David Bollier "Les communs nous aident à sortir du carcan de l’économie néolibérale"
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L'observatoire des multinationales publie un riche entretien avec David Bollier à l'occasion de la sortie de son livre La Renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage aux éditions Charles Léopold Mayer, où il est question d'auto-organisation entre pairs, de coopération, de la différence entre les biens publics et les biens communs, de privatisation, d'enclosure, de la différence entre l'ESS et les communs ... Extraits.
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"Les gouvernements sont souvent bureaucratiques et corruptibles, tandis que les marchés ont une optique prédatrice et impersonnelle. Les communs séduisent de nombreuses personnes parce qu’ils leur fournissent les moyens de définir collectivement leurs propres règles et de concevoir leurs propres solutions pratiques. Le sens fondamental des communs est précisément celui-là : agir et coopérer avec ses pairs, de manière autoorganisée, pour satisfaire ses besoins essentiels.
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Les communs ont ceci de formidable qu’ils ne proposent pas une idéologie rigide et monolithique ; ils consistent en un assortiment flexible de principes et de pratiques qui peuvent être appliqués à des types de ressources extrêmement variés, et depuis une multiplicité de perspectives culturelles. C’est là leur force fondamentale : les communs ne sont pas simplement un ensemble de principes politiques ou de gouvernance. Il s’agit plus profondément d’une manière différente de se rapporter à la nature et aux autres en vue de satisfaire nos besoins essentiels. Le paradigme des communs est à la fois éthique et pratique en son principe.
Les communs offrent une critique pénétrante de ce que j’appelle le Marché/État – l’alliance étroite entre grandes entreprises et gouvernements qui est responsable de tant de problèmes, depuis le réchauffement climatique jusqu’à la montée des inégalités en passant par l’autoritarisme et la répression. Mais davantage qu’une critique, les communs proposent une vision : le moyen d’imaginer et de mettre en œuvre des alternatives effectives, en puisant dans une histoire et des traditions très riches, des principes juridiques vénérables, et d’innombrables expériences concrètes d’organisation alternative de la production ou de la gouvernance.
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les communs ne se définissent pas par le type de ressource qu’il s’agit de gérer, mais par les pratiques sociales, les valeurs, l’éthique et la culture mises en œuvre à travers cette gestion.
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La notion de « bien public » est un terme technique de la science économique, utilisé pour décrire des ressources difficiles à clôturer et à transformer en propriétés privées. Les économistes affirment ainsi que les biens publics sont « non excluables », c’est-à-dire qu’il est difficile d’empêcher les autres d’utiliser ces ressources. L’exemple classique est celui d’un phare, mais les jardins publics ou les bibliothèques sont également considérés comme des biens publics. Les économistes présupposent généralement que seul l’État est capable de produire et de gérer des biens publics – conçus comme des exceptions à la norme de la propriété privée.
Mais les économistes ont tort de penser que ces traits seraient intrinsèques à certaines ressources. Ils ne se rendent pas compte que le terme de « bien public », dans sa définition même, exclut d’emblée la possibilité que des gens puissent s’autoorganiser pour gérer ces ressources. Ils présupposent que le « marché » et le « gouvernement » sont de manière évidente les seuls moyens possibles de gérer certaines ressources. Cette conception du monde ignore le rôle potentiel de l’assistance mutuelle, de la collaboration, et des relations sociales intersubjectives.
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Le terme de « privatisation » entretient le préjugé selon lequel il n’existerait réellement que deux types de gouvernance et de gestion – « public » (le gouvernement, opérant à travers conseils d’élus et administrations) et « privé » (les entreprises, opérant à travers le marché). Mais cette dichotomie est trompeuse. Le terme « enclosure » est plus riche parce qu’il ne renvoie pas seulement à des alternatives « publiques » (gouvernementales), mais aussi aux communs. Les enclosures sont une entreprise de privatisation et de marchandisation des ressources dont dépendent les commoneurs pour leurs besoins essentiels.
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Plutôt que de présupposer que nos sociétés sont composées d’individus égoïstes, rationnels, cherchant à maximiser leurs « utilités » et dont l’aspiration ultime serait le consumérisme – la fiction de l’homo economicus qui est au fondement de l’économie et des politiques publiques actuelles –, les communs reposent sur une vision plus riche et plus complexe des êtres humains. Ils sont différents des entreprises commerciales en ce qu’ils n’ont pas pour objectif et aspiration de gagner de l’argent, mais de servir leurs membres à travers la coopération sociale et le soutien mutuel : cela se vérifie dans des systèmes aussi divers que les mutuelles et les coopératives, les trusts fonciers, les banques de temps, les monnaies alternatives ou les espaces de travail partagé.
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La tradition politique libérale représente de nombreuses valeurs importantes et dignes d’être défendues, qui ne doivent pas être rejetées sommairement. Mais elle n’est pas capable de se réformer « de l’intérieur ». Pour le dire crûment, l’État a été capturé par le capital, et les aspirations démocratiques ne disposent plus que rarement de moyens effectifs de peser sur l’État, sauf à la marge. Je vois les communs comme un moyen de repenser nos modes de gouvernance eux-mêmes (construits pour une large part au cours des XVIIIe et XIXe siècles) et de soulever de nouvelles questions sur la manière dont nous devrions concevoir la participation démocratique à une époque de réseaux électroniques omniprésents, de communications instantanées, et de marchés globalisés. Les bureaucraties d’État semblent tout simplement incapables de gérer cette complexité distribuée et de tenir compte des aspirations non économiques des gens.
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Certains peuvent déplorer que les communs basés sur des formes de droit vernaculaire ne soient pas nécessairement démocratiques au sens de la vision du monde du libéralisme moderne. Certes, il peut y avoir des inégalités sociales ou des hiérarchies au sein de certains communs, que des progressistes peuvent considérer à bon droit comme choquantes ou inacceptables. D’un autre côté, les communs les plus florissants tendent tout de même à mettre en œuvre des formes de participation, de délibération, de transparence, de responsabilité et d’effectivité supérieures à ce qu’offrent les États bureaucratiques et les démocraties représentatives.
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Dans le cadre de l’économie de marché, un certain nombre de structures organisationnelles se sont développées avec pour objectif de protéger certains intérêts collectifs. Les coopératives ou les sociétés mutualistes en sont deux exemples. Mais de telles entreprises restent en dernière instance des entités de marché dans leurs relations avec le reste du monde, même lorsqu’en interne elles obéissent à une logique différente. Les communs diffèrent de telles structures en ce qu’ils n’aspirent pas à devenir « concurrentiels » sur le marché, mais au contraire à sauvegarder une logique entièrement différente de coopération et de soutien mutuel.
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