Séminaire sur l’histoire de l’ESS au Cedias-Musée social
Actu
Agenda
Base Doc
Toute la Recma
- 2010
- 2019
- 2018
- 2017
- 2016
- 2015
- 2014
- 2013
- 2012
- 2011
- 2010
- 2000
- 2009
- 2008
- 2007
- 2006
- 2005
- 2004
- 2003
- 2002
- 2001
- 2000
- 1990
- 1999
- 1998
- 1997
- 1996
- 1995
- 1994
- 1993
- 1992
- 1991
- 1990
- 1980
- 1989
- 1988
- 1987
- 1986
- 1985
- 1984
- 1983
- 1982
- 1981
- 1980
- 1970
- 1979
- 1978
- 1977
- 1976
- 1975
- 1974
- 1973
- 1972
- 1971
- 1970
- 1960
- 1969
- 1968
- 1967
- 1966
- 1965
- 1964
- 1963
- 1962
- 1961
- 1960
- 1950
- 1959
- 1958
- 1957
- 1956
- 1955
- 1954
- 1953
- 1952
- 1951
- 1950
- 1940
- 1949
- 1948
- 1947
- 1946
- 1945
- 1944
- 1943
- 1942
- 1941
- 1940
- 1930
- 1939
- 1938
- 1937
- 1936
- 1935
- 1934
- 1933
- 1932
- 1931
- 1930
- 1920
- 1929
- 1928
- 1927
- 1926
- 1925
- 1924
- 1923
- 1922
- 1921
- 1920
Dans la continuité du colloque international sur l’histoire de l’ESS qui s’est tenu en 2020, les historiens Olivier Chaïbi, Timothée Duverger et Patricia Toucas-Truyen ont organisé avec le Cedias-Musée social un séminaire visant à faire un état des lieux de la recherche et de l’histoire de l’économie sociale en Europe. Cette présentation rend compte des trois premières séances sur la Belgique, le Canada et la Grande-Bretagne.
La première séance s’est tenue le 14 octobre 2021, avec la présentation de l’ESS en Belgique par Luc Peiren, chercheur à l’AMSAB (Gand). Après avoir rappelé la dureté des conditions ouvrières au XIX e siècle, celui-ci a évoqué l’émergence des mutuelles et des coopératives de consommation, entre paternalisme social-chrétien et mouvements révolutionnaires.
L’économie sociale belge se caractérise au tournant du XX e siècle par l’important mouvement du Vooruit à Gand autour de ses coopératives et de sa Maison du Peuple étroitement liées au parti socialiste belge. L’histoire de cette période est particulièrement documentée par la monumentale histoire de Louis Bertrand, cofondateur du parti ouvrier et de la Maison du Peuple, avec César de Paepe, coopérateur de la première Association Internationale des Travailleurs, et le parlementaire socialiste gantois Édouard Anseele. Administrateur de mutuelles, membre de l’ACI et de la Banque du Travail, Louis Bertrand est davantage un propagandiste ou vulgarisateur qu’un théoricien et un historien. D’autres militants écrivent également sur le mouvement dans le but de le mettre en valeur.
Cette époque constitue néanmoins l’âge d’or du coopérativisme belge. Les coopératives de consommation, qu’elles soient de tendance communiste ou chrétienne, jouent un rôle dans la modernisation de la consommation en Belgique avant de connaître une crise à partir des années 1970.
Il faut attendre l’après-guerre pour trouver une écriture moins militante et plus distanciée sur le mouvement, qui est alors en déclin. Le premier intérêt académique pour le mouvement coopératif se manifeste lors du centenaire de l’AIT en 1964. La vision unanime et homogène de la classe ouvrière s’efface avec l’évocation d’une aristocratie ouvrière en lien avec la petite bourgeoisie. Les travaux des années 1980 témoignent d’un grand intérêt pour les maisons du peuple et leurs liens avec les coopératives. En 1991, la revue belge d’histoire contemporaine publie un double numéro sur les coopératives, avec une historiographie globale du mouvement. Depuis cette date, les recherches se poursuivent avec quelques différences entre les Flandres et la Wallonie.
La seconde séance s’est tenue le 9 décembre. L’exposé de Martin Petitclerc, professeur à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et directeur du Centre d’histoire des régulations sociales, s’est appuyé sur les quatre grandes configurations qu’il a identifiées avec Benoît Lévesque dans leurs travaux d’une histoire longue de l’économie sociale. Ces configurations sont liées à la difficulté de dégager des logiques propres à l’économie sociale en raison de la diversité de ses mouvements et organismes, qui sont néanmoins en lien avec les évolutions économiques et sociales du pays.
