Evolution passée et récente des villages coopératifs en Israël. Par Zvi Galor et Michaël Sofer
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Durant la période ottomane, ont eu lieu des tentatives d’établissement de villages coopératifs, tels que les Mochavim des Poalim (ouvriers). Bien qu’elles se soient soldées par des échecs, ces expérimentations ont inspiré Eliézer Wilkansky et Eliézer Yaffé, les deux initiateurs du Mochav Ovdim fondé en 1921, dans la vallée de Jezréel. Il existe aujourd’hui 400 Mochavim, regroupant 254 300 habitants, assurant l’indépendance agricole du pays et exportant largement hors de ses frontières.
Les grands principes coopératifs du Mochav
Eliézer Wilkansky, pionnier de la deuxième « Aliya » (la venue vers Israël), a conçu l’idée de la ferme mixte, selon laquelle l’unité agricole devait reposer sur plusieurs activités, élevage et plantations, de façon à ce qu’une branche déficitaire puisse être compensée par les autres. Eliézer Yaffé est arrivé en Israël au début du XXe siècle avec l’intention de vivre du travail de la terre. Son livre Pour la création du Mochav Ovdim publié en 1919 résume les principes du Mochav.
Environ 70 Mochavim ont été créés entre 1921 et 1948, date de la fondation d’Israël. Au cours des trente années qui ont suivi l’indépendance, le gouvernement travailliste a encouragé l’essor de ce mouvement qui, en retour, a beaucoup contribué au développement d’Israël, tant sur le plan démographique que sur le plan économique. D’ailleurs, le ministre israélien de l’Agriculture est toujours issu soit du mouvement des Mochavim, soit de celui des Kibboutzim. Comme le Kibboutz, apparu en 1910, le Mochav repose sur les fondements idéologiques du sionisme et du socialisme. Tandis que le Kibboutz est un village collectif, avec un fort contrôle social, le mochav est un village coopératif, constitué d’unité de productions agricoles.
Les principes coopératifs du Mochav s’incarnent dans l’agouda (Association). L’agouda remplit à la fois un rôle économique – par exemple, les opérations de crédit et de commercialisation de la production agricole et une fonction de régie municipale du Mochav. Le Mochav est fondé sur le sol de la nation et non sur des terres privées. Chaque membre reçoit une parcelle de terre de taille égale, déterminée par la capacité du membre à la cultiver, lui et sa famille, sans recours à des salariés. Le membre reçoit du Mochav tout ce dont il a besoin pour exploiter au mieux sa ferme, pour cultiver le sol et pour se développer. La ferme nourrit la famille qui peut commercialiser les surplus de la production sur les marchés. Outre les agriculteurs, le Mochav compte des employés qui n’ont pas de ferme, mais sont tout de même des membres à part entière, conformément aux recommandations du fondateur Yaffé. Il s’agit de toutes les professions non agricoles, artisans, commerçants, personnels enseignant et médical, qui sont payés par le Mochav selon un barème fixé par l’association générale des travailleurs de la Terre d’Israël (Histradrout).
Un rapport singulier à la propriété
Les coopératives en Israël se sont développées sans référence au mouvement coopératif international dont les principes sont peu ou mal connus, a fortiori des membres les plus anciens. Toutefois, il existe un lien entre ces coopératives rurales et le troisième principe coopératif de l’ACI, qui concerne la question de la propriété de la coopérative : « Les membres contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle. Une partie au moins de ce capital est habituellement la propriété commune de la coopérative. Les membres ne bénéficient habituellement que d’une rémunération limitée du capital souscrit comme condition de leur adhésion. Ils affectent les excédents à tout ou partie des objectifs suivants : le développement de leur coopérative, éventuellement par la dotation de réserves dont une partie au moins est impartageable, des ristournes aux membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative et le soutien d’autres activités approuvées par les membres ». Si le membre d’un Mochav ne possède pas la terre de son unité agricole, il est le seul et unique propriétaire de sa ferme, de tous les biens d’immobilisation dans sa ferme, et de tous les biens dans ses champs. S’il quitte le Mochav et vend sa ferme, il encaisse toute la somme que l’acheteur paie pour la ferme, moins les dettes éventuelles qu’il a contractées auprès du Mochav. En revanche, le membre n’est pas propriétaire des biens d’immobilisation du Mochav, qu’il a financés depuis leur création.
Des coopératives à fonctions économiques multiples
Le Mochav présente la particularité d’être une coopérative à fonctions multiples en même temps qu’il est une entité municipale et communautaire. Le fonctionnement original du Mochav peut être représenté par le triangle essentiel de la production. La première fonction est la production agricole, y compris les facteurs de production comme la terre, le travail, les capitaux et le savoir-faire. Pour produire l’agriculteur a besoin de financements, il a besoin de l’approvisionnement des intrants, et il a besoin de la possibilité de commercialiser sa production (1).
Le Mochav a dès l’origine fonctionné comme une coopérative d’épargne et de crédit, canalisant l’épargne disponible des membres pour offrir des crédits au taux le plus bas afin de financer les investissements à longs termes (construction des fermes…) et à courts termes (financer la production jusqu’à la vente). La fonction d’épargne est possible grâce au triangle essentiel de la production, qui assure aux membres que leur argent sera remboursé durant la période de la vente des produits agricoles des membres débiteurs.
Lorsque les agriculteurs sont membres d’une coopérative, elle fournit le crédit nécessaire à l’achat des intrants pour la production et commercialise les produits de l’agriculteur. Le triangle essentiel de la production se ferme toujours. Le producteur ferme le triangle en s’appuyant sur des entités privées ou en s’appuyant sur la coopérative dont il est membre.
