Les Journées de l’économie autrement : l’âge de raison ?
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La 7e édition des Journées de l’économie autrement (JEA) a eu lieu les 25 et 26 novembre 2022 à Dijon (Bourgogne-Franche Comté). Organisées depuis 2016 par le magazine Alternatives Economiques, les JEA abordent, pendant deux jours, les grands enjeux de société : emploi, mondialisation, aussi bien qu’alimentation, logement ou santé. L’objectif de ces Journées : permettre au public de mieux comprendre l’économie et la société, et favoriser le débat démocratique autour de ces enjeux. Mais aussi valoriser ceux qui font l’économie autrement, notamment les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui contribuent positivement aux transformations du monde, et donner envie d’agir.
Enfin, permettre à un public varié de se rencontrer et de débattre : universitaires (économistes, historiens, sociologues, philosophes…), élus de différents territoires, décideurs publics, syndicalistes, acteurs de terrain, citoyens engagés, étudiants, lycéens…
En 2022, l’événement a rassemblé environ 160 intervenants et plus de 2 600 participants, avec la présence notable de plusieurs classes de lycées de la région Bourgogne-Franche Comté et d’étudiants de masters ESS venus de toute la France (Lille, Bordeaux, Rennes, Paris 8). Soit un tiers de participants de plus qu’en 2021 – année certes encore marquée par les vagues de Covid et le port du masque obligatoire –, ce qui souligne le besoin de nos concitoyens de se retrouverpour débattre et se préoccuper de l’avenir de nos sociétés.
De nouveaux formats
L’édition 2022 aura été marquée par de nouveaux formats et plusieurs temps forts. Le format des « grands entretiens », d’abord, mettait face-à-face, sur scène, un expert et un journaliste d’Alternatives Economiques spécialiste des sujets abordés. Trois événements ont ainsi été proposés : l’un autour du dérèglement climatique avec la climatologue Valérie Masson-Delmotte, membre du Haut Conseil pour le Climat et coprésidente d’un des groupes de travail du Giec ; le deuxième avec l’économiste Lucas Chancel, autour des inégalités ; et le troisième avec le sociologue François Bafoil, sur l’eau face au dérèglement climatique.
Autre nouveauté : la présentation d’ouvrages sortis dans l’année et la discussion autour de ces publications en présence de l’auteur. Cela a été le cas de plusieurs livres liés à l’ESS, notamment La fabrique de l’émancipation, de Jean-Louis Laville, ou Pour une économie de la réconciliation, de Jérôme Saddier. Un atelier proposait également une analyse comparative, questionnant la radicalité de l’ESS, entre Être radical, de Bastien Sibille et Hugues Sibille, et Un notre monde est possible, de Sébastien Chaillou-Gillette et Stéphane Pfeiffer, deux ouvrages ayant reçu le Prix du livre sur l’ESS en 2022, le premier dans la catégorie « Témoignages », le deuxième dans la catégorie « Experts ».
La loi de 2014 doit-elle évoluer ?
Plusieurs débats des JEA étaient consacrés spécifiquement à l’actualité de l’ESS. Ainsi, une table ronde sur le bilan et les perspectives de la loi de 2014 sur l’ESS, a rassemblé Jérôme Saddier, président d’ESS France, Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, Dominique Joseph, secrétaire générale de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF), Jonathan Jérémiasz, ancien président du mouvement Impact France, et Michel Abhervé, ancien professeur associé à l’Université de Marne-la Vallée, autour de Jean-Louis Cabrespines, ancien président du CN-Cress. Dans un contexte où Marlène Schiappa, actuelle secrétaire d’État en charge de l’ESS, a annoncé la possibilité d’une nouvelle loi sur le sujet, le débat s’est notamment crispé autour de la réécriture potentielle de l’article 1 de la loi de 2014, qui définit l’ESS : revoir le périmètre de l’ESS serait un « casus belli », a ainsi prévenu Jérôme Saddier ; tandis que Jonathan Jérémiasz l’appelait plutôt de ses vœux, estimant qu’il serait légitime de demander aux coopératives, mutuelles, associations et fondations de justifier de leur « utilité sociale » pour qu’elles puissent faire partie de l’ESS, comme on l’exige des sociétés commerciales de l’ESS. Claire Thoury a quant à elle souligné l’importante dimension de reconnaissance politique et symbolique de la loi de 2014, mais a également insisté sur la nécessité de faire voter une loi de programmation et de développement de l’ESS, mettant à la disposition des acteurs, notamment associatifs, de réels moyens financiers pour agir.