La première configuration de l’économie sociale est celle relative à la transition vers le capitalisme (1840-1880). Il s’agit de l’époque des réformes agraires, avec le développement du droit privé qui consacre le passage du système ancien et colonial au régime « moderne ». Beaucoup de paysans se retrouvent alors sans terre et dans la nécessité de trouver un salaire. Dans ce contexte propice au paupérisme se mettent en place plusieurs initiatives privées de notables en faveur des populations en difficulté. Ces sociétés contribuent à l’essor des coopératives laitières. Le mouvement s’accompagne du développe-ment d’associations coloniales au détriment des peuples autochtones. L’époque est également marquée par la création des premières mutuelles d’incendies, des cercles agricoles, de société de secours mutuels, d’associations culturelles et d’éducation. À cette période, Étienne Parent développe, en lien avec le catholicisme social et paternaliste de Le Play, une première réflexion sur l’économie sociale au Québec. Une vision plus socialiste émerge avec Médéric Lanctôt, qui prône la liberté, l’égalité et la fraternité par l’association du travail et du capital.
La seconde configuration est celle de l’économie sociale et du capitalisme industriel (1880-1940). L’unification des marchés au niveau national contribue à une unification de l’économie sociale à travers la création de fédérations. C’est durant cette période qu’Alphonse Desjardins crée les réseaux de caisses d’épargne avec le soutien des associations catholiques pour faire face au manque de numéraire dans le monde du travail. Jules Helbronner publie le premier rapport sur l’économie sociale en 1890. En 1904, le programme du parti ouvrier de Montréal appelle à « améliorer le système d’économie politique actuel par une politique d’économie sociale et coopérative conforme à l’intérêt général et au bien de tout le pays ». Mais dans les années 1930, des tendances nationalistes et conservatrices traversent le mouvement de l’économie sociale.
La troisième configuration est celle de l’économie sociale et du capitalisme fordiste (1940-1970). La période est marquée par la mise en place d’une législation sociale fédérale sur l’assurance chômage (1940), les allocations familiales (1944) et la sécurité vieillesse (1951). La législation canadienne influence l’économie sociale au Québec dans les années 1960. Les coopératives financières, les mutuelles et les coopératives agroalimentaires, en plein essor, entraînent les autres secteurs coopératifs. Dans le domaine de la santé, les coopératives sont néanmoins en tension entre les partisans d’une intégration étatiste et la tendance autogestionnaire, ce qui contribue à la fragilité du mouvement à partir des années 1970.
La quatrième configuration est celle de l’économie sociale et du défi d’une sortie de crise depuis les années 1970. Si la critique du capitalisme de l’époque est favorable à l’économie sociale, le mouvement syndical se montre sur la défensive face aux tendances autogestionnaires. État et syndicats se retrouvent dans la mise en œuvre d’un fonds de solidarité des travailleurs et travailleuses. En revanche, on observe une présence accrue des femmes et des minorités dans les instances de l’économie sociale. Les services à la population se développent (garderies, associations d’éducation populaireou de défense des droits), les faillites de grandes coopératives se multiplient.
L’ES bénéficie d’une nouvelle reconnaissance dans les années 1990 à travers le mouvement altermondialiste. Un chantier de l’économie sociale est lancé en 1999 pour former un « modèle de développement basé sur des valeurs de solidarité, d’équité et de transparence ».
Une loi-cadre sur l’économie sociale est adoptée en 2013 et le premier portrait statistique est publié en 2019. Cette institutionnalisation représente néanmoins un danger pour l’autonomie propre à l’économie sociale. M. Petitclerc a conclu en soulignant le désintérêt des historiens pour l’économie sociale. Il estime que la fragilité des expériences de l’économie sociale contribue à ce regard négatif et partiel sur le secteur et aux travaux trop centrés sur ses spécificités institutionnelles.
La séance du 3 février 2022 consacrée au Royaume-Uni a été animée par Anthony Webster, professeur à l’université de Northumbria, et François Deblangy, doctorant à l’Université de Rouen.
L’économie sociale britannique est actuellement marquée par le déclin des coopératives et un engouement pour les entreprises sociales, dont le nombre est passé de 68 000 à 471 000 entre 2012 et 2017. Pour expliquer cette tendance, Anthony Webster est revenu sur les origines de l’économie sociale britannique. Si les activités caritatives s’inscrivent dans une longue tradition, l’industrialisation et l’urbanisation au XIX e siècle ont fait apparaître des problèmes nécessitant de nouvelles solutions comme celles du « self collective help » et des « hull anti-mill and friendly societies ». Mais la référence incontournable en termes de coopération reste la coopérative des pionniers de Rochdale (1844) qui a servi de modèle au mouvement des coopératives de consommation. On dénombrait 11 millions de membres à leur apogée dans les années 1950. Depuis, le mouvement n’a cessé de décliner, tant par le nombre que dans les consciences.