Une démocratie politique
L’identité entre le village et le Mochav constitue une autre caractéristique du Mochav. En Israël comme ailleurs, il arrive souvent qu’un ou plusieurs habitants soient membres d’une ou de plusieurs coopératives agricoles, se trouvant dans le village ou en dehors de ses limites. Le Mochav présente une identité complète entre la coopérative et les résidents du village. Ils sont membres de la coopérative s’ils sont habitants du village et vice-versa (2).
Juridiquement, le Mochav n’est pas une « commune » au sens politique et administratif que ce terme revêt en France, mais une coopérative, dirigée par le président du comité de gestion du village, élu chaque année par les membres de la coopérative. A l’élection participent tous les membres: les femmes et les hommes travaillant dans les fermes du village, ainsi que le personnel non agricole du Mochav.
L’endettement et la démutualisation
A partir du début des années 1980, les mochavim ont subi des modifications structurelles résultant plus ou moins directement de la crise économique. Il s’en est d’abord suivi une baisse des crédits octroyés aux organisations régionales d’achats des Mochavim, qui avaient l’habitude en pareil cas que leurs dettes soient couvertes par l’Etat (3). Or, à partir de 1985, le gouvernement n’est plus venu au secours des organisations régionales d’achats appartenant aux Mochavim, dont la plupart ont dû être liquidées. Les Mochavim n’ont pas immédiatement pris la mesure de ce changement et ils ont poursuivi leurs investissements malgré un contexte hyper inflationniste qui a fait grimper les taux d’intérêt réel à 40 %-60 % par an. Les Mochavim se sont donc considérablement endettés.
Si la loi Gal, promulguée en 1992 par le parlement israélien, a obligé les banques à alléger les conditions de remboursement des dettes, voire à les effacer complètement, pour les agriculteurs membres des Mochavim, il reste que la crise a fait entrer la grande majorité des Mochavim dans un processus de démutualisation.
Après avoir été utilisée de façon exagérée, la garantie mutuelle, cœur de la coopérativité, elle s’est progressivement transformée en responsabilité mutuelle puis en garantie mutuelle entre les membres avant d’être abandonnée au cours de ces vingt dernières années par la plupart des Mochavim, y compris les plus anciens fortement imprégnés d’idéologie coopérative. Elle a pourtant largement contribué à consolider des centaines de Mochavim durant plus de cinquante ans, mais son utilisation aurait dû être raisonnée et canalisée (4).
Lorsqu’une coopérative cesse de fournir les services nécessaires aux membres, au meilleur rapport qualité-prix, ces derniers ne s’intéressent plus à son existence et elle cesse de fonctionner. Par ailleurs, la crise a entraîné la quasi disparition du triangle essentiel de la production dans le niveau Mochav, et une individualisation des situations (5). Chaque membre peut créer son propre triangle, à partir du moment où il présente les garanties nécessaires pour recevoir de la banque le crédit dont il a besoin. Tel est le cas de ceux qui possèdent des moyens ou des membres propriétaires de fermes très productives, ou encore ceux qui travaillent dans des branches agricoles assurant des revenus réguliers. Les fermes qui peuvent vendre directement leurs produits, comme les producteurs laitiers qui bénéficient des accords de commercialisation du lait ou les cultivateurs de fleurs qui ont des accords pour exporter leurs produits peuvent continuer à exister sans la garantie mutuelle disparue. Mais les exploitations les plus petites ou les moins productives qui ne peuvent plus obtenir de crédit directement, sont condamnées à disparaître.
La renaissance du Mochav
Néanmoins, il y a des exemples de reconstruction de coopératives dans le Mochav. Par exemple à Givat Yoav : sur 70 membres, vingt étaient des producteurs laitiers, qui ont organisé collectivement l’alimentation quotidienne des vaches dans leurs étables, en créant une société anonyme. Un autre exemple est la fondation de la coopérative Yatziv au Mochav Beer Tuvia avec 17 membres, pour l’approvisionnement alimentaire du bétail des producteurs de lait. La coopérative Yatziv a passé un accord avec la coopérative qui commercialise la production laitière, fermant ainsi le triangle essentiel pour ses membres. La responsabilité mutuelle entre les membres de la coopérative Yatziv est limitée précisément et adaptée aux besoins des membres mais elle existe de nouveau. Ces exemples montrent que l’esprit coopératif peut renaître dans les Mochavim après avoir disparu pendant plus de deux décennies, lorsque les membres en éprouvent la nécessité.
Zvi Galor, www.coopgalor.com et Michaël Sofer, Université Bar Ilan, Israël.
Paru dans le n°321 de la Recma
(1) Galor Z., 2000, Marketing and Cooperative Marketing in Traditional Rural Areas, International Institut - Histadrut, Israel.
(2) id.
(3) Schwartz M., 1999, “The Rise and Decline of the Israeli Moshav Cooperative: A Historical Overview”, Journal of Rural Cooperation, Vol. 27 No. 2.
(4) Kislev Y., Lerman Z., Zusman P., 1993, “Cooperative Credit in Agriculture - The Israeli Experience”, in Hoff K., Brawerman A. et Stiglitz J. E. (Eds.), The Economics of Rural Organization: Theory, Practive, and Policy, Oxford University Press.
(5) Sofer M., Applebaum L., 2006, “The Rural Space in Israel in Search of Renewed Identity: The Case of the Moshav”, Journal of Rural Studies, Vol. 22, pp. 323-336.
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