L’Utopie au jour le jour. Une histoire des expériences coopératives (XIX e -XXI e siècles)
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Alexia Blin, Stéphane Gacon, François Jarrige et Xavier Vigna (dir.), Nancy, éditions L’Arbre bleu, 2020, 326 pages.
L’histoire de la coopération en France a longtemps été victime d’un étrange paradoxe. Alors que la coopération est, avec la mutualité, le plus ancien et le plus puissant mouvement social de notre pays, elle a été largement ignorée par les historiens. Un petit nombre d’entre eux se sont intéressés aux débats théoriques du mouvement coopératif ainsi qu’à quelques-unes de ses réalisations au XIX e siècle, mais ils ont délaissé la majorité de celles du siècle suivant, et ce jusqu’à nos jours. Or, en cette période de crise économique et sanitaire, la recherche d’un modèle alternatif au capitalisme est à l’ordre du jour ; aussi, la coopération est plus que jamais d’actualité. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle suscite un intérêt accru chez les chercheurs. Ce livre en témoigne. Il résulte d’un séminaire organisé à l’université de Dijon (2015-2016), suivi de trois journées d’études à Dijon et à Paris (2017-2018) qui ont réuni des chercheurs travaillant sur des espaces, des acteurs et des temps variés.
Les vingt-deux contributions qui composent l’ouvrage sont organisées en trois grandes parties. Dans la première, le travail au sein des coopératives est étudié sous les angles les plus divers. D’abord celui de son organisation, la façon dont les coopérateurs ont été dirigés et les conflits qui ont pu surgir au sein des coopératives. Ensuite à travers l’observation du rôle joué par les femmes dans une coopérative de consommation en Italie, puis des structures originales que sont les communautés de travail dans la France de l’après-Seconde Guerre mondiale et enfin des transformations survenues au sein de la coopération de production ces dernières années.
Dans la deuxième partie, les auteurs examinent les réussites et les échecs des pratiques coopératives. Ils le font également à partir d’approches variées : dans le temps, avec les expériences fouriéristes de 1860 à 1920 ; dans l’espace, en Belgique, en Sicile, dans le nord de la France et enfin dans le Pays d’Olmes, en bordure de l’Aude et de l’Ariège ; et enfin dans le milieu spécifique qu’est l’école. La dernière partie, la plus importante, comporte huit contributions qui étudient les facteurs de modernité et de modernisation à l’œuvre au sein des coopératives. Cet examen est fait à travers l’étude du processus de modernisation du pétrissage des boulangeries coopérative de l’Hexagone (1860-1914), puis du tableau des coopératives de vignerons de Buzet et des coopératives de consommation dans le Jura et en Haute-Savoie. Mais le mouvement coopératif s’est également développé dans de nombreux autres pays que la France, comme le montrent les cas des coopératives laitières en Sibérie (1896-1928), des « caves sociales » (fin du XIX e siècle-années 1920) ou des coopératives d’affermage, en Italie. Dans des contextes bien différents, les coopératives britanniques ont dû répondre au processus de la décolonisation et, à Cuba, les coopératives paysannes ont été confrontées à des contradictions avec l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1956.
Ce livre montre donc toute la richesse du mouvement coopératif. D’abord dans le temps puisque son histoire, qui commence vers 1840, se poursuit jusqu’à aujourd’hui, sous des formes évidemment très différentes. Puis dans l’espace : le mouvement coopératif a été actif sur une grande partie de la planète et il l’est encore actuellement. Mais, si les débats théoriques qu’il suscita au XIX e siècle sont maintenant connus, les pratiques à l’œuvre en son sein depuis cette période le sont beau- coup moins. Leur histoire est plus difficile à écrire que celle de la mutualité. Cette dernière a été fortement encadrée par l’État depuis la formation de la « mutualité impériale » par Napoléon III. À partir de 1852, les mutualistes ont été organisés par une stricte législation sur l’ensemble du territoire, dont le réseau des Archives de France a conservé les traces pour le plus grand bonheur des historiens. Ce n’est pas le cas pour le mouvement coopératif. Aussi, bien que son organisation sur le plan national au tournant du XX e siècle coïncide avec celle de la mutualité, son histoire est très différente. Scindé qui plus est en plusieurs composantes – agricole, de consommation, de production, maritime, etc. –, le mouvement coopératif est très éparpillé : dès lors, c’est la diversité qui l’emporte, ce qui rend toute synthèse plus difficile.
Ce livre apporte également beaucoup sur le plan de l’histoire quotidienne, par le bas, des coopératives. Il fourmille d’informations sur l’organisation au jour le jour du travail des coopérateurs, qu’ils agissent dans la sphère de la consommation ou de la production. Jusqu’à la Grande Guerre, la majorité des coopératives, surtout celles de production, sont restées des petites structures. Dès lors, faut-il en conclure qu’elles ont été une réussite ou un échec ? Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible de se contenter aujourd’hui d’un discours glorificateur, valorisant, mais loin du réel, selon lequel le mouvement coopératif volerait de succès en succès. La réalité a été bien plus contrastée. Les coopératives, ou certaines réalisations qui en furent proches telles que le Familistère de Godin, connurent des réussites, mais on ne doit pas oublier que ces dernières ont rejeté dans l’ombre de nombreux échecs : l’histoire comparée des unes et des autres reste à écrire. Enfin, sur le temps long, ce livre s’interroge sur la façon dont les coopérateurs, en France, comme dans les autres pays, ont participé aux évolutions de la société de leur temps, parmi lesquelles l’essor de la consommation de masse et la réponse à des besoins toujours accrus ont occupé une place essentielle. Ont-elles su répondre à ces deux grands défis ? Il était impossible aux auteurs de cet ouvrage de répondre complètement à cette question, mais ils n’en ouvrent pas moins des pistes de réflexion pour le mouvement coopératif dans l’Hexagone. Ils notent tout d’abord que le cadre législatif qui a été le sienne constitue pas un angle d’approche pertinent pour étudier son histoire. La loi de 1867 lui a donné une petite impulsion mais ce ne fut pas le cas avec la loi Ramadier (1947) ; et la loi Hamon (2014) est beaucoup trop récente pour que l’on puisse encore en mesurer les effets. Un tel constat pose le problème du rapport du mouvement coopératif à l’État. Si on commence à connaître les grandes lignes de cette histoire en France, on sait beaucoup moins en revanche ce qu’il en fut à l’étranger. L’histoire du mouvement coopératif à l’étranger, tout comme celle de l’Association coopérative internationale, est en effet un vaste chantier en perspective. En attendant, remercions les auteurs de ce livre pour tout ce qu’ils nous apportent sur cette histoire aussi riche que complexe.
Michel Dreyfus
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