Godin, inventeur de l’économie sociale : mutualiser, coopérer, s’associer

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Jean-François Draperi. Ed. Repas, collection « Pratiques utopiques », 2008.

Faut-il remiser au musée de la coopération et de l’économie sociale, après avoir déjà tout dit et tout écrit à leur propos, le Familistère de Guise et son créateur, Jean-Baptiste Godin? Assurément non, comme le démontre Jean-François Draperi dans son livre Godin, inventeur de l’économie sociale. L’auteur met en lumière la modernité de cet « expérimenteur « qui « a mis ses idées en pratique avec les hommes (et les femmes, autre anticipation de Godin et non des moindres) avec lesquels il bâtit, bien au-delà du travail, une véritable contre-société coopérative », comme le souligne l’éditeur dans son avant-propos. Plus que l’aventure du Familistère (mais faut-il parler d’aventure pour une organisation qui a vécu un siècle dont quatre-vingts ans sans Godin ? Aventure humaine, à ne pas en douter), le livre offre aux lecteurs un portrait à multiples facettes de celui que Jean-François Draperi considère comme « l’un des fondateurs de l’économie sociale et sans doute le plus moderne d’entre eux ».
On y sent toute l’admiration que le chercheur engagé porte pour Godin, ce qui ne retire rien du caractère scientifique de son travail. L’analyse est articulée autour de différents prismes, mais avec une idée-force : l’émancipation des hommes par des moyens non violents (dont l’éducation, à la fois moyen et objectif, et l’architecture) et la promotion de la paix. L’oeuvre de Godin démontre ainsi que « sans avoir accès à la violence et sans appauvrir personne, il est possible de permettre au peuple de s’élever et de vivre décemment, dans un logement sain et par un travail digne, où il est respecté ». Et l’auteur de citer André Rabaux, qui fut administrateur gérant du Familistère de 1933 à 1954 : " Le socialisme de Godin ne s’accompagne pas de bruit de bottes."
Le premier prisme est bien sûr théorique, Godin s’imposant « comme une figure majeure et méconnue de la pensée économique et sociale du XXe siècle ». C’est ainsi que l’auteur replace celui qui fut considéré comme un dissident au sein du mouvement de la coopération de production, au panthéon des « fondateurs « de l’économie sociale, pour lui donner même une place plus centrale qu’à Gide, dans la mesure où « Godin constitue le principal chaînon entre le premier XIXe siècle, celui de Fourier et des utopies socialistes, et le second XIXe siècle, celui de Marx, de Taylor et de la grande industrie ». Il faut considérer « Fourier comme un théoricien de la science expérimentale et non comme un utopiste et Godin comme un scientifique expérimental et non comme un praticien ». Aussi faut-il lire la très intéressante analyse des travaux de Fourier – notamment sur les moyens de rendre le travail attrayant – et plus particulièrement le développement sur le dépassement qu’opère Godin. L’auteur propose une lecture très pertinente de ce qui oppose l’alternative non violente de Godin à la lutte des classes de Karl Marx, avant de montrer comment Godin déjoue les impasses du taylorisme pourtant encore à venir.
 
Enfin, un addenda livre des éléments pour une étude des fondements du godinisme (c’est-à-dire la philosophie fondatrice de l’oeuvre de Godin) en faisant appel aux travaux de Swedenborg et de Kant. Du point de vue historique et « technique », le livre de Jean-François Draperi délivre une analyse complète du fonctionnement de Guise et des raisons qui ont conduit à sa disparition.
 
La répartition des bénéfices annuels constitue un excellent révélateur des valeurs et des principes qui ont forgé l’organisation et la vie du Familistère. La répartition des excédents se divise « en quatre ensembles: la mutualité et l’éducation; le fonds de réserve; la rémunération du capital; la rémunération des capacités ». C’est aussi le fondement de ce qui est « le différend historique le plus important entre Godin et le mouvement coopératif », différend « tout à fait d’actualité ». En effet, comme le note l’auteur, « Godin intègre dans son système de répartition des bénéfices le taux d’intérêt versé au capital ». C’est là « une rupture avec la doctrine dominant la coopération de production formulée par Jean-Philippe Buchez, qui ne prévoit pas de rémunération du capital ».

Le politique et l’enthousiasme sont les deux derniers prismes que nous évoquerons. De nombreux lecteurs auront sûrement envie d’agir après avoir découvert ce qui constitue un véritable projet complet de société reposant sur les besoins des hommes. C’est un programme politique que propose Godin. Programme validé (contrairement à la république coopérative de Gide), tout au moins en partie, par la réussite de l’entreprise. Ce programme s’articule autour de l’économie sociale, mais pas au sens juridique. Ce n’est pas d’une expression que le fondateur du Familistère est l’inventeur, mais d’une vision des rapports sociaux qui se traduisent dans l’action des verbes mutualiser, coopérer et s’associer.
 
Si la conclusion souligne la modernité de la conception de l’économie sociale développée par Godin et considère que « nous pouvons nous sentir aujourd’hui ses héritiers », il reste cependant à « définir les horizons et les contours d’une nouvelle économie au service de l’éducation ». Contrairement à Godin, qui stigmatisait l’égoïsme de la civilisation, nous pensons que, si émergeait un véritable projet alternatif porté par un leader au sein de l’économie sociale, la population (jeune comme plus âgée, urbaine comme rurale) pourrait s’y reconnaître et y projeter son espérance. Enfin, Jean-François Draperi et son ouvrage sur Jean-Baptiste Godin nous amènent à nous questionner, notamment, au sujet de la confiance dans les hommes, sur les rapports des individus au collectif, à la structure et à l’environnement, ainsi que sur les parcours de formation et la place des utopies telle que l’avait précisée Henri Desroche.
 
Rémi Laurent

Godin, inventeur de l’économie sociale : mutualiser, coopérer, s’associer,  Jean-François Draperi. Ed. Repas, collection « Pratiques utopiques », 2008