Séminaire Innovation sociale, agriculture et alimentation durable, 7 oct 2014, Paris

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Commerce équitable, circuits courts alimentaires, maintien de l’agriculture paysanne, accès solidaire à la terre, distribution de paniers, jardins partagés ou solidaires, agriculture urbaine, épiceries sociales et solidaires, consommation engagée ou critique, autoproduction accompagnée, etc., nombre de pratiques socio-économiques sont présentées comme innovantes car concourant à une alimentation plus durable au regard des modes dominants de production, de distribution ou de consommation dans l’agroalimentaire. Parfois rattachées au giron de l’économie sociale et solidaire et à sa revendication de produire, échanger et consommer autrement, souvent ancrées dans des démarches locales pragmatiques, elles sont plus ou moins récentes et bénéficient aujourd’hui de soutiens publics qui renforcent mais aussi fragilisent les initiatives en suscitant de nouvelles opportunités et de nouvelles concurrences. L’accumulation d’études et de recherches permet aujourd’hui de mieux analyser et qualifier les aspects innovants de ces initiatives ainsi que leurs portées régulatrice ou transformatrice.

 

LIEU : Cnam (Salon d’Honneur, 2 rue Conté, accès 37, 1er étage)

Dans le cadre du Labex Sciences, Innovations, Techniques en Société (SITES) et avec le soutien du département SAD de l’INRA et du LISE (CNAM-CNRS), le présent séminaire invite à réinterroger et mettre en perspectives les résultats de recherches sur ces pratiques au regard du concept d’innovation en général et plus particulièrement du concept d’innovation sociale (IS).

Si la notion d’IS n’est pas stabilisée, elle connaît un regain d’attention tant du côté des acteurs socio-économiques que des pouvoirs publics. L’IS est également devenue un objet de recherche donnant lieu à un nombre croissant de publications et à un renouvellement théorique en particulier en proposant un croisement entre des courants théoriques distincts. La littérature distingue deux façons très différentes de définir et d’aborder l’IS. La première, issue des travaux sur les sciences, techniques et innovations, cherche à comprendre les dimensions sociales des innovations technologiques et organisationnelles en mettant en évidence l’importance des milieux innovateurs, des réseaux socio-techniques ou les systèmes nationaux et sectoriels d’innovation. La seconde insiste sur les spécificités de l’IS telles que l’élargissement des finalités de l’innovation (répondre à des besoins sociaux et/ou des aspirations sociales), l’émergence et le cadrage des problèmes relevant davantage de pressions et d’évolutions sociétales que d’évolutions économiques et technologiques, une diversification des acteurs de l’innovation au-delà des mondes de l’entreprise et de la recherche techno-scientifique, la construction participative de solutions. Des croisements se sont opérés entre ces deux courants, à travers une attention portée par le premier à une démocratisation des enjeux technologiques et par le second à une vision plus entrepreneuriale. Il en résulte en ce début de XXIe siècle une offre institutionnelle en matière de soutien par les pouvoirs publics qui, elle-même, se répartit selon deux axes : l’un marqué par les épreuves marchandes et l’action privée, l’autre plus axée sur une économie plurielle et un renouveau de l’action publique. Ces deux orientations situent l’IS comme une réactualisation d’un débat récurrent sur la solidarité forte ou faible (Klein, Laville, Moulaert, 2014).

Il est possible de repérer plusieurs dimensions d’innovation dans la production agricole et dans la consommation alimentaire qui font écho aux caractéristiques très générales de l’IS. La dimension sociale ou solidaire peut d’abord viser à améliorer la situation de producteurs ou consommateurs disqualifiés ou marginalisés par rapport aux systèmes de production et de consommation dominant : amélioration des revenus des petits producteurs au Sud, maintien d’une agriculture paysanne ou aide à l’installation d’agriculteurs bio, aide alimentaire à des personnes en situation de précarité. Dans ce cas, c’est souvent le public ciblé par l’innovation qui permet de la qualifier de sociale.

Mais d’autres initiatives ont une portée qui va au-delà de la seule dimension d’insertion (au sens d’accès au marché, à un emploi ou à une consommation alimentaire ordinaire) et qui vise à répondre à des aspirations sociales à produire, échanger ou consommer autrement. Il s’agit alors d’expérimenter des modes de production, d’échange, de commercialisation, de distributions alternatives ou complémentaires à la rationalisation industrielle des biens alimentaires. Les finalités affichées visent à diffuser des pratiques agricoles durables ou bio, à adopter une alimentation plus durable, à relocaliser et maintenir la production agricole, y compris en milieu péri-urbain, à favoriser de nouveaux rapports entre producteurs et consommateurs en mettant en place des circuits courts, à répartir de manière plus juste les termes de l’échange, à lutter contre la dépendance alimentaire des territoires, à maintenir des commerces de proximité… (Chiffoleau, Prévost, 2012).

Ces études conduisent à pointer quatre thèmes essentiels :

- les relations aux savoirs et à la production de connaissances : importance renouvelée des savoirs locaux ; innovations ascendantes et horizontales ;

- les coordinations marchandes : chaines de valeurs qui intègrent de nouveaux attributs et d’autres façons de qualifier les produits ; formes d’engagement des producteurs et des consommateurs dans la transaction marchande (plus relationnelle, participative, domestique, de proximité);

- l’inscription de la production et des échanges dans les espaces sociaux : relocalisation de la production et des échanges dans des territoires ou dans des bassins urbains ; formes de gouvernance alimentaire locale qui mobilisent les consommateurs, les producteurs, les collectivités locales et les pouvoirs publics ;

- les formes d’organisation et le rapport au droit : regain d’intérêt pour les formes associatives ou mutualistes liées au développement de formes de propriété et de responsabilité collectives, à des transformations des rapports à la terre, au travail et aux produits.

