Le rapport entre les coopératives – et plus largement, l’économie sociale et solidaire – et l’environnement paraît évident aux non-spécialistes, qui supposent fréquemment que l’ESS est nécessairement respectueuse de l’environnement. Comme l’écrivait Henri Desroche en 1976 à propos de la coopérative agricole, celle-ci, « de par sa nature même, forge des liens économiques, certes, mais qui demeurent entrelacés à des liens écologiques, parentaux, tribaux parfois, culturaux, culturels et même cultuels, toujours écologiques (Henri Desroche, Le Projet coopératif, Seuil, 1976, p.190-191.) ». Or, non seulement cette évidence est démentie par les faits, mais le rapport entre coopération et environnement n’est que rarement au cœur des réflexions coopératives. Il n’est sans doute aucune question essentielle qui ait été si peu abordée par les coopératives et leurs chercheurs. Si nous soulignons ce trait aujourd’hui, c’est précisément parce que ces dernières années témoignent d’un changement important : des expériences comme des recherches relient désormais coopération et environnement et suscitent des innovations remarquables, dont certaines sont présentées dans ce numéro 347 de la Recma.
La première raison expliquant le découplage entre coopération et environnement est d’ordre historique : les coopératives constituent un mouvement presque bicentenaire, alors que le combat pour la planète est récent. Les coopératives ont bâti au fil du temps des édifices juridiques, des fédérations nationales, une organisation internationale, une doctrine, etc. qui constituent un cadre d’action et une tradition de pensée à part entière. Même si, comme l’affirme Desroche, elles entretiennent effectivement un rapport plus intime avec les territoires que ne le font les sociétés de capitaux, elles ne se sont ouvertes que récemment à l’écologie. En effet les principes coopératifs convergent pour préciser de quelle façon les coopératives sont au service des personnes, et plus précisément de leurs membres. Ce qui signifie qu’elles n’affirment pas être au service de l’humanité, même si elles le sont souvent également. Les membres s’engagent volontairement dans la coopérative (1er principe), partagent égalitairement le pouvoir (2 e principe), participent à l’activité économique (3 e principe), laquelle est autonome et indépendante (4 e principe), s’éduquent, se forment et s’informent (5 e principe), pratiquent l’inter-coopération (6 e principe) ets’engagent envers la communauté en contribuant à un développement durable (7 eprincipe). L’attention à l’environnement apparaît dans ce dernier principe, mais il s’y trouve presque incidemment, puisque l’engagement envers la communauté était initialement précisé pour affirmer que les coopératives n’agissent pas uniquement au service de leurs propres membres, ce que les six premiers principes pouvaient en effet laisser penser.
Si le mouvement coopératif n’a qu’à peine intégré la dimension environnementale, c’est parce que celle-ci ne s’imposait pas au moment où les principes ont été établis pour la première fois, c’est-à-dire à Rochdale (Royaume-Uni) en 1844. Les principes de l’Alliance coopérative internationale (ACI) émanent en effet des débats renouvelés autour des principes de Rochdale : en 1895, lors de la création de l’ACI ; entre le congrès de Vienne (1930) et le congrès de Paris (1937) ; entre 1963 (congrès de Bournemouth) et 1966 (congrès de Vienne) ; en 1995, à Manchester. La révision actuelle constitue ainsi la 5 e grande discussion des principes de Rochdale.
Le 7 e principe affirme : « Engagement envers la communauté. Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d’orientations approuvées par leurs membres. » Cet intitulé traduit la tension que connaissent de nombreuses coopératives entre valeurs fondatrices et réalités économiques. Il pose, d’une part, le principe proprement dit « Engagement envers la communauté » et, d’autre part, les conditions de son expression, qui dépendent des coopérateurs eux-mêmes. Tension inévitable qui ne connaît aucun arbitrage en dehors des cadres juridiques nationaux, qui, sauf erreur ou exception, n’incluent pas de clause environnementale.
Un renouveau coopératif
Tendue vers des objectifs de croissance, animée par une concurrence exacerbée, mesurée à partir de critères économiques et financiers, l’économie mondiale ne parvient toujours pas à réduire son impact environnemental global. Les coopératives connaissent des degrés d’intégration très divers dans cette économie et cette concurrence, et n’ont pas toutes la même aptitude à intégrer la dimension environnementale. On ne peut pas appréhender le rapport entre une coopérative et l’environnement sans considérer l’activité, la taille et l’intégration de la première dans l’économie mondiale. La situation économique de grandes coopératives du secteur agroalimentaire, en particulier, est bien différente de celle des petites coopératives de travail, agricoles ou artisanales ancrées dans leur territoire d’origine, pour lesquelles le respect de l’environnement peut fréquemment aller de soi.
Nous savons par ailleurs que les dommages environnementaux sont dramatiques pour l’être humain : qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de la pollution des sols, de l’air, de l’eau douce et des océans ; de la disparition ou de la raréfaction d’espèces animales et végétales... bref, des impacts sur le vivant, les atteintes à l’environnement mettent en péril non seulement l’économie, mais, plus fondamentalement,la santé des hommes et des femmes et sans doute, à terme, leur survie. De ce fait, des coopératives qui porteraient gravement atteinte à l’environnement n’iraient-elles pas à l’encontre du projet coopératif lui-même ? Dans l’affirmative, l’engagement pour l’environnement deviendrait, en ce début de xxi e siècle, non seulement un enjeu coopératif majeur, mais une condition de la réalisation du projet coopératif.
Jean-François Draperi