Le rôle des sociétés mutuelles au XXIe siècle, étude du Parlement européen
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Les mutuelles dans l’Union européenne et leur rôle en matière de protection sociale. Synthèse de l'étude
Les sociétés mutuelles sont des groupes volontaires de personnes (physiques et morales) qui se proposent avant tout de répondre aux besoins de leurs membres plutôt qu’obtenir un retour sur investissement. Elles fonctionnent selon le principe de la solidarité entremembres, lesquels participent à la gestion de la société. Avec les coopératives, les fondations et les associations, les mutuelles sont l’une des composantes principales de l’économie sociale, ou troisième secteur, de l’Union européenne. Dans de nombreux pays européens, les sociétés mutuelles ont une longue histoire etremontent au Moyen Âge. Elles se sont diffusées au XIXe et au début du XXe siècle, servant de filet de sécurité aux travailleurs industriels et autres groupes socio-professionnels, quipar ce moyen rassemblaient des fonds pour se protéger des risques sociaux etpatrimoniaux, et elles peuvent être considérées comme les prédécesseurs de l’État providence moderne.
Les réformes majeures entraînant la création des systèmes obligatoires de protectionsociale après la Seconde Guerre mondiale ont diversifié le rôle joué par les mutuelles dansla société européenne. Dans la plupart des cas, les sociétés mutuelles ont endossé unenouvelle fonction, en mettant en place des régimes volontaires d’assurance maladie et enconservant ou en renforçant leurs activités liées à d’autres types de couvertures de risques (comme l’assurance véhicule). Les mutuelles continuent de jouer un rôle essentiel dans denombreux États membres de l’Union européenne. Dans les nouveaux États membres de l’UE, autrefois soumis à des régimes communistes, les sociétés mutuelles qui existaient avant la Seconde Guerre mondiale ont été supprimées et ne sont, dans la plupart des pays, pas encore réapparues depuis la chute du communisme.
En Europe, on retrouve essentiellement deux sortes de sociétés mutuelles, à savoir les «organismes de prévoyance et de secours» et les «sociétés d’assurance mutuelle». Les dernières sont des compagnies d’assurance organisées et gérées selon le principe de lamutualité qui peuvent couvrir tous types de risques patrimoniaux et de risques de la vie,tandis que les premières fournissent une couverture sociale supplémentaire, complémentaire,ou bien s'intégrant dans le système obligatoire de protection sociale, et elles gèrent, dans certains cas, leurs propres infrastructures (comme des hôpitaux et des pharmacies). Dans la plupart des États membres, la législation prévoit que seuls certains types d’activités peuvent être exercés par les sociétés mutuelles. Les organismes de prévoyance et de secours existentsurtout dans les pays européens occidentaux et méridionaux, alors qu’on retrouve dessociétés d’assurance mutuelle dans la plupart des États membres. Au Royaume-Uni et enIrlande, il existe des sociétés mutuelles qui ne rentrent pas dans ces deux catégoriesprincipales (telles que les associations de logement et de supporters de football, mais surtoutdes mutuelles actives dans le secteur du crédit). Les sociétés mutuelles n’existent pas àChypre, en République tchèque, en Estonie, en Lituanie et en Slovaquie.
Les principales caractéristiques des mutuelles, telles que décrites ci-dessus, sontgénéralement communes dans toute l’Europe. Toutefois, les différences entre les Étatsmembres de l’Union sont marquées. Les éléments par lesquels d'habitude les mutuelles sedifférencient d'autres types d’organisations (à savoir, le lien entre le fait d’être membre etcelui d’être assuré, le principe d’un vote par personne et l’absence d’actions) ne se retrouventpas dans tous les États membres. Par conséquent, le concept de "société mutuelle" peut êtreinterprété largement en Europe et il arrive que des organisations définies dans différentspays comme des mutuelles aient peu de points communs entre elles.
Même si les dispositions juridiques s’appliquant aux mutuelles diffèrent en Europe, les sociétés d’assurance mutuelle sont généralement soumises aux dispositions législatives générales relatives aux services d’assurance et aux services financiers, tandis que les organismes de prévoyance et de secours sont régis par des dispositions spéciales.
