La microfinance : la fin de l’exclusion ?
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Sylvain Allemand. Ellipses, Paris, 2011, 180 p.
Dans le prolongement du précédent ouvragede l’auteur, en 2007, ce livre constitue une introduction accessible à la microfinance, à son histoire, aux acteurs de sa « nébuleuse » et à quelques-uns des débats qui traversent le secteur depuis l’introduction controversée en Bourse de Compartamos au Mexique (2007) et la crise de surendettement dans l’Etat de l’Andrah Pradesh, en Inde, depuis de 2010. Il restitue de façon honnête et équilibrée informations et analyses disponibles en français, sans trop céder aux effets de mode ou aux opportunismes dont le secteur est familier (lire, pour le Maroc, Recma, n° 317), et ouvre à la diversité de ce qu’il se propose de dénommer les « microfinances » en évoquant l’épargne, l’assurance, les virements internationaux, etc.
S’il s’inscrit dans une approche globale et si, dans celle-ci, il privilégie les acteurs français du secteur dans leur double action (en France et à l’étranger), le « continuum » Nord-Sud évoqué (p. 35) masque en réalité des situations contrastées entre les pays moins avancés, où 90 % de la population n’est pas bancarisée, et les pays OCDE comme la France, où l’exclusion bancaire touche un peu moins de 10 % des adultes. En ce qui concerne l’évolution de la coopération internationale de la France dans le secteur, une partie de la poussière sous le tapis liée à certains échecs peu médiatisés (comme celui du Crédit mutuel de Guinée) et les incidences de ces derniers sur les changements d’orientation (réorientation en 2001 de l’Agence française de développement au profit des institutions « matures » et du soutien aux dynamiques commerciales) ne sont pas abordées. Le dénombrement d’une réalité aussi multiforme n’est pas non plus chose aisée, comme le souligne l’auteur (p. 37), et la place des coopératives, guère en vogue dans le secteur, est un peu passée sous le silence (Ouédraogo, Gentil, 2008 ; voir l’encadré à la fin de cet d’article). Si par exemple on s’en tient aux statistiques du Microfinance Information Exchange les plus souvent citées à l’échelle internationale, la microfinance compterait au Sénégal 250 000 emprunteurs à la fin 2009 ; or, à cette même date, le nombre de ses bénéficiaires dépasserait les 1,2 million de membres selon les statistiques du gouvernement sénégalais cela incite à approfondir le sens des chiffres énoncés à l’appui de la réussite du secteur. Pour une introduction complète à la microfinance, deux éléments semblent insuffisamment abordés. Le premier prolonge la présentation du cycle de développement du secteur en trois phases (p. 55) et rend compte du moment particulier de l’émergence de la microfinance. Celle-ci ne constitue pas uniquement, face au processus de monétarisation des économies, le prolongement des précédents historiques, dont l’économie sociale en Europe et en Amérique du Nord (p. 51), mais aussi dans d’autres contextes, y compris dans le Sud (Gentil, Fournier, 1993).
A partir des années 70, il existe en effet un lien étroit entre l’essor des initiatives de microfinance et la débancarisation engendrée par la faillite des programmes et des banques publiques de développement issue des politiques de libéralisation financière, elles-mêmes induites par la crise de la dette des pays du Sud et, in fine, les bouleversements macrofinanciers à l’échelle mondiale. Le second élément a trait au rôle des pouvoirs publics (p. 102-103). En effet, ces derniers sont faiblement abordés dans l’ouvrage, alors qu’ils gardent un rôle déterminant dans la promotion et le « façonnage » du secteur, conformément aux orientations esquissées dans le livre bleu que les Nations unies ont rédigé en 2006, à l’occasion de l’Année internationale du microcrédit. Mais ce rôle est probablement encore insuffisant pour faire de la microfinance un réel instrument de développement. Malgré les partisans du laisserfaire ou de l’autorégulation (y compris éthique), des modes de régulation publique plus incitateurs sont de plus en plus discutés face aux limites du secteur, notamment en milieu agricole et rural (Balkenhol, 2009 ; Morvant-Roux, 2009) ; même si reste à refonder « un véritable Etat stratège » (Le Monde économie, 13 septembre 2011, p. 5) susceptible de les mettre en oeuvre sans être à nouveau capturé par les intérêts privés, en particulier financiers.
François Doligez, Iram, université de Rennes 1
En complément de la bibliographie de l’ouvrage
• Balkenhol B., 2009, Microfinance et politique publique, PUF, Paris, 356 p.
• Gentil D., Fournier Y., 1993, Les paysans peuvent-ils devenir banquiers ? Epargne et crédit en Afrique, Syros, Paris, 271 p.
• Morvant-Roux S. (dir.), 2009, Microfinance pour l’agriculture des pays du Sud, rapport « Exclusion et liens financiers 2008-2009 », Economica, 453 p.
• Nations unies, 2006, Construire des secteurs financiers accessibles à tous, New York, 202 p.
• Ouédraogo A., Gentil D. (coord.), 2008, La microfinance en Afrique de l’Ouest : histoires et innovations, CIF-Karthala, Paris, 307 p.
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