Lancement de l’Observatoire de Territoires zéro chômeur de longue durée !
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Le 11 mai dernier avait lieu au campus Condorcet, à Aubervilliers, une journée d’étude organisée par l’association nationale des « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Elle a réuni une quarantaine de chercheurs provenant de disciplines variées, comme la sociologie, l’économie, la gestion ou le droit, pour lancer l’Observatoire de TZCLD. La journée avait pour objectif de construire une culture commune et de dégager des pistes de recherche.
S’il est une expérimentation nationale qui est évaluée sous toutes les coutures, c’est bien TZCLD. Rien que pour sa première phase initiée en 2016, des rapports ont été publiés par le comité scientifique créé par la loi, l’Igas/IGF et le Fonds d’expérimentation. Suite aux résultats globalement positifs de la première phase, mais devant l’impossibilité d’aborder « tous les aspects couverts par cette expérimentation complexe », le Parlement a voté une deuxième phase visant à étendre l’expérimentation au-delà des dix territoires expérimentateurs. On recense aujourd’hui plus de 150 territoires émergents, c’est-à-dire susceptibles de déposer leur candidature.
Le juriste Pierre-Yves Verkindt a donné de la hauteur à la journée dans une introduction magistrale. Il a proposé aux participants une réinterprétation de l’article 5 du Préambule de la Constitution de 1946, souvent cité par les promoteurs de TZCLD : « Chacun a le devoir de travailler et le droit à obtenir un emploi. » Il a alerté sur une lecture contractualiste qui assimilerait à tort le devoir à l’obligation et considérerait le droit comme une liberté fondamentale. Il s’agit d’un droit-créance qui, à ce titre, doit être concilié avec les autres droits. Le droit à l’expérimentation s’avère tout aussi incertain. La France n’en a pas la culture. Non seulement l’expérimentation se heurte à la version rousseauiste de la loi générale et impersonnelle, mais en plus son échec est appréhendé comme une faute à sanctionner plutôt que comme un enseignement. Pierre-Yves Verkindt a conclu son propos en lançant un appel à la philosophie sociale, soulevant des questions concernant l’invisibilité sociale, la centralité du travail, la coopération, la proximité, la reconnaissance, les capabilités ou la méthode de l’expérience. Les échanges ont permis d’en rajouter d’autres comme l’accélération ou l’éthique de l’expérimentation.
La diffusion de l’expérimentation offre de nouveaux terrains de recherches, mais aussi des questions nouvelles. Dans sa revue de littérature, Laurent Gardin, sociologue, a toutefois insisté sur le foisonnement des travaux existant (rapports, thèses, articles, etc.), allant jusqu’à les comparer avec le champ de recherche né de l’insertion par l’activité économique (IAE) dans les années 1980. Ces recherches ont éclairé de multiples dimensions du projet : le rôle du CDI, l’accès à la santé, l’accompagnement et la formation, l’organisation du travail, la démocratie dans l’entreprise, le contenu de l’emploi, les profils des personnes privées d’emploi, les dynamiques territoriales, les modèles économiques, la philosophie du projet, etc.
L’économiste Florence Jany-Catrice a poursuivi en proposant une réflexion sur le statut du chercheur. Elle a particulièrement alerté sur deux écueils : d’une part, l’adoption d’un point de vue trop « indigène » – à travers notamment le vocabulaire (TZCLD est producteur de nombreuses notions) – pouvant faire obstacle au travail d’objectivation ; d’autre part, l’enfermement dans le couple expérimentation-évaluation dont les mesures d’impact présentent des limites pour saisir un projet complexe aux objectifs pluriels. Sur ces deux points, le public de chercheurs a réagi en soulignant que l’évaluation vise à identifier « ce qui a de la valeur » et qu’elle forme pour cette raison un levier de décloisonnement entre les acteurs, la recherche apportant de façon complémentaire une distance critique.
Trois interventions sont enfin venues problématiser des enjeux clés touchant à l’expérimentation de TZCLD : l’inversion de la logique de l’emploi, le non-recours et la régulation territoriale. Jean-Pascal Higelé a pu présenter les réflexions en sociologie du travail qu’il partage avec Mathieu Béraud. Il a relevé les tensions traversant le projet entre l’objectif productif (réponse aux besoins du territoire) et l’objectif d’emploi (réponse aux envies des personnes).
TZCLD propose-t-il un droit à un employeur ou un droit au salaire ? Cela renvoie aux tensions entre les employeurs et les salariés autour de la définition du contenu de l’emploi, mais aussi aux tensions entre les entreprises à but d’emploi (EBE) qui mettent en œuvre les activités, et les comités locaux pour l’emploi (CLE) qui assurent la gouvernance du projet et arbitrent les activités à développer. La logique des politiques de l’emploi prime-t-elle sur le potentiel émancipateur de l’inversion de la logique de l’emploi ?
Antoine Rode, sociologue, a ensuite présenté les travaux de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), indiquant que lui-même participe à un dispositif de « Territoire zéro non recours » avec le Secours catholique, inspiré de TZCLD. Il a distingué le non-recours comme objet (accès aux droits des bénéficiaires de TZCLD) et le non-recours comme grille d’analyse (la réception du projet TZCLD), cette seconde approche recueillant davantage l’intérêt du public. Il a présenté quatre types d’explication au non-recours : le non-recours par non-connaissance (problème de repérage des publics), le non-recours par non-demande (désintérêt, désaccord ou civisme), le non-recours par non-réception (abandon du projet) et le non-recours par non-proposition (sélection des publics). Cela a permis d’interroger l’adéquation des valeurs du projet aux personnes visées : quelles sont les valeurs auxquelles les personnes se heurtent ou au contraire avec lesquelles elles se retrouvent ?
Hervé Defalvard, économiste, a enfin développé la notion d’économie sociale et solidaire (ESS) en commun. Par les coopérations qu’elle développe pour construire ses projets, l’ESS participe à la régulation territoriale. Dans le cas de TZCLD, cette régulation territoriale est polycentrique. Il y a trois centres de décision : le niveau national, les Comités locaux pour l’emploi et les Entreprises à but d’emploi. À l’échelle locale, le CLE est l’instance de l’autonomie politique, là où l’EBE est celle de l’autonomie des personnes.
TZCLD est-il un projet de rupture ? C’est en tout cas le parti pris d’Hervé Defalvard, qui évoque une rupture avec le capitalisme, le principe de concurrence et le principe de subordination.
La journée s’est conclue par la mise en discussion des questions que se posent les acteurs du projet autour de trois axes : le travail et les relations sociales, la gouvernance, et les dynamiques économiques et sociales. Les échanges en ateliers ont été d’une grande richesse, dont il est impossible de rendre compte ici. Mais les restitutions ont insisté sur les questions de valeurs (valeur du travail, qualité du travail), les dynamiques territoriales, le changement d’échelle et la place de l’évaluation.
Cette première étape de co-construction franchie, l’Observatoire va préciser sa proposition de travail, qu’il partagera avec les chercheurs pour développer des collaborations scientifiques.
Timothée Duverger, Maître de conférences associé, directeur de la Chaire TerrESS Sciences Po Bordeaux
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