L’Économie sociale et solidaire. De ses fondements à son « à venir »

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Pascal Glémain, Éd. Apogée, 2019, 1 117 pages.

Pascal Glémain donne ici la synthèse de ses réflexions sur l’économie sociale et solidaire, et sur ses innovations présentes mais aussi passées, tant sociales que territoriales. Il montre qu’« économie solidaire » n’est pas un oxymore. Il en a l’expérience par ses recherches notamment pour Emmaüs ou le Crédit municipal de Nantes. Et bien évidemment il a pu s’appuyer sur le suivi pédagogique de ses étudiant(e)s et sur ses enseignements, d’abord à l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers, puis à partir de 2013 à l’université de Rennes 2.

Au cours des deux dernières décennies de nombreuses publications sur l’économie sociale et solidaire (désignée parfois comme « nouvelle économie sociale ») ont vu le jour dont, dans le seul domaine franco-phone, et sans pouvoir être exhaustif, Marie Bouchard, Éric Dacheux, Jacques Defourny, Danièle Demoustier, Jean-François Draperi, Christophe Fourel, Laurent Fraisse, Laurent Gardin, Daniel Goujon, Alain Gueslin, Jean-Louis Laville, Benoît Levesque, Margie Mendell, Marthe Nyssens, Jacques Prades, Nadine Richez-Batesti. À leurs travaux, on peut ajouter les contributions d’acteurs comme Pierre Calame, Géraldine Lacroix, Romain Slitine ou Hugues Sibille. Pascal Glémain se place dans leur sillage. Espérons qu’un jour un dictionnaire de l’économie sociale et solidaire réunissant ces multiples compétences et points de vue paraîtra aux Presses universitaires de France, comme cela a été le cas pour la pensée écologique, en 2015, sous la direction de Dominique Bourg et Alain Papaux, ou pour les biens communs, en 2016, sous la direction de Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld. Ainsi se trouverait prolongé et élargi le Dictionnaire de l’autre économie paru en 2006 sous la direction de Jean-Louis Laville et Antonio David Cattani.

Actualiser le propos antérieur à la loi de 2014
L’ouvrage de Pascal Glémain actualise le propos de publications antérieures à la loi du 31 juillet 2014, qui a redéfini le secteur en France. Son point de vue apparaît comme celui d’un gestionnaire adoptant une position à la fois pragmatique et appuyée sur l’organisation entrepreneuriale, ce qui le distingue d’économistes ou de sociologues se référant plus ou moins explicitement à un corps de doctrines pour y adhérer ou le critiquer sur une base morale et/ou politique. La bibliographie à la fin de l’ouvrage, tout à fait pertinente pour aller plus loin dans la connaissance du secteur, ne propose toutefois pas un inventaire commenté des principaux sites et listes de discussion, ce qui aurait permis d’actualiser, au-delà du livre, l’information sur les faits, les institutions et les débats en cours. Par ailleurs, si la précision de l’ouvrage est à saluer pour tout ce qui touche au cadre français (avec des incursions en Europe et particulièrement en Belgique), il est dommage que soient peu référencés des mouvements analogues en Amérique latine (notamment au Brésil), en Afrique et en Asie (notamment en Inde) : cela aurait permis de comprendre les spécificités françaises et européennes par rapport aux diverses façons de les penser et les contraintes spécifiques tant d’ordre institutionnel que culturel.

Fondements et financement solidaire
L’ouvrage est sous-titré De ses fondements à son « à venir », ce qui en indique la structure. Dans le premier chapitre, à travers les fondements de l’économie sociale et solidaire, l’auteur évoque l’histoire des courants l’ayant progressivement édifiée, s’arrêtant notamment sur ses origines chrétiennes, et ce depuis le XIX e siècle. Peut-être aurait-il été judicieux de les mettre en parallèle avec le mouvement anglais du socialisme de guilde (qui inspira Karl Polanyi dans ses propositions d’un socialisme opposé au bolchevisme et fondé sur des coopératives). Dans le deuxième chapitre, le rapport de l’ESS à la finance solidaire mériterait d’être davantage interrogé. Celle-ci constitue-t-elle un secteur de celle-là, comme on peut le penser en première lecture, car, notamment, elle accroît les possibilités de son financement par des outils adaptés, présentés de façon didactique ? Ou faut-il comprendre la dimension sociale et solidaire comme une condition essentielle pour resolidifier les économies devenues « liquides », au sens de Zygmunt Bauman ? Ce qui n’est pas sans ambigüités pour ce qui concerne un certain nombre d’initiatives drapées dans la promotion de la solidarité et se révélant a posteriori dominées par la recherche de profit. Si, pendant longtemps, la finance solidaire a pu être comprise comme une fraction de l’économie sociale et solidaire, la financiarisation généralisée confère à ces institutions un rôle essentiel pour reconstruire sur des bases nouvelles l’ensemble de l’économie, et ce depuis les monnaies locales et des modes de crédit mutuel territorialisé jusqu’aux multiples formes d’épargne et de financement solidaires en passant par des structures d’habitat partagé ou des avances aux agriculteurs par une consommation de proximité.