À l’heure actuelle, on estime que les sociétés mutuelles fournissent des services sociaux et de soins de santé à 230 millions de citoyens européens et qu’elles représentent en tout plus de 180 milliards d’euros de primes d’assurance. Les mutuelles emploient 350 000 personnes en Europe. Toutefois, des données statistiques précises font défaut.
Le rôle joué par les mutuelles dans les systèmes de protection sociale varie considérablement en Europe. C’est surtout parce que les États membres ont évolué différemment sur les plans historique, culturel et politique. En Grèce, les mutuelles sont seulement actives dans le cadre des assurances maladie obligatoires, alors que dans deux autres pays, la Belgique et les Pays Bas, les mutuelles existent pour les assurances maladie obligatoires et volontaires. En outre, dans certains pays, les mutuelles existent seulement pour les assurances maladie volontaires (l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Italie, le Luxembourg, Malte, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suède), alors que pour quelques autres États membres (la Bulgarie, l’Irlande, la Lettonie et la Roumanie), les mutuelles ne semblent pas être actives dans ce secteur. En ce qui concerne les autres risques sociaux, les mutuelles agissent dans le secteur des pensions privées, au sein duquel à la fois les organismes de prévoyance et de secours et les sociétés d’assurance mutuelle fournissent des services (souvent liés aux polices d’assurance vie).
Les sociétés mutuelles au sein du marché intérieur de l’Union européenne
Les dispositions européennes relatives au marché intérieur et à la concurrence régissent la plupart des activités des mutuelles.
Dès lors, les sociétés mutuelles doivent aussi respecter les règles relatives aux exigences de solvabilité applicables aux institutions financières. «Solvabilité II» plaide pour une augmentation des marges de solvabilité et de la différenciation des risques pour les prestataires de services. Comme de nombreuses mutuelles agissent surtout sur un marché de niche et qu’elles ont moins facilement accès à des capitaux, elles pourraient rencontrer des difficultés pour respecter les exigences plus sévères de «Solvabilité II», tout en continuant à fournir des services en échange de primes compétitives.
En raison entre autres de la législation européenne en matière d’institutions financières et d’assurance, qui semble reposer avant tout sur le modèle d’un holding, le marché de l’assurance deviendra probablement plus uniforme à l’avenir et les mutuelles pourraient être contraintes d’agir progressivement comme des holdings ou de se «démutualiser».
En fonction des activités exercées et de leur contexte juridique et organisationnel, les services de certaines mutuelles peuvent toutefois être considérés comme des «services sociaux d’intérêt général» de nature «économique» ou «non économique» selon la législation de l’UE, et il n’est dès lors pas toujours aisé de déterminer si les dispositions relatives au marché intérieur et à la concurrence s’appliquent aux mutuelles et, le cas échéant, comment, d’autant plus que ces dernières fournissent souvent des services dans des domaines différents et complémentaires. Ces dernières années, la Cour de justice européenne a été saisie de nombreuses affaires concernant les mutuelles et une jurisprudence considérable existe déjà.
Depuis les années 90, on a tenté à plusieurs reprises d’introduire dans la législation de l’Union européenne un instrument juridique permettant la création de mutuelles européennes à l’aide d’un «statut» comparable aux statuts existants pour les sociétés et coopératives européennes. Un projet de règlement du Conseil portant statut de la mutualité européenne, présenté en 1992 par la Commission européenne, est resté à l’ordre du jour pendant plusieurs années avant d’être finalement retiré en 2006. Les régimes obligatoires de sécurité sociale de base gérés par les mutuelles étaient exclus du champ d’application de la proposition de règlement. Les États membres auraient en effet pu continuer de choisir librement les types d’organisations auxquelles ce genre de responsabilité peut être confié.
Quand on discute de la nécessité d’un statut pour les mutualités européennes, les arguments en faveur de cette initiative semblent être crédibles (comme ceux soulignant les nouvelles possibilités pour les mutuelles d’exercer des activités transfrontalières et une meilleure reconnaissance de la mutualité à l’échelle européenne). Le Parlement européen et le Comité économique et social européen ainsi que la Commission européenne ont récemment fait part de leur volonté à relancer l’initiative.