Regards d’économistes sur l’ESS
Autre table ronde, celle organisée autour d’une étude en cours de réalisation, « Regards d’économistes sur l’ESS ». Initiée par Le Labo de l’ESS, cette étude vise à comprendre la place de ce « mode d’entreprendre » dans l’analyse économique contemporaine. Autour d’Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS, et de Timothée Duverger, responsable de la Chaire Terr’ESS de Sciences Po Bordeaux, sont intervenus deux économistes interrogés dans le cadre de l’étude. Nadine Richez-Battesti, maîtresse de conférences à l’université d’Aix Marseille, a ainsi souligné la dimension « socio-politique » et « d’engagement » de l’ESS, et sa contribution à la création et au maintien du lien social. Elle la positionne comme une « composante de l’économie plurielle », à la fois économie de la réparation et économie de la transformation, située aux marges du capitalisme, et pour autant essentielle à la bonne marche de la société.
Robert Boyer (1), directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), théoricien internationalement reconnu de l’école de la régulation, a quant à lui insisté sur la place que doit prendre la société civile, et donc l’ESS, entre les deux acteurs que les économistes mainstream opposent habituellement : l’État et le marché. L’ESS permet en effet la mise en œuvre de certaines formes de solidarité, sur lesquelles à la fois l’État et le marché sont défaillants. Elle favorise aussi le développement d’une économie soutenable, au contraire de l’économie de marché, dont la recherche du profit favorise nécessairement, pour Robert Boyer, l’exploitation illimitée des ressources de la planète et le développement des inégalités. L’économiste souligne également que l’ESS contribue à forger la conscience politique et la socialisation, mais aussi qu’elle permet d’ancrer l’économie dans les territoires, au plus près des besoins des citoyens.
Quelle responsabilité des entreprises sur les territoires ?
Enfin, les JEA 2022 ont été marquées par un débat de clôture officielle du Mois de l’ESS autour de la responsabilité territoriale des entreprises. Autour de Timothée Duverger, cette table ronde a rassemblé Jérôme Saddier, Maryline Filippi, professeur d’économie à Bordeaux Sciences Agro et rédactrice en chef de la RECMA, ainsi que deux représentants d’entreprises de l’ESS : Isabelle Durieux Engard, d’AG2R-La Mondiale Bourgogne-Franche Comté, et Claude Verne, administrateur d’Aema Groupe. Dans un contexte de crise sanitaire et de remise en cause des effets de la mondialisation, l’ancrage dans les territoires devient en effet un enjeu de plus en plus stratégique pour les entreprises. Or les acteurs de l’ESS, particulièrement légitimes dans ce domaine, peuvent être moteurs pour organiser des coopérations territoriales autour d’enjeux annonciateurs du « monde de demain », tels que la transition écologique ou la question de la justice sociale.
Pour en savoir plus : www.journeeseconomieautrement.fr Certains des débats mentionnés dans cet article sont accessibles en replay sur ce site et sur la chaîne Youtube d’Alternatives Economiques.
Camille Dorival
Journaliste du mensuel Alternatives Economiques et présidente de l’Association des Journalistes de l’Information Sociale (Ajis)
(1) Robert Boyer prépare un ouvrage intitulé L’économie sociale et solidaire, une utopie réaliste pour le 21e siècle ? à paraître en mars 2023 dans la collection « Mondes en transitions », éd. Les Petits Matins.
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