Des évolutions possibles et souhaitables
Le troisième chapitre de l’ouvrage est consacré à l’à venir de l’économie sociale et solidaire, reprenant ainsi la belle expression du sous-titre. On peut regretter que l’auteur recoure à ce terme sans s’appuyer sur certains éléments de la distinction faite par le philosophe Jacques Derrida entre « à-venir » et futur. La différence tient notamment à ce que le futur peut être compris comme un présent décalé dans le temps – un présent que, d’une certaine façon, les « orientations » prolongent et répètent. Alors que l’ « à-venir » est pensé comme dominé par l’imprévisible. Il est donc une projection (terme dans lequel on retrouve « pro-jet ») vers l’inconnu. Avec ce que cela peut comporter de liberté mais aussi de dangers, voire de monstruosités. Pascal Glémain raisonne principalement en termes d’évolutions possibles du secteur (et souhaitables pour le renforcer), ce qui apparente son « à venir » à un futur à la croisée de chemins, plutôt qu’à un « à-venir » totalement ouvert sur l’imprévisible.
Or, l’imprévisible est souvent au rendez-vous de l’histoire. Prenons deux exemples situés dans les origines de l’économie sociale et solidaire en France : la mise en place d’associations de couverture des risques de maladie, puis l’adoption des lois sur les sociétés anonymes dans les années 1860.
Les premières structures de couverture des risques de maladie sont nées de l’auto-organisation de travailleurs inspirés par l’associativisme, alors que la protection sociale est aujourd’hui pensée d’abord sous la forme d’une intervention de l’État, celui-ci ayant absorbé les premières structures. Pour ce qui est des débats sur la mise en place de sociétés anonymes en France, le jeune Léon Walras, inspiré par un socialisme démocratique fondé sur le développement de coopératives, y participa par une proposition de loi (Auguste et Léon Walras, Œuvres économiques complètes, volume VI, Léon Walras, Les associations populaires coopératives, Paris, Economica, voir plus particulièrement p. 57-65.). Ce lien entre société anonyme et socialisme peut nous étonner. La raison en est la séparation d’un lien direct entre la propriété des entreprises et leur gestion. Cette séparation, inspirée du coopérativisme et de l’associationnisme, était alors si évidente pour beaucoup que, lorsque éclata la faillite en 1881-1882 de l’Union générale, une banque catholique et monarchiste (crise transposée par Émile Zola dans son roman L’Argent), certains milieux conservateurs militèrent pour la suppression de la loi sur les sociétés anonymes (inspirée par la loi britannique) et le retour à la seule loi sur les commandites par actions. Qui aujourd’hui penserait les sociétés anonymes par actions comme autre chose qu’un des fondements du capitalisme (en particulier dans l’actuel empire de la liquidité déjà évoqué et de ses spéculations) ? Mais l’histoire n’est pas avare de retournements. En France, certaines organisations de l’ESS ont récemment adopté le statut de sociétés en commandites par actions – par exemple, la Sidi (Solidarité internationale pour le développement et l’investissement), Habitat et Humanisme ou Terre de liens – afin de pouvoir augmenter leur capitalisation sans que l’esprit des fondateurs disparaisse. Cela illustre aussi la fécondité de l’à venir et ses multiples devenirs, y compris sans nul doute les plus inattendus pour ce qui est de l’économie inspirée par la solidarité.

Jean-Michel Servet