Cependant, le nouveau projet de règlement devrait accorder une attention particulière aux arguments défavorables à l’égard du statut. Il faudrait surtout examiner au préalable l’utilité pratique de l’instrument proposé en tenant compte de l’expérience acquise avec le statut pour les coopératives européennes, pour lesquelles la complexité du renvoi à la législation nationale entrave la mise en oeuvre pratique du règlement.
En novembre 2007, deux organisations représentant des sociétés mutuelles à l’échelle européenne (l’AIM, l’Association internationale de la mutualité, et l’AMICE, l’Association des assureurs mutuels et coopératifs en Europe) ont publié un document de travail proposant une version actualisée du statut de la mutualité européenne, qui présente certains avantages sur le plan de l’applicabilité et de l’utilisation pratique par rapport au projet de règlement de la Commission européenne retiré.
Les mutuelles dans un contexte économique en pleine évolution
Des études ont démontré que, comme les mutuelles acquièrent leurs capitaux uniquement via leurs membres et non pas par le biais des marchés de capitaux, elles semblent mieux résister aux crises financières et aux crises du crédit et, dès lors, être plus durables. En ce qui concerne de nombreux autres indicateurs, comme la rentabilité ou la convivialité pour les membres et les clients, il s’avère toutefois impossible de déterminer, en fin de compte, si les mutuelles ont des meilleurs résultats que les sociétés de holding ou non. Les (dés)avantages comparatifs sont souvent plus liés à la taille de la société qu’à son statut juridique. En général, les sociétés d’assurance de plus petite taille ont tendance à être plus conviviales pour leurs clients et leurs membres ainsi qu’à mieux respecter les valeurs démocratiques. Comme les mutuelles sont souvent des sociétés d’assurance plus petites, en plus d’être régies par des principes différents, elles sont souvent plus proches de leurs assurés. D’après la littérature à ce sujet, les mutuelles semblent être davantage liées à leurs clients et à leurs membres que les holdings.
Étant donné que les mutuelles n’ont pas facilement accès au capital (risque), elles doivent trouver d’autres manières d’augmenter leurs capitaux, compte tenu du marché hautement compétitif. À cette fin, les mutuelles peuvent étendre leurs activités en attirant plus de membres, en pénétrant de nouveaux marchés ou en fournissant des nouveaux produits à leurs membres. En outre, elles peuvent gérer leurs activités de manière plus rentable et/ou faire des économies d’échelle grâce à des fusions ou à des alliances avec d’autres mutuelles au sein d’un État membre ou entre différents États membres. Cependant, les obstacles administratifs et juridiques empêchent souvent de telles expansions.
Dans de nombreux États membres, les mutuelles ne sont, par exemple, autorisées à exercer que certaines activités et ne peuvent dès lors pas toujours fournir des services supplémentaires. Les mutuelles sont aussi désavantagées lorsqu’elles doivent établir une coopération transfrontalière avec d’autres sociétés mutuelles étant donné qu’elles sont presque obligées de le faire en créant un holding doté de la structure d’une société par actions. En exerçant des activités transfrontalières, les mutuelles perdent dès lors leur particularité. Dans de nombreux États membres de l’Union européenne, les mutuelles ne sont, en outre, pas autorisées à se regrouper.
En ce qui concerne les assurances, les différentes formes juridiques des prestataires de services (qu’il s’agisse ou non de sociétés mutuelles) comportent toutes des avantages et des inconvénients, ce qui rend chacune d’entre elles mieux adaptée pour couvrir certains risques, pour travailler avec certains groupes cibles et pour conserver des structures organisationnelles et de gestion différentes. En général, les sociétés d’assurance mutuelle se concentrent sur des activités commerciales et une gamme de produits moins risqués. Compte tenu de leur accès limité aux marchés des capitaux, les mutuelles dépendent moins de ceux-ci et leurs propriétaires et créanciers ou assurés adoptent davantage une perspective à long terme. De plus, les secteurs mixtes, composés à la fois de mutuelles et de holdings, présenteraient un avantage systémique étant donné que des structures de propriété différentes rendent le marché moins risqué et plus compétitif qu’un environnement exclusivement composé soit de mutuelles soit de sociétés par actions.
