Les Monnaies alternatives
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Jérôme Blanc, La Découverte, 2018, 127 pages
Dans ce livre de la collection « Repères », Jérôme Blanc livre une synthèse érudite des monnaies alternatives qui permet de prendre du recul sur un ensemble d’innovations dont beaucoup sont rattachées à l’économie solidaire ou à l’engagement citoyen. Après un état des lieux des différentes expériences, (chapitre 1), l’ouvrage esquisse un cadre théorique institutionnaliste approprié à la compréhension de ces innovations (chapitre 2). Les chapitres 3 et 4 présentent les grandes caractéristiques et tendances des monnaies destinées, d’une part, à renforcer les échanges locaux et, d’autre part, à soutenir l’activité économique. Enfin, le dernier chapitre conclut sur les enjeux et perspectives de ces monnaies.
La diversité du phénomène – des systèmes d’échanges locaux au bitcoin – est organisée en sept groupes d’expériences, classés de façon thématique (p. 13). Les généalogies d’une monnaie à l’autre sont retracées, et le premier chapitre est abondamment illustré à partir de nombreuses initiatives dont la Recma s’est fait l’écho (systèmes d’échanges locaux, Banco Palmas au Brésil, trueque argentin, Sol dans la région toulousaine, etc.). L’institutionnalisme qui constitue le cadre de référence théorique permet d’analyser les « économies morales » qui sous-tendent les monnaies alternatives, et le chapitre 2 présente les pistes d’analyse qui bousculent les cadres dominants des théories de la monnaie « pour en appeler d’autres » (p. 37). Les formes d’intégration développées par Karl Polanyi sont mobilisées pour identifier les spécificités des différents modèles.
Plusieurs registres critiques (anticapitaliste, antibancaire ou décentralisateur) sont proposés à l’appui de la contestation sur laquelle ces monnaies s’appuient. Dans ce chapitre, l’auteur montre également comment les systèmes de crédit mutuel induisent une forme de réciprocité permettant d’établir des rapports de solidarité entre les membres.
Un soutien au lien social de proximité
Les contributions des dispositifs monétaires alternatifs aux dynamiques économiques et sociales sont ensuite analysées. Le chapitre 3 se concentre sur les monnaies au service de communautés locales inclusives. Les résultats présentés montrent en quoi ces monnaies sont surtout féminines (p. 58). Les motifs d’adhésion – politiques, sociaux, économiques ou plus personnalisés – sont décrits. Si la monnaie ne se réduit pas à un outil unique et neutre pour les échanges marchands, l’objectif des associations monétaires est de rechercher de « bonnes monnaies » conçues comme des communs opposés à la privatisation monétaire (p. 66). En termes de réalisations, Jérôme Blanc examine ici les contributions aux revenus, très hétérogènes, ainsi que le rapport à l’emploi, diffus et variable. Mais toutes les enquêtes montrent l’importance de ces innovations dans le soutien du lien social de proximité (p. 77).
Les rapports entre innovations monétaires et politiques publiques sont abordés, de l’hostilité à l’intégration suivant les périodes et les contextes. Dans plusieurs pays du Sud, les autorités ont lancé des enquêtes, parfois arrêté des responsables (notamment en Afrique subsaharienne, où les monnaies « postcoloniales » font l’objet de contestation, quoique ce continent peine à susciter ce type d’innovations en raison de la fragilité de la liberté d’association et du faible dynamisme de la société civile) ou entravé le développement de ces initiatives (p. 105). Et si les statistiques ont du mal à appréhender l’amélioration de la qualité de vie des personnes à faibles revenus, la conclusion du chapitre suggère de nuancer la capacité des monnaies alternatives à traiter en profondeur le double problème de la pauvreté monétaire et de l’exclusion (p. 82).
Le chapitre 4 s’intéresse au rôle des monnaies alternatives dans le soutien et la réorientation de l’activité économique. Elles visent une accélération des transactions au service d’un objectif de transformation au niveau d’un territoire de prédilection (p. 89). Parmi les études rapportées, la comparaison du multiplicateur avec et sans monnaie locale révèle que celui-ci est de près de 15 % plus élevé sur dix cycles de circulation du revenu en 2002 à Fortaleza, au Brésil, après une injection de Palmas afin de régler salaires et matériaux pour construire une école.
En ce qui concerne les vitesses de circulation des monnaies, l’ouvrage rappelle que les chiffres observés dans certaines études ne sont pas, à ce stade de la recherche, extrapolables. Plus généralement, il est observé que la fonte et l’immobilisation menacent tous les dispositifs et que, pour limiter ce risque, il est essentiel de les animer en permanence (p. 93), alors que les temps de maturation sont longs et exigent beaucoup d’énergie militante et d’éducation citoyenne. Bien que les monnaies locales puissent jouer un rôle dans le financement des activités économiques locales à vocation solidaire ou écologique et trouver leur place aux côtés de la finance solidaire qu’elles contribuent à territorialiser par des circuits courts, le nombre d’usagers et le volume des transactions ne sont pas de nature à provoquer des effets visibles au niveau méso (p. 97).
Une hyper-monétarisation de la société ?
Au total, l’ouvrage estime à plus d’une soixantaine le nombre de monnaies locales en circulation en France en 2017, mais moinsde dix dépassent le millier d’utilisateurs. À l’échelle européenne, quelques dispositifs plus importants sont présentés (tableau p. 100). Certaines mesures peuvent néanmoins accompagner leur développement comme, en France, la réglementation des titres de services (tickets-restaurants), le« titre de monnaie locale complémentaire » dans la loi sur l’économie sociale de 2014 ou les innovations dans les domaines du paiement numérique (p. 105). Les collectivités, en acceptant la monnaie locale en règlement de certains services publics ou pour le paiement de certaines dépenses, peuvent également dynamiser les expériences locales. Le dernier chapitre ouvre des voies pour « repenser la monnaie » à partir de ces inno- vations. Le rapport ambigu des monnaies alternatives avec le néolibéralisme est souligné, en ce qu’elles peuvent ouvrir certaines formes de démocratie et de participation dans le contrôle monétaire tout en portant le risque d’hypermonétarisation de la société par la multiplication des monnaies et la monétarisation élargie des rapports sociaux.
Si leur généralisation comme leur disparition semblent peu probables, Jérôme Blanc ouvre en conclusion plusieurs scénarios pour penser leur avenir : maintien d’une marginalité créative, étouffement progressif ou récupération, sans négliger la possibilité d’une transformation réciproque entre les monnaies alternatives et le système monétaire et financier. C’est dire l’intérêt qu’il est nécessaire de leur porter, et l’ouvrage constitue une base utile, ouverte à un large public, pour s’y initier.
François Doligez, Iram
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