Un regain d’intérêt pour les monnaies locales après la crise du Covid 19 ? Une étude dresse un état des lieux

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En cette période de crise sanitaire, quand la dépendance à des productions lointaines s’avère désastreuse pour l’approvisionnement en produits essentiels, les monnaies locales (ML) ont sans doute une carte à jouer en tant que vecteurs de petites économies locales vertueuses et résilientes. Et ce, d’autant plus que la crise économique associée à la crise sanitaire ne fait que commencer. Ses conséquences sont difficilement prévisibles, mais on peut entrevoir le risque élevé de défaillance de petits commerces et de petits producteurs, plus vulnérables que les grandes firmes si la consommation est insuffisante ou se porte sur des importations étrangères. Par ailleurs, il existe un risque élevé de crise financière affectant les banques, l’euro et, par contrecoup, l’ensemble de l’économie – via une crise du crédit.
Dans ce contexte, une enquête systématique sur les monnaies locales en France, menée entre novembre 2019 et janvier 2020, vient de livrer ses leçons. Elle a été menée par Marie Fare, Oriane Lafuente-Sampietro et moi-même, en nous appuyant sur les deux réseaux qui structurent et soutiennent le champ : le Mouvement SOL (héritier du projet de monnaie complémentaire SOL, développé au milieu des années 2000 sur l’impulsion de Patrick Viveret via des partenariats avec de grandes organisations de l’ESS) et le Réseau des monnaies locales complémentaires et citoyennes (MLCC), qui a émergé au début de la décennie 2010 avec les premières expériences que l’on connaît aujourd’hui.
En dix ans, pas moins de 91 ML ont été mises en circulation. Fin 2019, il y en avait 82 en fonction. Cette dynamique impressionnante n’a d’équivalent qu’au Brésil, où les conditions sont cependant très différentes. 76,8 % d’entre elles ont répondu à l’enquête, ce qui permet d’obtenir une bonne image globale de la situation. Premier enseignement de l’étude : pas moins de 37,5 % des communes françaises disposent d’une monnaie locale, avec une masse de monnaie en circulation équivalant à 4,4 millions d’euros pour l’ensemble des 82 ML (fin 2019, on estimait que 34 871 particuliers et 9 614 prestataires adhéraient à ces dispositifs). La taille des ML est cependant très hétérogène. En 2018, elles représentaient une masse monétaire médiane de 17 945 euros, 231 adhérents usagers et 76 adhérents prestataires, ce qui est faible. Un petit nombre seulement de ML a acquis une taille significative, et l’une d’entre elles se détache par sa dynamique importante : l’eusko (voir l’article de Fabienne Pinos dans le n° 354 de la Recma).

Une gestion associative
Autre élément caractéristique des monnaies locales : leur gestion. Les ML sont émises et gérées par des associations, même dans les rares cas où elles sont issues des collectivités locales. Elles sont parfois organisées en fédération pour couvrir des territoires plus larges tout en mutualisant certaines fonctions. Les objectifs les plus fréquemment déclarés sont une résilience territoriale par le développement de circuits courts ainsi que le renforcement du pouvoir citoyen et de la démocratie locale. Ce sont des associations gouvernées démocratiquement, au moyen de méthodes qui sont majoritairement celles du consensus ou du consentement. Leur budget est souvent minimal et ne permet pas de recruter des salariés : plus de la moitié déclarent un budget annuel inférieur à 10 000 euros. Seul un tiers environ des ML emploient un ou plusieurs salariés. Plus le budget est important, plus le nombre de salariés – mais aussi de stagiaires, services civils et bénévoles – est élevé. Quant au budget, son niveau dépend fortement des financements publics.
Autrement dit, la capacité de l’association à se développer et à faire circuler sa monnaie auprès d’un nombre important de particuliers et de professionnels est fortement dépendante des financements publics. Le rôle potentiel des monnaies locales dans la résilience territoriale semble donc subordonné à leur prise en compte active par les collectivités comme un outil de politique publique territoriale. Un tiers environ des associations sont cependant soit sans lien, soit en conflit avec des collectivités locales. Les autres entretiennent des liens très variables, rares étant les collectivités qui s’engagent non seulement dans un soutien financier pérenne des associations gestionnaires mais également dans l’entrée dans le circuit monétaire par l’acceptation de paiements en ML pour certains services, voire dans l’usage de la ML pour régler certaines de leurs dépenses.

Un développement du numérique
Par ailleurs, les monnaies locales s’insèrent dans la finance solidaire. La plupart d’entre elles placent leur fonds de garantie (qui leur permet de rembourser en euros aux professionnels leurs recettes en monnaie locale) auprès d’organismes de finance solidaire comme la Société financière de la NEF, mais aussi le Crédit coopératif. Une convention passée par les deux grands réseaux de ML avec la NEF conduit celle-ci à prêter au moins le double du fonds de garantie à des entrepreneurs adhérents à la monnaie locale considérée. Notons que la plupart des ML sont d’abord mises en circulation sous forme de billets, dont les symboles font d’ailleurs l’objet d’un moment important de réflexion et de participation citoyenne. Le numérique se développe néanmoins fortement depuis peu, afin de compléter le papier par une solution facilitant à la fois des transactions de montants plus élevés (mieux à même de satisfaire les besoins des professionnels dans leurs propres transactions interentreprises) et la conversion d’euros en monnaie locale via des formes d’abonnement par virement automatique – car, jusqu’ici, les ML ne circulent qu’en contrepartie de la conversion volontaire d’euros par les utilisateurs. On manque de recul pour évaluer les effets de ce déploiement du numérique, mais il semble que, s’il n’est pas en soi la solution miracle, il permet, sous certaines conditions, de démultiplier la masse monétaire et les échanges. Compte tenu des dynamiques actuelles, un tiers des ML devraient à terme circuler également sous forme numérique, principalement par applications sur smartphone. Ce passage au numérique conduit les ML à s’associer pour mutualiser les coûts, même si on observe que plusieurs standards sont en train d’émerger.
Cette enquête fournit donc une première photographie des monnaies locales françaises à fin 2019. Elle montre les moyens par lesquels les associations gestionnaires travaillent à la résilience des territoires par la dynamique des petites économies locales et des circuits courts. Elle montre également que la marche à franchir pour y parvenir est importante, et qu’elles doivent pour cela être appuyées par des collectivités dont les politiques s’orienteraient elles-mêmes vers ces objectifs. Les crises actuelles pourraient faciliter la prise de conscience de cette nécessité de tels territoires
résilients.

Jérôme Blanc
Rapport d’enquête consultable sur https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02535862