Le rôle futur des mutuelles dans la société européenne
Sur les plans historique, économique et culturel, les mutuelles sont profondément ancrées dans de nombreux États membres, même si les différences entre pays sont marquées. Elles fournissent leurs services à une grande partie de citoyens européens. Toutefois, les mutuelles devraient être, dans un avenir proche, confrontées à des défis majeurs.
En raison du changement démographique (vieillissement de la population), les systèmes de protection sociale existants risquent de ne pas être durables et abordables à long terme. En conséquence, la couverture des régimes obligatoires se modifie progressivement et on assiste à la fourniture de moins de mesures de soutien afin que davantage de services liés à la société soient fournis en complément du régime obligatoire. En raison de ces évolutions, les assureurs qui proposent des assurances maladie complémentaires ou des régimes de pension privés différencieront de plus en plus les primes sur base des profils de risques. Par conséquent, les personnes à risque (les personnes en mauvaise santé, les chômeurs et les personnes âgées) ne pourront plus se permettre financièrement d’être suffisamment couvertes. Cette évolution n’est pas souhaitable vu que l’Union européenne ambitionne de créer une croissance intelligente, durable et inclusive.
En outre, il s’avère que les mutuelles sont de plus en plus forcées à travailler sur des marchés très compétitifs et elles pourraient être incitées à agir davantage comme des agents économiques à but lucratif afin de survivre.
Dans le respect des règles fixées par les gouvernements, le secteur privé assumera de plus en plus de responsabilités en matière de sécurité sociale. L’économie sociale, et plus particulièrement les sociétés mutuelles, pourraient jouer un rôle essentiel à cet égard. Attachées aux valeurs de la solidarité, de la gouvernance démocratique et de l’absence d’actionnaires, les mutuelles agissent dans l’intérêt de leurs membres et, de par leur nature même, adoptent un comportement socialement responsable. Afin de pouvoir contribuer à relever les défis de l’avenir, les mutuelles devraient tout d’abord être capables de protéger leurs principes de base et leur mode de fonctionnement particulier.
Le statut de la mutualité européenne pourrait les aider, non seulement parce qu’il fournit un cadre juridique spécifique permettant aux mutuelles d’exercer des activités transfrontalières, mais surtout parce que, grâce à lui, la prise de décisions (à l’échelle européenne) tiendra mieux compte des mutuelles.
Afin de créer des conditions équitables pour les opérateurs tout en conservant des prix abordables pour tous les citoyens en ce qui concerne les régimes de protection sociale complémentaires, il serait souhaitable, au niveau national, de règlementer les marchés de façon à garantir des conditions équitables pour tous et à encourager à la fois les sociétés par actions et les sociétés d’assurance mutuelle, ainsi que tous les autres acteurs, à garder des portefeuilles à risque sains. Des réglementations destinées à limiter la sélection des risques et les pratiques d’écrémage et à introduire des systèmes d’égalisation des risques pourraient être envisagées.
En conclusion, les mutuelles ont encore toute leur raison d’être et représentent une valeur ajoutée pour l’économie européenne et l’ensemble de la société. Les arguments économiques en faveur de la mutualité (différenciation des services financiers, résistance en période de crise) sont solides et les mutuelles présentent des atouts économiques majeurs, étant donné que de nombreux citoyens européens continuent de les choisir expressément afin d’avoir accès à des services sociaux et de soins de santé de qualité et de s’assurer contre toutes sortes de risques sociaux et immobiliers, ainsi que pour répondre au mieux à d’autres besoins. En outre, les acteurs économiques dont la responsabilité sociale est profondément ancrée dans leur organisation s’avèrent de plus en plus nécessaires pour conserver des systèmes de protection sociale abordables et durables, conformément aux objectifs stratégiques de l’Union européenne.
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