Par son projet éditorial - étudier et comprendre les pratiques de l'économie sociale -, la Recma est une revue transdisciplinaire. Cette transdisciplinarité a pu être considérée comme une faiblesse, dans la mesure où la Recma n'est ni une revue d'économie, ni une revue de droit, ni une revue de gestion, ni une revue d'histoire, ni une revue de sociologie, etc. Cette transdisciplinarité nous apparaît plutôt comme une force, à la condition toutefois que la Recma attache son contenu à l'actualité des pratiques de l'économie sociale et solidaire.
La transdisciplinarité constitue par nature une difficulté, pour les rédacteurs comme pour les lecteurs : la rédaction doit se tenir à la pointe des recherches non pas dans une seule discipline, mais dans toutes les disciplines des sciences économiques et sociales ; la rédaction doit également demander aux auteurs d'adapter leur écrit de telle sorte qu'il soit compréhensible à un public certes averti, mais non nécessairement spécialiste. Cela n'empêche pas de nombreux lecteurs de nous confier leur difficulté à « entrer » dans plusieurs articles de leur revue préférée. Il faut dire clairement une difficulté inhérente au caractère transdisciplinaire de la revue : écrits par les meilleurs spécialistes, les articles de la Recma ne peuvent pas tous être lus par chacun avec le même intérêt et la même intensité. S'adressant aux acteurs et aux chercheurs, la Recma publie des études qui éclairent d'une façon ou d'une autre les pratiques d'économie sociale et solidaire: le contrôle des filiales dans un groupe coopératif, la ristourne coopérative, la notion de proximité, la formation à l'économie sociale et solidaire, autant de sujets d'actualité.
L'ambition de la Recma est de fournir les outils intellectuels et techniques aux acteurs et aux chercheurs sur l'économie sociale et solidaire leur permettant d'analyser et de comprendre l'économie sociale d'hier, d'aujourd'hui et, si possible, d'éclairer les futurs possibles. Chacun peut y trouver, au fil des années, les articles de référence de son domaine de prédilection, que ce soit par exemple l'histoire mutualiste, la démographie des associations ou l'évolution de la coopération agricole. La Recma contribue à unifier ces domaines autour de problématiques communes: la participation des bénévoles, l'enseignement de l'économie sociale et solidaire, la filialisation, etc.
Ce numéro ne fait pas exception. Il présente des recherches juridiques, de sciences de gestion, d'économie, de sciences politiques et d'histoire qui questionnent l'économie sociale et proposent des pistes de réflexion et d'action. Gilles Caire attire notre attention sur l'évolution de la mutualité de santé dans le contexte de mise à mal de la Sécurité sociale. Sous cet angle, le Parcours de santé mutualiste constitue un essai de réintroduction d'une démarche d'économie sociale dans un secteur où s'accumulent les obstacles.
Prolongeant des réflexions déjà publiées dans nos pages par d’autres chercheurs, Laurent Gros suggère des pistes d’intervention aux groupes coopératifs possédant des filiales, en vue de fortifier l’unité des groupes autour des principes coopératifs.
Jean-Robert Alcaras, Patrick Gianfaldoni, Nadine Richez-Battesti montrent que la proximité revendiquée par les entreprises de l’économie sociale, ici les banques, revêt plusieurs dimensions : géographique, bien sûr, mais aussi culturelle, organisationnelle, institutionnelle, sociale et cognitive. Se dégage donc la possibilité de développer une théorie de la proximité qui pourrait servir le bien-fondé de l’entreprise d’économie sociale.
Danièle Demoustier et Scarlett Wilson-Courvoisier décrivent l’incroyable déficit de formations de l’économie sociale et solidaire dans l’histoire de la formation initiale française. Les auteures mettent en évidence la multiplication actuelle des formations et les nouveaux enjeux qu’elle suscite. La lecture de cet article peut être accompagnée de celle du dossier sur l’Université coopérative européenne (Recma, n° 306), qu’il faudrait poursuivre par la présentation des formations professionnelles continues en économie sociale.
La problématique de la fiscalité des coopératives en Allemagne illustre le divorce croissant que l’on peut constater actuellement entre l’application des principes coopératifs et l’évolution des normes fiscales et comptables internationales. Hans Münkner se penche plus spécifiquement ici sur la ristourne et sur les avantages liés au statut de sociétaire. Un article dont l’actualité et l’importance n’échapperont à aucun juriste, fiscaliste, comptable ou réviseur coopératif.
Martin Petitclerc revient sur un moment « historique » de la mutualité, celui où les mutuelles s’emparent des techniques assurancielles, au tournant du XIXe et du XXe siècle. A contre-courant des thèses communément admises, l’auteur dévoile la perte de lien social, quasi identitaire, dont s’est accompagnée cette transformation. A l’heure où les normalisations libérales tentent de s’imposer également sous couvert de la science, cette recherche résonne étonnamment.
Jean-François Draperi