mutualité et de la coopération maritimes au tournant du XIXe et du XXe siècle.
Au-delà des spécificités associatives, coopératives et mutualistes, ces diverses formes d’interpénétrations entre l’économie sociale et l’Etat témoignent plutôt de la légitimité et de la capacité de l’économie sociale à définir et à représenter les différents besoins et les intérêts économiques multiples de la nation face à un Etat qui, en fonction de son intérêt du moment, tantôt la combat, tantôt l’ignore et tantôt la reconnaît et la soutient.
Jean-François Draperi