Social and Solidarity-based Economy and Territory. From embeddedness to co-construction
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Xabier Itçaina et Nadine Richez-Battesti (dir.), Ciriec, Peter Lang, 2018, 376 pages
Enfin un ouvrage consacré aux liens entre l’économie sociale et solidaire et le territoire ! Fruit des réflexions du groupe de travail « Social and Solidarity-based Economy and Territory » du Ciriec, il rend compte, sous la direction de Xabier Itçaina et Nadine Richez-Battesti, des travaux de ce groupe sur l’analyse des relations entre ESS et territoire. Son angle d’étude est aussi intéressant que relativement peu abordé, ce qui est curieux pour un sujet à ce point d’actualité. L’analyse de la construction de la notion de territoire a fait l’objet de très nombreux travaux en sciences régionales (économie, sociologie, sciences de gestion, analyse spatiale, économie de la proximité, etc.), mais l’exploration des relations entre ESS et territoire avait tendance à être oubliée. Ce livre propose de combler ce manque au moyen d’études de cas.
L’ouvrage précise en introduction le cadre théorique partagé, puis se conclut en dessinant les enseignements croisés offerts par la synthèse des réflexions du groupe du Ciriec. Il se divise en douze chapitres portant sur des études de cas menées dans neuf pays sur les continents européen et nord et sud-américains afin d’illustrer la diversité des situations. Ces chapitres sont ordonnés en deux parties. La première analyse les effets des changements socio-économiques et politiques sur les liens entre ESS et territoire. La seconde s’intéresse aux nouvelles formes et stratégies de coopération au niveau local entre des acteurs hétérogènes incluant les acteurs publics. L’intérêt est ainsi de considérer quatre sous-thèmes : la diversité des liens entre ESS et territoire, le jeu des différentes échelles territoriales et le rôle des politiques publiques étudié sous deux angles : la contribution de l’ESS à la gouvernance territoriale et la dimension territoriale des mouvements sociaux.
L’ouvrage entend éviter deux écueils, celui d’une vision angélique d’un territoire sublimé et celui d’une opposition stérile entre une ESS « market-oriented » et une autre « public-oriented ». C’est pourquoi le groupe a choisi de procéder par études de cas. Les auteurs partent du principe que le territoire est un construit social qui se décline en différentes dimensions : la façon dont se structurent les territoires à travers les cas de la banque coopérative (chap. 2), des circuits courts alimentaires (chap. 4), des projets transfrontaliers (chap. 3), de la gestion de l’eau au Venezuela (chap. 5), ou encore la recomposition des territoires par l’économie sociale avec le concept « inclusive economic participation » (chap. 7), les innovations sociales (chap. 8) et les mécanismes de construction sociale, décortiqués pour rendre compte de la diversité des processus engagés. À titre d’exemple, le chapitre 2 explicite les mécanismes à l’œuvre dans l’ancrage de la banque coopérative afin de montrer comment le territoire est au cœur de l’identité et de la performance coopératives, en soulignant le rôle joué, dans l’attribution des crédits, par une animation des territoires plutôt que par une logique traditionnelle de rentabilité.
L’ouvrage s’intéresse aussi à l’action de l’ESS dans la formation et la gouvernance territoriales. Dans le cas du Pays basque (chap 3), le tiers-secteur tel que défini par Laville (2000), dans lequel les organisations fournissent des biens et des services sans maximiser leurs profits, permet d’analyser le rôle de l’ESS dans l’émergence de la gouvernance des réseaux entre pays transfrontaliers, pour identifier les facteurs formels et informels influençant la formation et la structuration des territoires.
Citons également le chapitre 4, qui met en exergue le rôle de l’ESS dans la constitution des « farmers markets », ou circuits courts de proximité, pour recréer un lien entre producteurs et consommateurs. L’ouvrage apporte enfin des éclairages sur le potentiel de l’ESS dans les innovations sociales et la dynamique des acteurs publics. Ainsi, le chapitre 8 souligne les nouvelles formes d’innovations sociales au niveau des territoires au Portugal, ou comment transformer un problème social en opportunité pour créer une valeur économique et sociale. Enfin, l’innovation sociale devient une source de régénérescence des clusters d’activités pour un développement territorial durable (chap. 11).
Cet ouvrage apporte des arguments concrets à l’idée souvent assénée d’une ESS naturellement ancrée territorialement. D’une part, il explicite la façon dont l’ESS participe à la spécificité des ressources territoriales, et en conséquence à la construction des territoires. D’autre part, il investit le processus de coconstruction, qui n’est pas vertueux per se mais dépendant d’une combinaison d’acteurs et de facteurs locaux (économiques, sociaux et environnementaux). Enfin, il aborde la contribution des politiques publiques aux réseaux localisés et la structuration de la gouvernance territoriale. Le choix d’une analyse comparative permet ainsi de révéler la richesse des liens noués entre l’ESS et les territoires, d’examiner les différentes échelles d’action qui s’enchevêtrent et d’aborder l’action publique à la fois sous l’angle des politiques publiques dans la gouvernance territoriale et via la dimension territoriale des mouvements sociaux. Ainsi l’ESS apparaît-elle, à travers cette grande diversité, comme une forme d’organisation alternative et innovante pour faire face aux crises économiques et réduire les inégalités sociales et territoriales. L’ouvrage se conclut sur les pistes de recherche à poursuivre. Espérons que cette invitation à renforcer les travaux de recherche conceptuels comme appliqués soit entendue.
Maryline Filippi
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