La Prolétarienne, l’Union, La Ménagère... Les coopératives ouvrières de consommation dans la Basse-Loire (1880-1980)

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Robert Gautier. Nantes, Editions du Centre d’histoire du travail, 2012, 176 p.

Les travaux portant sur l’histoire de la coopération, qu’elle soit de consommation ou de production, sont rares. En dépit d’une production éditoriale impressionnante, l’histoire de certaines composantes du mouvement social, et en particulier le mouvement coopératif, reste largement à écrire. Alors que celle de la mutualité commence à intéresser les historiens depuis trois décennies, l’histoire de la coopération depuis la Grande Guerre est encore fort mal connue. Une lacune d’autant plus étonnante que ce mouvement occupe une place considérable dans la vie politique et sociale de notre pays depuis deux siècles. Mais il faut également se féliciter de la publication de cet ouvrage, fruit d’une thèse, pour sa qualité : il offre un tableau remarquable de la coopération de consommation durant un siècle dans la Basse-Loire, région où elle fut forte.

Un récit chronologique

Robert Gautier organise son récit en six grandes parties chronologiques. Durant les temps héroïques (1880-1914), l’implantation rapide de la coopération accompagne celle du mouvement socialiste ; mais les coopérateurs sont aussi capables de construire un réseau autonome durant cette période. Puis, pendant la Grande Guerre, le mouvement coopératif participe, comme dans d’autres régions de France, à la lutte contre la vie chère. Il éprouve toutefois de grandes difficultés à le faire dans la région nazairienne, en dépit de la multiplication des initiatives étatiques et patronales. Durant l’entre-deux-guerres, l’Union des coopérateurs de Loire-Inférieure (UDC) se développe d’abord rapidement, dans le contexte économique relativement favorable des années 20. La décennie suivante sera plus contrastée, et ce pour trois raisons.

L’UDC affronte en effet plusieurs épreuves très différentes, mais qui l’affectent toutes. Elle est frappée par la crise économique qui touche le pays à partir de 1930. La même année, les coopérateurs de Loire-Inférieure vivent un drame avec la disparition d’une partie de leurs dirigeants lors de la catastrophe maritime du Saint-Philibert (1). Quatre ans plus tard, l’UDC est fragilisée par le fiasco de la Banque des coopératives de France. Sous le Front populaire, la coopération se rapproche de la CGT et davantage encore de la SFIO, qui exerce sur elle une véritable mainmise. Puis, à partir de 1940, les coopératives doivent subir l’Occupation et participer au régime de Vichy. Elles s’interrogent sur leur place dans les nouvelles institutions coopératives que le régime veut mettre en place, avant de survivre aux combats et aux difficultés de la Libération. Vient alors le temps de la reconstruction (1945- 1950). La renaissance des coopératives est lente dans cette région sinistrée : concurrencées par les coopératives d’entreprise, elles doivent inventer de nouvelles relations sociales. Enfin, les trois dernières décennies (1950-1987) voient un essor considérable des coopératives, qui bénéficient du contexte favorable de la société de consommation. Pourtant, elles ne sont pas capables de s’adapter et sont entraînées dans la chute de la Fédération nationale des coopératives de consommateurs (FNCC) à partir de 1986- 1987. Une nouvelle période va s’ouvrir alors.

Des liens forts avec le mouvement ouvrier

Au-delà du récit chronologique, Robert Gautier décrit très bien les liens que noue la coopération de consommateurs avec les syndicats, en particulier la CGT, comme avec les deux grands partis ouvriers que sont la SFIO et le PC. Il pointe ainsi les tensions qui apparaissent parfois entre ces différents acteurs, tous extrêmement sourcilleux de leur préséance. L’auteur montre l’importance de la domination socialiste sur les coopératives, alors que le poids du communisme y est bien moindre, en raison notamment du peu d’intérêt de ses militants pour s’y investir. Il confirme qu’en dépit de quelques réussites locales la coopération communiste fut secondaire durant l’entre-deux-guerres et bien plus réduite encore après la Libération. Il fournit également un tableau très précieux de la coopération de consommation durant la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, cette période difficile et très particulière attend encore son historien. La monographie réalisée par Robert Gautier n’en est pas moins riche pour de futures recherches sur ces quatre années. Sur un autre plan, il fait très bien revivre la sociabilité, qui est l’une des grandes caractéristiques de la coopération. Il évoque bien, de façon trop brève, la chute de la FNCC en 1986. Cet épisode reste encore aujourd’hui un sujet tabou au sein du mouvement coopératif (2). Depuis sa création en 1912, la FNCC a été un acteur essentiel du mouvement coopératif, et en 1986 elle totalise 2,7 millions d’adhérents. Mais personne n’a vu venir la catastrophe, même si elle a été anticipée dix ans plus tôt par Henri Desroche. Cette faillite généralisée sonne définitivement le glas des conceptions gidiennes de la coopération de consommation, de son incapacité à renouveler ses méthodes et à s’adapter aux changements survenus dans le secteur de la distribution.

On ne peut que souhaiter la multiplication de travaux analogues à celui de Robert Gautier pour d’autres régions géographiques, notamment là où la coopération de consommation fut forte, comme dans le Nord et en Lorraine. Signalons enfin que ce livre bénéficie de nombreuses photos qui en rendent la lecture fort agréable. Voilà donc un ouvrage qui contribuera à une meilleure connaissance de l’histoire de coopération de consommation, ce mouvement si important et pourtant si méconnu.

Michel Dreyfus

 


(1) Le 14 juin 1931, ce navire des Messageries de l’Ouest, affrété par la société Les Loisirs, qui regroupe des membres de l’Union des coopérateurs de Loire-Inférieure, sombre à l’embouchure de la Loire, faisant 450 victimes (NDLR).

(2) Jean Grave, de la FNCC, n’en dit mot dans ses Entretiens coopératifs avec Scarlett Courvoisier et Jean-Louis Girodot (Une autre façon d'entreprendre, 2010, p. 63-82).


Note parue dans le numéro 326 de la Recma