Une autre façon d'entreprendre - Entretiens coopératifs
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Jean-Louis Girodot, Scarlett Courvoisier, ed. Le Cherche Midi, 2010.
Donner la parole aux acteurs de la coopération, voilà une entreprise attrayante. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on peut en attendre et les dangers dont le lecteur averti doit se prémunir. Il s’agit d’abord ici de faire connaître les grandes figures de la coopération française, mais les personnes plus familières de la coopération y trouveront tout de même un certain plaisir à voir ramasser les propos de ceux qui font les mouvements coopératifs de ces dernières années et, parallèlement, les grandes orientations des diverses familles coopératives.
Le danger d’une telle entreprise est de tomber dans le panégyrique, risque dont la préface ne parvient pas à se prémunir. Alors que ce petit texte n’est généralement lu que des initiés, c’est ici tout au contraire les profanes qui devraient la parcourir dans la mesure où elle recèle des repères généraux, d’ordre historique ou statistique. Elle s’apparente donc, débarrassée de ses considérations convenues et un peu ampoulées, à une introduction, et on peut regretter que ce statut ne soit pas plus clairement affiché, ne permettant pas au lecteur pressé de savoir qu’il peut trouver là une présentation générale de la coopération.
Car l’ouvrage est peut-être d’abord une œuvre de communication. Les fêtes de Noël viennent malheureusement de s’achever mais ce livre reste une bonne idée de cadeau à votre belle-fille ou votre beau-frère, à moins que ça ne soit à ce comparse qui n’a toujours pas compris pourquoi vous vous perdiez dans des entreprises si différentes. Mais attention, vous ne trouverez pas de témoignage de terrain, de salarié ou de coopérateur de base, quoique les divers interviewés aient été l’un ou l’autre. Ce sont des témoignages, des réflexions de responsables, de personnes en charge d’entreprise ou de fédération. De ce point de vue, le livre ressemble plutôt à ces biographies de grands entrepreneurs et constitue un contre-modèle tout à fait bienvenu.
Ce sont ainsi quinze personnes qui ont participé à ces entretiens ; issues de plus ou moins toutes les familles coopératives. Naturellement, puisque ce sont des personnes qui comptent dans l’histoire coopérative, celles-ci ne peuvent être issues des expériences les plus récentes, comme les coopératives d’activité et d’emploi, mais celles-ci sont évoquées, ou les coopératives d’habitants, et les Scic ne sont pas oubliées puisqu’Alix Margado est de l’aventure. Ce qui frappe, c’est la force avec laquelle tous clament que la coopérative est pleinement actuelle, porteuse d’avenir et nuancent fortement l’image « fille de la misère ». En retraçant leur histoire et l’apport qu’ils ont eu dans le mouvement coopératif, ces acteurs montrent en quoi la coopération fournit une réponse adéquate aux besoins sociaux et économiques contemporains, et ce dans tous les domaines de l’activité humaine ici représentés. C’est aussi l’occasion de lire quelques success stories dont on sait qu’elles frappent l’imagination et valent mieux que tous les discours en termes de diffusion d’un modèle comme le rappellent efficacement les promoteurs du social business.
Mais l’ouvrage intéresse aussi les spécialistes et membres de la grande famille coopérative. Pas de révélation ni de découverte fabuleuse mais une lecture agréable et facile qui donne vie à des personnages qu’on n’a parfois fait que croiser. Certaines réponses au questionnaire « à la Marcel Proust » s’avèrent parfois un peu uniformes, comme celles liées au caractère, mais d’autres révèlent des différences culturelles intéressantes et même des réponses étonnantes : Etienne Pfimlin ne cite-t-il pas comme réforme qu’il admire le plus : « la réforme actuelle des retraites » ? Poursuivons le jeu des citations étonnantes avec Serge Papin des systèmes U : « Je pense que le modèle du consommateur qui va remplir à ras bord son caddie pour deux semaines sera bientôt dépassé. […] Nous devons arrêter de stimuler la consommation à tout-va. De toute façon, ça ne marche plus. »
L’essentiel est toutefois ailleurs. Puisque le préfacier parle de l’économie sociale, comme nombre des contributeurs, la question se pose en amont de l’unité du mouvement coopératif. Or sous cet angle, les témoignages manifestent autant de proximités que de dissemblances : identité des valeurs mais mise en musique très différentes. Et là, le lecteur reste sur sa faim. En effet, le choix du livre est de donner la parole aux acteurs pour les mieux faire connaître, ce n’est pas de leur demander de délivrer une réflexion sur leur action, ce qui aurait conduit à les pousser parfois dans leurs retranchements, les faire parler des questions qui fâchent. Ce n’est pas un reproche aux deux auteurs, on sait bien qu’il aurait été beaucoup plus difficile d’avoir l’accord de certains grands responsables pour une telle entreprise. Ce sont toutefois ces silences qui résonnent parfois le plus fort lorsqu’on lit la bonne parole.
En conclusion, il ne faut pas attendre trop de la lecture mais, à cette condition, elle reste agréable pour l’initié et instructive pour le profane.
David Hiez
Jean-Louis Girodot, Scarlett Courvoisier, ed. Le Cherche Midi, 2010.Jean-Louis Girodot, Scarlett Courvoisier, ed. Le Cherche Midi, 2010.
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