L’Addes distingue une thèse sur le rôle des mécanismes de solidarité en sortie de crise
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Chaque année, en partenariat avec le CJDES (Centre des jeunes, des dirigeants, des acteurs de l’ESS), l’Addes (Association pour le développement des données sur l’économie sociale) remet son prix du mémoire de recherche dans le champ de l’ESS, et tous les dix-huit mois, à l’occasion de son colloque, elle décerne un prix de thèse en lien avec le développement de l’ESS. Ouverts à toutes les disciplines des sciences humaines et sociales (économie, gestion, histoire, géographie, sciences politiques, etc.), ces prix ont pour objectif de récompenser un travail d’exception et d’en faciliter la diffusion. Ils auraient dû être formellement remis au premier semestre de l’année 2020, mais la situation sanitaire a entraîné le report de cet événement à une date ultérieure.
Un prix de mémoire sur les mutuelles et leurs stratégies
Cette année, dix-sept travaux (réalisés dans le cadre d’un master en formation initiale ou continue) ont été retenus par le jury pour concourir au prix de mémoire de recherche de l’Addes. À l’issue d’un examen minutieux qui a fait ressortir la grande qualité de plusieurs d’entre eux, le prix est revenu à Marc Leclère pour son mémoire de master en AES, Taille et stratégies des mutuelles face aux mutations de l’assurance santé complémentaire en France, dirigé par Camille Chaserant et soutenu en janvier 2020 à l’université Paris-1. Le jury a unanimement souligné la connaissance fine et précise du secteur de l’assurance mutuelle tout comme la pertinence du questionnement proposé par Marc Leclère : comment comprendre la course à la taille et le phénomène de concentration du secteur de la mutualité ? Au-delà des évolutions réglementaires et de la pression concurrentielle, qui certes existent et marquent fortement le paysage de la mutualité, le travail réalisé, en s’appuyant sur l’analyse des données émanant de 165 mutuelles, montre qu’il n’y a pas de taille idéale, et que celle-ci est à relier avant tout au projet des assurances mutuelles et à leur approche de la performance dans toute sa diversité : quel service rendu aux adhérents ? Quelle efficacité ? Plus qu’à la taille, c’est sans doute à la recherche d’une gouvernance appropriée que les organismes du secteur devraient s’attacher pour atteindre leurs objectifs.
Pour l’attribution du prix de thèse, le jury a reçu quinze candidatures émanant de disciplines variées : sociologie (4), sciences économiques (4), gestion (3), sciences politiques (2) et droit (2). On notera l’absence – très inhabituelle – de travaux en histoire et en géographie. C’est une thèse en sciences économiques qui a été récompensée : celle de Lise Archambaud, Les dynamiques collectives en post conflit : réflexions sur une résilience socialement soutenable, réalisée sous la direction de Benoît Lallau à l’université de Lille et soutenue en décembre 2018.
Une thèse sur la résilience post-conflit en Afrique centrale et de l’ouest
Le travail de Lise Archambaud porte sur trois zones rurales en Afrique centrale et de l’Ouest (République centrafricaine, République de Côte d’Ivoire et Nord Kivu, en République démocratique du Congo) confrontées à des crises sociopolitiques graves et constituant des zones d’intervention humanitaire.
Consacrée à la résilience post-conflit, la thèse analyse les processus de structuration qui permettent l’action collective en observant des organisations de producteurs, des systèmes d’entraide agricole, des tontines, des caisses de solidarité et toutes sortes de dynamiques qui s’inscrivent dans le champ de l’ESS. Elle montre l’importance de ces mécanismes de solidarité locaux pour pallier les insuffisances des réponses institutionnelles, développer au niveau local des activités de protection sociale informelle et créer un terreau pour l’affirmation de valeurs collectives. Surtout, elle fait de ces dynamiques d’action collective les principaux fondements de ce que Lise Archambaud considère comme une forme de résilience collective socialement soutenable, concept central de sa thèse, qui traduit le fait de combiner résilience et soutenabilité sociale, d’un point de vue tant individuel que collectif. Elle souligne dans son résumé que « l’émergence d’une organisation locale est liée à la mise en commun de ressources (qui vont permettre de bénéficier de ressources partagées) et à la coordination des aspirations et de la vision de ce que devrait être le collectif, permettant de développer une “agencéité” collective. Ces deux piliers font naître des capacités d’action collectives qui représentent les moyens d’agir collectivement : la capacité à gérer un conflit interne, la capacité à inciter la confiance des personnes extérieures ».
Sur le plan théorique, Lise Archambaud s’appuie sur la notion de capabilities, élaborée par Amartya Sen, pour mettre en avant ce qu’elle appelle l’« agencéité », soulignant ainsi de quelle manière la liberté renforce la capacité des personnes à la fois à s’aider elles-mêmes et à influencer le monde, ce qui amène à considérer les inégalités dans une vision large. D’un point de vue méthodologique, elle combine des données quantitatives (enquête par questionnaire sur la base de la méthode de l’échantillonnage raisonné, construction d’indicateurs et analyse en termes de classifications hiérarchiques à travers des analyses de correspondances multiples (ACM)) et enquêtes qualitatives (entretiens individuels, focus groups...) qu’elle a elle-même produites et des données secondaires pour retracer l’histoire du territoire étudié et la transformation des organisations. Cela lui permet de réaliser une analyse transversale (approche quantitative) et une analyse contextuelle fine (approche qualitative). La conclusion de la thèse pointe certaines erreurs de l’aide humanitaire face à la complexité des situations et propose, pour soutenir les organisations, des pistes tenant compte de leurs trajectoires façonnées par les conflits.
Les grandes qualités de cette thèse ont été saluées par l’ensemble des membres du jury, qui ont souligné tant l’originalité du sujet traité que la rigueur du traitement. Cette réussite tient notamment au travail mené en lien avec une ONG, qui a facilité l’intégration de l’auteure sur les différents territoires étudiés.
Éric Bidet, Anne Fretel et Nadine Richez-Battesti