Le séminaire s’attachera particulièrement à l’analyse des processus de généralisation ou de diffusion de l’innovation sociale et à la façon dont les processus d’émergence conditionnent de telles innovations. Il s’agira notamment de mettre en débat différentes approches de la diffusion :

- celles émanant des théories de l’innovation technologique et de la façon dont elles conceptualisent les processus de généralisation/diffusion : rôle de l’entrepreneur, rendements croissants liés à la standardisation et aux effets d’échelle, mimétisme, processus de destruction créatrice, effets de verrouillage, trajectoires de transition, etc. ;

- celles liées aux études de l’Innovation sociale qui cherchent à analyser les modes de diffusion différents des épreuves marchande et industrielle en faisant référence à d’autres acteurs, d’autres processus et utilisant une autre sémantique : référence au mouvement social, à la constitution de fédérations ou réseaux organisés, à l’action des collectivités territoriales ; exemplarité, stratégies différenciées d’essaimage, systèmes alternatifs à côté du système dominant, pressions sur les politiques publiques, etc. (Demoustier, Artis, Lambersens 2012).

On cherchera ainsi à identifier les obstacles et les freins à la diffusion de l’innovation sociale et la façon de les lever. On s’interrogera sur la portée heuristique du rapprochement avec les théories de l’innovation en analysant les risques d’une banalisation de l’IS qui réduirait sa portée transformatrice. On s’interrogera aussi sur les rôles de la recherche et des chercheurs, notamment en sciences humaines et sociales, dans les processus de légitimation, de traduction et d’appropriation des innovations sociales.

Programme

9h30 – Accueil

Jean-Louis Laville (CNAM-CNRS, LISE), Pierre-Benoît Joly (INRA, IFRIS)

9h45-11h - Innovation sociale et mise à l’épreuve des modèles de l’innovation

• Pierre-Benoît Joly et Jean-Louis Laville : « Les théories de l’innovation face à l’innovation sociale »

• Nadine Richez-Battesti (LEST, Université de Provence) : « Spécifier et catégoriser des processus de diffusion de l’innovation sociale : tensions entre modèles, conditions et obstacles à leur diffusion »

11h-13h – Nouvelles formes de coordination marchandes et d’engagements dans les transactions : quelles perspectives pour un changement d’échelle ?

• Ronan Le Velly (Montpellier SupAgro, UMR Innovation), Ivan Dufeu et Laurent Le Grel (Oniris, Largecia) : « Faut-il rester petit pour rester alternatif ? »

• Emmanuelle Besançon (CRIISEA, Institut Jean-Baptiste Godin) : « Innovation sociale et économie plurielle, le rôle des mécanismes économiques dans les processus de diffusion et de changement. Le cas d’une société coopérative de consommation en circuit court alimentaire. »

• Alison Loconto (INRA, UR Sens) : « Les systèmes de garantie participatifs »

Discussion : Estelle Bienabe (CIRAD, UMR Innovation)

13h-14h15 : déjeuner

14h15-15h30 – Relocalisation des échanges et valorisation des savoirs locaux : vecteurs d’une transformation sociale ?

• Yuna Chiffoleau (INRA, UMR Innovation), Dominique Paturel (INRA, UMR Innovation) : « La transformation sociale par l’innovation sociale : le cas des circuits courts alimentaires »

• Elise Demeleunaere (CNRS-MNHN, UMR Eco-anthropologie et ethnobiologie) : « Dynamique des savoirs et construction d’un mouvement social : la réappropriation des semences paysannes »

Discussion : Eric Doidy (INRA, UMR Cesaer)

15h30-16h45 - Nouvelles formes d’organisation et évolution du rapport au droit : vers des innovations institutionnelles ?

• Gilles Allaire (INRA, US ODR) – « Critique et innovations institutionnelles dans le régime de propriété intangible »

• Danièle Demoustier (IEP Grenoble) - « Les dimensions de l’innovation (sociale, organisationnelle, institutionnelle) dans et par l’Economie sociale et solidaire : l’exemple de la consommation alimentaire »

Discutant : Laurent Fraisse (LISE)

16h45-17h – Perspectives ! Jean-Louis Laville, Pierre-Benoît Joly

Le séminaire réunira entre 30 et 50 chercheurs pour analyser et échanger sur les processus d’émergence et de diffusion des innovations sociales dans les domaines agricole et alimentaire autour de quatre entrées : Autres modes de commercialisation et consommation ; Territoires et gouvernance alimentaire locale ; Co-production, réappropriation et transmission des savoirs ; Nouvelles formes de coopérations productives et émergence de figures professionnelles et entrepreneuriale

Comité d’organisation : Yuna Chiffoleau, Pierre-Benoit Joly, Jean-Louis Laville, Allison Loconto, Laurent Fraisse, Marianne Cerf.

Inscription

La participation est libre mais le nombre de places étant limité l’inscription est obligatoire auprès de Julie Rust - rust@ifris.org, avec copie à Laurent Fraisse - laurent.fraisse@lise.cnrs.f et Yuna Chiffoleau – chiffole@supagro.inra.fr