Manifeste pour une conception communiste de l’économie sociale et solidaire
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Collectif, Éditions de L’Humanité, 2020, 197 pages
La commission ESS du Parti communiste français a mené deux journées de réflexion, fin 2019 et début 2020, dont l’ouvrage ici présenté est le résultat. Il a été rédigé par de multiples auteurs, avec des relectures croisées qui lui donnent un caractère collectif – du moins aucune partie du livre n’est-elle signée par un auteur individuel. La liste des contributeurs fait apparaître une certaine hétérogénéité mais aussi richesse, mêlant principalement militants (communistes ou non) et chercheurs en ESS (communistes ou non). Le livre est assez court (moins de 200 pages), ce qui correspond parfaitement à son objectif de vulgarisation. Il est structuré en cinq chapitres : « Qu’est-ce que l’ESS ? » ; « Du communisme déjà là dans l’ESS aujourd’hui » ; « Les obstacles à dépasser ou à combattre » ; « ESS, services publics, entreprises : coopération modèle et/ou amorce ? Quelles formes de démocratisation ? » ; « Propositions à court et moyen terme pour construire des alternatives solidaires, féministes, citoyennes, et écologistes ».
À suivre l’objectif affiché dans l’introduction, il s’agit presque d’un document interne, doctrinal, qui n’appelle pas à un large lectorat : « Ce manifeste a pour but de dégager une conception communiste de l’ESS alliant des propositions de court et de moyen terme pour le développement d’un communisme déjà là ». Il nous semble que le livre va au-delà de ce point d’étape pour le PCF. Il constitue probablement pour les militants communistes une présentation de l’ESS et des raisons de s’y intéresser, tout comme il est pour ceux qui s’intéressent à l’ESS une porte ouverte sur les connexions possibles entre valeurs de l’ESS et valeurs communistes, et donc sur les jonctions possibles entre acteurs de l’ESS et militants communistes. Comme bien souvent, nous trouvons dans ce livre des éléments qui nous ont plu et d’autres moins, ainsi que des éléments plus neutres.
Parmi ce qui plait le moins, se trouvent des images d’Épinal : dans la Scop Acome, avec ses deux mille collaborateurs à travers le monde, la solidarité se traduit par la qualité de vie au travail. Dans cette très grande entreprise industrielle, le PDG explique que, depuis des années, il n’a connu qu’une démission : celle du médecin du travail... qui s’ennuyait. Si on ajoute à cela la désignation des grosses coopératives bancaires comme des « banques dites coopératives » qui auraient perdu leurs valeurs, et la mise en avant systématique des coopératives ouvrières reprenant une entreprise en difficulté comme modèle de l’entrepreneuriat coopératif, on se retrouve face à un tableau manichéen. On peut évidemment questionner certaines pratiques peu heureuses, mais il n’est pas sûr que les coopératives ouvrières soient prémunies contre elles. Le même reproche peut être fait à la notion un peu méprisante d’« association lucrative sans but ».
L’ouvrage peut également susciter un désaccord sur la présentation des obstacles que l’ESS a à combattre. Les auteurs affirment : « Les supports, actifs ou passifs, du capitalisme néolibéral ont bien compris que les valeurs de l’ESS sont des amorces de chemin vers son dépassement. Ils s’évertuent donc à en empêcher le plein développement et à accumuler les obstacles à leur mise en pratique ». Nous ne doutons pas que capitalisme et ESS reposent sur des valeurs opposées, et que les institutions capitalistes défendent les leurs ; nous sommes moins convaincus qu’il existe une lutte orchestrée contre l’ESS, ce qui n’exclut pas des frictions de-ci de-là. À tort ou à raison, il nous semble que les institutions capitalistes se sentent encore assez fortes et que, si tant est qu’il y ait une stratégie, elle est plutôt d’utiliser l’ESS comme cheval de Troie pour la pénétration de nouveaux marchés.
A l’opposé, ce que nous avons apprécié dans cet ouvrage est l’affirmation sans ambiguïté du soutien communiste à l’ESS. Il n’en a pas toujours été ainsi, et même les syndicats ont le plus souvent boudé cette voie d’émancipation. Nul doute que le PCF n’est pas univoque sur ce point, mais c’est tout de même une parole forte qui en émane et qui ouvre la voie à des rapprochements d’acteurs dont on ne peut que se féliciter. On relèvera aussi l’importance accordée à l’imaginaire. Le capitalisme a imposé un imaginaire qu’il convient de mettre en évidence si on veut prendre la mesure de son emprise sur nos pensées et nos actes. À ce titre, l’opposition entre les deux stimuli de l’action que sont la peur et l’amour est tout à fait intéressante. La peur et la contrainte qui s’y rattache renvoient aux qualitésdu professionnel, sérieux, qui s’investit en contrepartie d’une rémunération. Inversement, l’amateur est celui qui s’investit par amour, animé par la volonté de bien faire. Le capitalisme serait parvenu à inverser les deux moteurs de l’action en favorisant le professionnel par rapport à l’amateur, considéré comme dépourvu des qualités propres au professionnalisme.
Au titre des propositions intéressantes de l’ouvrage, dont beaucoup s’appuient sur une approche sectorielle, on relèvera l’insistance sur la question comptable, qui avait déjà été mise en avant comme obstacle à dépasser. Ceci nous semble particulièrement heureux, dans la mesure où la façon de compter, qui peut apparaître d’une technicité neutre, est en réalité particulièrement pernicieuse car porteuse de choix politiques implicites.
Enfin, parmi les éléments accueillis avec neutralité, se trouve la place respective des différentes structures juridiques de l’ESS, qui correspondent aussi à des cultures et des histoires différentes. Certes, elles sont toutes envisagées, avec une moindre attention aux fondations, dont l’insertion dans l’ESS est questionnée. Il nous semble toutefois qu’une place plus importante est accordée aux coopératives, à rebours de leur poids économique comparé à celui des associations. Celles-ci sont davantage envisagées sous l’angle des difficultés auxquelles elles font face, parmi lesquelles le désengagement de l’État et l’incorporation croissante de logiques marchandes qui fragilisent les associations, notamment du fait des pratiques instrumentales et quantitatives imposées par les pouvoirs publics. En fin de compte, ce manifeste se présente comme un livre agréable à lire. Il n’apportera pas beaucoup de connaissances aux spécialistes de l’ESS, mais il constitue une grille d’analyse stimulante. Il sera sans doute plus utile encore aux militants communistes, qui y trouveront de nouvelles occasions de s’investir dans l’ESS ou de multiplier les partenariats dans une perspective de changement social.
David Hiez
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