Webster propose plusieurs facteurs d’explication à cette tendance. Tout d’abord, il pointe l’hégémonie constante de la coopération de consommation, qui a rendu le secteur dépendant de productions qui ne sont pas nécessairement liées à l’économie sociale. Il souligne ensuite les difficultés politiques entre l’économie sociale et les partis politiques, que ce soit avec les conservateurs ou les travaillistes. L’émergence à partir de Tony Blair de la « social enterprise » témoigne de l’image négative associée à la coopérative ou à la mutuelle, et de la volonté de promouvoir une notion jugée plus neutre politiquement. À cela s’ajoutent les faillites exacerbées par la crise financière de 2013.
Concernant l’historiographie sur la coopération britannique, François Deblangy a présenté la figure incontournable de George J. Holyoake (1817-1906), militant coopératif lui-même et auteur de la magistrale History of Co-operation entre 1875 et 1879. Comme dans la plupart des espaces étudiés, les premières histoires de la coopération en Grande-Bretagne sont l’œuvre d’acteurs ou de militants comme Beatrice Potter (Webb) (1858-1943), connue pour son engagement socialiste avec son mari Sidney Webb. Ils se placent dans la succession d’un mouvement entamé par les chartistes et les Rochdaliens, dans lequel se sont unis des sécularistes comme Holyoake ou des socialistes chrétiens comme Edward V. Neale.
Après avoir prospéré entre les deux guerres, le mouvement est divisé après la Seconde Guerre mondiale sur la question du socialisme. Les travaux d’Arnold Bonner proposent un lien entre la planification économique et le mouvement coopératif, et ceux de Jack Bailey portent sur les liens entre le mouvement coopératif et le « socialisme moderne ». Le mouvement coopératif dans le monde britannique offre alors déjà une histoire séculaire investie par George D. H. Cole (1889-1959).
Dans les années 1970, on assiste à un renouveau coopératif et un engouement académique. La fondation d’une Open University en 1969 et du Co-operative Research Unit en 1978 témoignent de ce dynamisme visible dans des revues comme EID Economic & Industrial Democracy. L’historien Ken Coates (1930-2010) inscrit l’histoire coopérative dans une notion plus large de « démocratie industrielle ». À ce stade, l’étude comparative des trois pays fait ressortir de nombreuses convergences dans l’historiographie de l’économie sociale : une histoire écrite par ses militantes et militants dès la fin du XIX e siècle et qui s’institutionnalise à partir du milieu du XX e siècle. Après un nouvel engouement dans les années 1970-1980 en lien avec les aspirations à un nouveau socialisme démocratique, le mouvement s’essouffle au tournant du siècle, même si quelques réseaux spécialisés se développent. Sur le plan historique, les mouvements de l’économie sociale s’incarnent surtout dans la coopération, surtout celle de consommation, dont le dynamisme contraste avec la faiblesse de la production.
Dans les trois espaces étudiés, la coopération de consommation s’étend de la fin du XIX e aux années 1950-60, avant de connaître un essoufflement et des crises. Les divergences entre les espaces apparaissent en fonction des traditions étatistes des pays qui, selon leurs institutions et le plurilinguisme, facilitent plus ou moins la constitution de fédérations nationales. Le positionnement par rapport à la religion, mais aussi les stratégies des partis socialistes ou des syndicats diffèrent d’un pays à l’autre. De même, le secteur agricole est plus représenté dans l’économie sociale de pays à longue tradition paysanne que dans les pays plus industrialisés comme la Grande-Bretagne. Mais quelles que soient les traditions historiques de l’économie sociale dans l’ensemble des pays, les évolutions historiques sur le long terme restent similaires.
La connaissance historique étant un préalable indispensable à la compréhension des mouvements actuels, tous ceux qui s’intéressent à l’économie sociale hors de France pourront visionner ces séances avec profit sur le site du Cedias : http://www.cedias.org (portail ESS).
Olivier Chaïbi, Enseignant à l’ESPE-Upec (École supérieure du professorat et de l’éducation-Université Paris-Est Créteil) et chercheur à l’Idhes-Évry (Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société). olivier.chaibi@u-pec.fr
Mots clés
Thèmes
Sur le même thème
- Vers un concept unitaire du secteur coopératif
- Quelle histoire pour nos coopératives? L’exemple des coopératives de Savoie
- Le PTCE comme forme spécifique de polarisation: quels principes novateurs de structuration et de gouvernance?
- De la démocratie de l’atelier à l’atelier démocratique: une esquisse historique de la coopération de production en Grande-Bretagne
- Former des cadres dans un contexte de pauvreté: étude d’une formation universitaire en économie sociale au Burkina Faso