Le rythme du changement politique semble s’accélérer en cette fin d’année 2010 : les propositions des gouvernements de nombreux pays relatives à la santé, à l’action sociale, aux retraites, à l’enseignement public, à la culture, à l’intérêt général et à la fonction publique dans son ensemble témoignent de l’importance de la mutation en cours. La rubrique « Actualités » de ce numéro 318, particulièrement nourrie, montre comment cette mutation touche, par diverses voies, l’économie sociale et solidaire. Quelques faits tranchent par leur importance : la définition des services d’intérêt général, le rôle essentiel des collectivités territoriales, la mise en oeuvre de partenariats entre structures d’économie sociale et solidaire, la mise en concurrence croissante des activités économiques, l’évolution des formes et des sources de financement, la mise en place d’un discours nouveau sur l’entreprise et l’entrepreneuriat…
Accompagnant, de façon conjointe ou parallèle, la mutation sociopolitique, les entreprises d’économie sociale constituent un lieu d’innovations majeur et, partant, un objet d’observation privilégié. Leur analyse approfondie permet d’accéder à une autre lecture de la réalité et de saisir les enjeux essentiels de la mutation contemporaine.
Ce numéro invite donc le lecteur à prendre un peu de distance à partir de cinq études qui témoignent de la profondeur et de la diversité des évolutions de l’ESS.
Béatrice Chauvin, Ariel Mendez et Nadine Richez-Battesti décrivent la transformation de la Nouvelle Economie fraternelle (Nef), coopérative de finance solidaire française, en banque européenne. Un intérêt majeur de cette transformation est qu’elle institue ainsi une sorte de chaînon manquant entre les banques coopératives historiques et le crédit solidaire contemporain.
Sous un tout autre prisme, l’argent et l’épargne sont également au centre de l’article de Fanny Gérome, qui fait une analyse comparative du comportement des donateurs et des stratégies de collecte en France et au Royaume-Uni. Elle rétablit d’abord une vérité ignorée : les associations françaises ne sont pas moins importantes que les charities britanniques. Sont présentées de façon très précise les relations entre financements publics et financements privés et la transformation de la générosité en marché, qui suscite marketing et création d’outils spécifiques à la collecte de dons.
L’article de María Inés Fernández Alvarez porte sur la récupération d’entreprises en faillite par les salariés et leur conversion en coopératives de travail en Argentine. L’auteure décrit la dynamique militante du mouvement au début des années 2000, puis son encadrement juridique, avant de se pencher sur quelques cas remarquables. Elle montre que l’un des ressorts majeurs du mouvement est la dignité au travail, concept plus large et fondamental que la récupération. Il faut la coopérative pour envisager d’accéder à cette dignité, à condition toutefois d’inventer des pratiques nouvelles permettant d’éviter le recours, toujours possible, aux normes des organisations classiques.
Peter Gurney nous livre un article remarquable sur le mouvement coopératif britannique après la Seconde Guerre mondiale. « Enfin ! » s’exclameront celles et ceux qui furent témoins et acteurs de la grande épopée des coopératives de consommateurs. La Recma tient à saluer et à remercier Peter Gurney de lui avoir livré une contribution majeure sur un mouvement majeur et malheureusement relativement peu étudié, en Grande-Bretagne comme en France. L’auteur montre toute l’actualité des questions qu’ont posées les coopératives de consommation britanniques et des débats politiques qu’elles ont suscités. Les relations entre le Parti travailliste et le mouvement coopératif ici étudiées questionnent, sous les angles stratégique et théorique, la notion de besoin : un point d’actualité évidemment essentiel pour une économie sociale et solidaire qui se définit elle-même comme une réponse aux besoins non ou mal satisfaits.
Sylvain Pattieu présente les résultats d’une recherche sur l’histoire de l’association Tourisme et Travail. Valant comme témoignage de l’évolution du tourisme associatif, ce travail suit pas à pas la professionnalisation et la crise d’une association directement liée au syndicalisme. L’auteur montre de façon très claire que l’action syndicale et l’animation associative au service d’un objet social digne du plus grand intérêt ne suffissent pas pour affronter les questions vitales de la professionnalisation et de la survie économique.
Autant d’évolutions et de transformations contradictoires qui témoignent que, si aucune entreprise collective n’est définitivement établie, aucune nouvelle initiative n’est durablement impossible. Saluons à ce propos la sortie du onzième et dernier volume de la réédition de l’oeuvre de Charles Gide* sous le titre Solidarité… où l’on découvre la surprenante actualité des derniers écrits du cofondateur de la Recma.
Jean-François Draperi