Un séminaire de l’Addes : « La loi de l’ESS, trois ans plus tard »
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Ce séminaire était organisé par l’Addes (Association pour le développement des données en économie sociale) en collaboration avec la Cress Île-de-France le 11 janvier 2018 au siège du Crédit coopératif (Nanterre).
Malgré son titre en forme de bilan général, il s’intéressait essentiellement à la mise en œuvre du caractère inclusif de la loi Hamon de 2014, par le biais des sociétés commerciales de l’ESS et de l’agrément Esus (entreprises solidaires d’utilité sociale). La journée était introduite par Édith Archambault, professeur émérite et vice-présidente de l’Addes, qui a souligné la célérité avec laquelle les décrets d’application avaient été promulgués, au regard de la panne législative qui ralentit l’épanouissement de l’ESS dans nombre de pays européens, dont l’Espagne.
Un état des lieux des sociétés commerciales de l’ESS
Une première table ronde réunissait Chloé Leureaud, Benjamin Roger et Camille Azière, chargés de mission du CNCRESS. Ceux-ci ont présenté les résultats de l’étude remarquable menée par l’Observatoire national de l’ESS- CNCRESS (Téléchargeable ici) sur les caractéristiques des sociétés commerciales de l’ESS, forme statutaire créée par la loi du 31 juillet 2014 pour les entreprises se rapprochant des exigences du secteur en
matière de gouvernance, de gestion éthique et de recherche d’utilité sociale. Il ressort de cette étude qu’il s’agit majoritairement de TPE (très petites entreprises) appartenant à des secteurs d’activité généralement non investis par l’ESS (soutien aux entreprises pour un tiers d’entre elles, entreprises de construction, etc.). Le répertoire de données officielles Sirene établissait en avril 2017 le chiffre de 236 sociétés commerciales de l’ESS, ce qui apparaît dérisoire, même en tenant compte d’une inévitable progression au cours de l’année écoulée, dont la mesure n’a pas été publiée. Leur répartition géographique est très inégale : l’Île-de-France arrive en tête, suivie de la Nouvelle-Aquitaine et de la Bretagne.
À partir de l’enquête menée par le CNCRESS, les intervenants ont énoncé les diverses motivations de ces entreprises à intégrer « l’écosystème de l’ESS » : accès au réseau, à des dispositifs de financement spécifiques comme ceux mis en place par les collectivités locales, avantages financiers. Ce statut permettant d’allier projet social et dimension économique peut être, pour une société commerciale, un moyen de valoriser ses pratiques sociales ou environnementales auprès des partenaires publics et privés, ou en interne. Certains participants au séminaire ont fait remarquer que l’obligation d’une gouvernance démocratique apparaît vide de sens lorsque la société concernée ne comprend qu’un ou deux salariés... Un cas de figure fréquent que n’ignore pas la loi, puisqu’elle stipule que la gouvernance démocratique peut être partagée avec les parties prenantes extérieures à l’entreprise.
Questions autour du non-recours à l’agrément Esus
Les entreprises désirant aller plus loin dans la reconnaissance de leur utilité sociale ont la possibilité de demander l’agrément Esus, second objet d’étude de ce séminaire. L’agrément Esus a été d’abord introduit par la loi Fabius en 2001 pour permettre le fléchage de l’épargne salariale solidaire, avant d’être rénové par la loi de 2014. Il ne concerne pas les entreprises menant une activité sociale dont l’utilité sociale est évidente, comme celles relevant des secteurs de l’insertion, des établissements sanitaires et sociaux, etc. Par contre, il est censé constituer un levier de développement pour les entreprises éligibles, qui peuvent prétendre à l’obtention de financements privés, en particulier ceux issus de l’épargne salariale solidaire. En dépit de cet avantage, en mars 2017, on comptait seulement 967 entreprises agréées Esus, représentant 0,4 % des entreprises ESS : la plupart d’entre elles sont des sociétés commerciales de l’ESS. Le fait est que l’obtention de l’agrément, comme sa mise en œuvre, posent de nombreux problèmes. La présentation du cas francilien par Léo Voisin (Cress Île-de-France), vient confirmer les tendances nationales, avec des chiffres qui surprennent par leur modestie. Sur 27 000 entreprises de l’ESS recensées sur ce territoire, 180 seulement sont agréées Esus. D’une part, les sociétés qui font la démarche de demander l’agrément se heurtent à l’arbitraire des critères administratifs (différents d’une région à l’autre) et aux contraintes d’une administration insuffisamment équipée en personnel informé et en matériel adéquat. D’autre part, il s’avère que les entreprises potentiellement concernées ne cernent pas suffisamment l’intérêt de ce dispositif, tandis que les composantes historiques de l’ESS (notamment les mutuelles et les coopératives) n’éprouvent pas le besoin de se faire agréer.
Michel Abhervé, professeur associé à l’université Paris Est-Marne-La-Vallée, a résumé en ces termes un constat partagé par de nombreux participants à ce séminaire : « On ne comprend toujours pas à quoi sert le label Esus pour les entreprises qui sont dans l’ESS depuis longtemps, mais on voit bien à quoi cela sert pour celles qui ne sont pas dans l’ESS. »
Des ambiguïtés persistantes
À l’inverse des questionnements que suscite le non-recours à ce dispositif Esus pourtant avantageux, se profile la possibilité de voir se renforcer un phénomène ancien : le ralliement simplement opportuniste à l’économie sociale. Public et intervenants se sont exprimés sur le risque de voir certaines sociétés commerciales demander l’agrément avant de détourner – en toute légalité – les avantages financiers qui en découlent au profit des filiales qu’elles auraient créées. En fin de compte, le problème n’est pas tant que l’agrément Esus soit souvent compliqué à obtenir, mais qu’il le soit pour des raisons administratives et non du fait d’une vigilance sourcilleuse quant à la réalité du caractère d’utilité sociale de l’activité des entreprises candidates et leur conformité avec le référentiel éthique de l’ESS. D’ailleurs, la non-réponse de l’administration dans des délais raisonnables peut valoir acceptation... Les échanges avec un public averti se sont poursuivis autour de la présentation du Guide des bonnes pratiques des entreprises de l’ESS par Gérard Leseul, président de la commission « Gouvernance » du Conseil supérieur de l’ESS.
Derrière les considérations techniques et méthodologiques, les enjeux théoriques et sémantiques sur les contours de l’ESS ont été évoqués tout au long des débats, avec une récurrence du qualificatif « ambigu » quand il s’agissait de qualifier divers aspects de la loi de 2014. Ce propos d’étape sur la mise en œuvre de cette législation prometteuse, loin d’esquisser un bilan satisfaisant, invitait les différents acteurs à mobiliser leurs efforts pour achever le chantier.
Patricia Toucas-Truyen
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