ONG : dépolitisation de la résistance au néolibéralisme ?
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Alternatives Sud, Volume XXIV-2017,
n o 2, Cetri, Syllepse, 177 pages.
La revue Alternatives Sud édite depuis 1994, à l’initiative du Centre Tricontinental (Cetri) (Consultable sur le site : Cetri.be), des dossiers thématiques trimestriels sur les enjeux Nord-Sud. Leur intérêt est de porter à la connaissance de lecteurs francophones (et d’autres langues également) des contributions d’auteurs du Sud et, par-là, une analyse internationalisée illustrée par la diversité des contextes et des points de vue exprimés. Le dernier numéro présente une série de contributions sur les organisations non gouvernementales (ONG), comprises comme vecteur privilégié du changement social aux échelles nationales et internationales. Alors qu’il y a déjà vingt ans (volume IV-1997, n o 1), la revue interrogeait le rôle et la légitimitéde ces dernières en tant qu’outil de mobilisation et de contestation du néolibéralisme, dans le présent numéro elle fait état de l’essor de ces associations et de l’institutionnalisation des mouvements sociaux que les ONG ccompagnent comme interlocutrices attitrées des Etats dont elles sont le prolongement à l’échelle internationale, via le financement des agences d’aide au développement.
Les contributions traitent de l’Asie (Thomas Gebauer et Shankar Gopalakrishnan) et plus particulièrement du mouvement indien des femmes (Srila Roy), des associations palestiniennes (Walid Salem), de l’Amérique latine (David Dumoulin Kervran et José Luis Rocha), de l’Afrique subsaharienne (Maria Nassali et Léon Koungou), et enfin, des organisations environnementales à l’échelle internationale (Alain Le Sann).
Basé sur ces contributions, l’article introductif de Julie Godin intitulé « ONG : dépolitisation de la résistance au néolibéralisme ? » souligne la difficulté d’appréhender la nébuleuse des ONG en raison de leur diversité (taille, échelle d’intervention, contexte de création, champ et mode d’action, fonctionnement, nature juridique, source de financement, etc.) et des différences de perception entre le Nord et le Sud à leur égard. Il rappelle le lien entre le néolibéralisme qui s’est imposé après la chute du mur de Berlin au travers de la notion de « bonne gouvernance » promue par les organisations internationales (Banque mondiale en particulier), et l’essor des ONG comme prolongement d’un Etat réduit au minimum. Ce faisant, les ONG témoignent de la contradiction existante entre une vision « d’élargissement de la démocratie » qu’elles incarnent comme forme de représentation de la société civile, et le rétrécissement du champ de la citoyenneté qu’elles peuvent traduire comme forme de représentation « d’un espace et d ’acteurs sociaux particuliers » (p. 11). Ce risque de « privatisation de l’intérêt public » (p. 170) peut s’illustrer par l’exemple de la question environnementale en Amérique latine où la montée des débats dans les années 1990-2000 s’accompagne de la baisse de moitié des fonds publics pour la conservation de l’environnement et d’une montée en puissance de grandes ONG internationales sur le sujet, notamment via la certification environnementale.
Des ONG entre professionnalisation et normalisation
Trois enjeux transversaux sont retenus pour l’analyse : le phénomène de « privatisation par voie d’ONG », les risques liés à la professionnalisation des ONG, et le paternalisme et le « réformisme » qui accompagnent, encore trop souvent, leurs modes d’action (p. 8). Derrière ces différents enjeux, c’est la problématique du financement de ces organisations qui est surtout posée : elle se retrouve dans la plupart des contributions, sous divers aspects. Le dossier souligne par exemple que les financements externes ont tendance à gagner les organisations « de membres », même celles issues des mouvements sociaux et syndicats (p. 30). Ainsi, alors que la logique d’une organisation demeure « guidée par les besoins de sa propre reproduction » (p. 103), une tension permanente existe entre la dépendance des ONG – latino-américaines par exemple, vis-à-vis de la source de financement « qui tient le crachoir » (p. 123) et la volonté démontrée, illustrée par le mouvement indien des femmes, de préserver l’indépendance, les orientations politiques ou le travail réalisé (p. 57). Les contributions analysent également d’autres impacts de ces financements qui s ’effectuent de plus en plus par un mécanisme de délégation de fonds issus de l’aide au développement et poussent à la professionnalisation des ONG, sans renforcer les relations de partenariat à long terme.
Par ailleurs, alors qu’elles peuvent constituer pour certaines élites locales de nouveaux canaux de promotion sociale (p. 99), les ONG accentuent également, malgré elles, les situations professionnelles précaires par l’exter-nalisation des coûts, la flexibilité accrue du travail, l’alignement par le bas des salaires, la disparition des droits sociaux, etc. Enfin, leur tendance à se spécialiser sur des inégalités (citoyenneté, genre, environnement, etc.) induit une fragmentation croissante des organisations qui limite leur « horizon d’universalité » (p. 96). De fait, dans certains contextes comme l’Ouganda (p. 138), le droit à la liberté d ’association et au pluralisme politique qualifié de « cinquième colonne » par les autorités au pouvoir se voit menacé par un arsenal réglementaire toujours plus répressif. Ce risque politique peut s’avérer d’autant plus fort dans certaines situations comme la Palestine où les ONG ont à faire face à la fois aux enjeux de l’occupation israélienne et à la division politique du peuple palestinien (p. 83) (Voir également le reportage « Au nom des “martyrs”, sombres héros de la Palestine » de Piotr Smolar, sur les ONG à l’occasion des 50 ans d’occupation, dans le journal Le Monde, 1 er juin 2017) .
Vers des partenariats « hybrides »avec les organisations populaires ? José Luis Rocha (« ONG en Amérique centrale : charité institutionnalisée et globalisée ») fait état, par référence à la politologue brésilienne Evelina Dagnino, de la « convergence perverse » entre projets antagoniques qui coexistent au sein d’un même discours et finissent par réduire la citoyenneté et la démocratisation promues par les ONG à la consommation et au marché (p. 117). Mais l’auteur rappelle également, selon sa métaphore, l’importance de faire la différence entre un « émissaire du diable » et quelqu’un qui « succombe à la tentation ». Il serait en effet un peu court d’assimiler systématiquement les ONG au cheval de Troie de la néolibéralisation du monde. Les causes de l’affaiblissement de l’engagement collectif, l’effet du chômage sur la précarisation de l’emploi, le tournant managérial dans la gestion, y compris étatique, ne sont pas des conséquences dues à l’essor des ONG, loin s’en faut. Il est par contre nécessaire – et le dossier y contribue –, de mesurer en permanence les limites de l’action des ONG, et de valoriser, comme suggéré pour le mouvement indien des femmes (p. 65), les partenariats ou « contributions hybrides » entre organisations populaires et ONG. De la même façon, il est nécessaire, y compris au Sud, d’appréhender l’aide humanitaire et la solidarité internationale de façon globale (p. 152) et de contribuer à la « repolitisation » des associations (p. 42) par différentes voies, dont la réflexion critique autour de leurs actions, la recherche d’autonomie (notamment par la diversification de leurs financements) et, malgré les écueils, leur mise en réseau susceptible d’amplifier leur prise de parole.
François Doligez
Iram, Inter-réseaux développement rural (Réseau d’échange euro-africain sur le développement agricole et rural (www.inter-reseaux.org))
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