La Commission européenne publie (enfin) son plan d’action pour l’économie sociale
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Le 9 décembre 2021, la Commission Européenne a publié son plan d’action « Pour une économie au service des personnes ». Ce plan d’action était annoncé depuis longtemps, comme la manifestation d’une nouvelle orientation de la Commission. Les attentes n’étaient pas minces, d’autant que Nicolas Schmit, commissaire européen en charge de l’emploi, des affaires sociales et de l’insertion, avait été ministre en charge de l’économie sociale et solidaire au Luxembourg, et que le Luxembourg avait joué un rôle actif au sein du groupe de la Déclaration de Luxembourg, un rassemblement d’états désireux d’agir pour tirer la Commission européenne d’une certaine apathie. Ces attentes ne sont à notre avis pas déçues, et ceci à deux titres : l’approche vis-à-vis de l’économie sociale et solidaire est clairement ambitieuse et la Commission européenne affiche une volonté d’avancées pragmatiques.
Une ambition affichée : remodeler l’économie
La Commission européenne affiche une ambition pour l’économie sociale et solidaire qui n’a rien à envier à ses plus fervents promoteurs : « L’économie sociale a le potentiel pour remodeler l’économie post-Covid à travers des modèles économiques inclusifs et durables conduisant à une transformation économique et sociale, écologique et plus juste », peut-on lire (5) . Certes, la Commission présentait déjà auparavant l’économie sociale comme un moteur de chan- gement, mais elle l’associait à la recherche de croissance, fût-elle intelligente ou inclusive. Dans la précédente communication de 2011, très proche de la crise de 2009, l’objectif affiché restait la croissance. Plus trace de cette notion en 2021. Il ne faut pas minimiser les postures politiques ni les préoccupations contradictoires au sein de la Commission, dans un contexte post-covid marqué par les questions environnementales, mais ce tournant est somme toute rafraichissant.
Au plan conceptuel de la délimitation de l’économie sociale, plusieurs précisions sont bienvenues. D’abord, « économie sociale », « économie sociale et solidaire », « tiers secteur », ces diverses appellations sont explicitement présentées comme des expressions nationales d’une même réalité, le terme « économie sociale » renvoyant tout de même à la tradition latine et son approche spécifique. Une autre clarification, encore plus rassurante pour les promoteurs de l’économie sociale et solidaire, est apportée : l’assimilation que la commission croyait pouvoir faire entre « économie sociale » et « entreprise sociale » est totalement abandonnée. Il faut tout de même rappeler que la précédente communication de 2011 s’intitulait « The social business initiative » et je me souviens encore d’un colloque où j’insistais sur les dangers des mélanges conceptuels et où les représentants de la Commission européenne et de l’OCDE me tournaient gentiment en ridicule avec mes « préoccupations du XIX ème siècle ». La communication de 2021 est parfaitement du XXI ème siècle et elle ne nie pas l’émergence du phénomène original de l’entreprise sociale, pas plus qu’elle ne l’exclut ou la stigmatise.
L’entreprise sociale est donc intégrée à l’économie sociale, comme une de ses formes. Nous approuvons totalement cette approche ouverte qui manifeste une grande confiance à l’égard de l’économie sociale, assez forte pour accueillir des pratiques variées sans y perdre son âme.
La communication de la Commission fait une dernière précision conceptuelle que nous plébiscitons: l’intégration des « charities », rapprochés des associations. Les chari- ties sont la forme juridique des structures philanthropiques dans les pays anglo-saxons. On pourrait s’étonner de cette prise de position alors que l’Angleterre a quitté l’Union européenne. Il faut cependant rappeler que plusieurs pays de l’Union européenne sont fortement marqués par la culture anglo-saxonne, à commencer par l’Irlande mais aussi Malte. Il importe d’aller plus loin encore : derrière le terme de charity, c’est la philanthropie qui est expressément intégrée, et on peut songer aux implications que cela aura pour les pays nordiques ou l’Allemagne. En France, cela ne changera rien, et pourtant j’entends déjà s’exprimer quelques regrets car la philanthropie ne serait qu’une charité sans rapport avec les valeurs de l’économie sociale. Il nous semble que c’est aller un peu vite dans le jugement d’une réalité très variée et, surtout, cela revient à jeter aux orties le projet de Gide ravivé dans les années 1970 : celui d’un rassemblement large. Ne nous y trompons pas, lescoopératives seules ne changeront jamais le monde : la République coopérative a fait long feu. C’est donc dans la construction d’un modèle ouvert, qui accueille tant la philanthropie que l’entreprise sociale, sans faire de concession sur les principes de base, que l’économie sociale pourra fournir le modèle alternatif au modèle capitaliste.
Quelle feuille de route pour les prochaines années ?
La communication de la Commission européenne ne s’arrête pas aux précisions conceptuelles et annonce les actions qu’elle entend mener au cours des prochaines années. A cet égard, les enthousiastes et les sceptiques y trouveront leur compte. En effet, la Commission passe en revue les freins habituellement relevés pour le développement de l’économie sociale, mais elle n’annonce rien de flamboyant relativement aux solutions qu’elle entend apporter. D’un côté, elle envisage les solutions traditionnellement mises en avant, telles que la fiscalité, les marchés publics, le financement ; elle mentionne même le thème de la concurrence, ce qui est encourageant si on veut bien se rappeler que la coopération, valeur aux fondements de l’économie sociale, est tout de même le parfait antonyme de la concurrence. La communication insiste aussi sur deux préoccupations contemporaines pour lesquelles l’économie sociale apporte des solu tions qui doivent être promues : la transition digitale et la transition verte. Les exemples donnés par la Commission sont plutôt rassurants, par exemple les plateformes coopératives dans le monde du digital sont bien prises en compte. Il n’empêche que cette référence à la transition verte et digitale est source d’inquiétude : elle est fortement connotée par des présupposés liés à la croyance en des solutions technologiques de croissance verte. Si seule- ment on pouvait espérer qu’il s’agit là de gages donnés à d’autres commissaires !
Au plan des engagements, les annonces sont mesurées, voire modestes : pas de directive ou de règlement. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, à commencer par la multiplicité des formes juridiques concernées, ce qui complique toute approche globale, comme le mentionne le plan d’action. Mais la raison principale est ailleurs, que le plan ne peut mentionner : des propositions normatives ambitieuses risquent d’échouer, et le problème n’est pas propre à l’économie sociale. Alors, la Commission européenne use d’autres moyens : outre les études, par exemple sur les associations, qui peuvent toujours se prolonger en propositions réglementaires, elle envisage comme grande avancée la création d’une plateforme dédiée et l’adoption d’une recommandation en 2023. Un acte de cette nature a plus de chances de réussir puisqu’il ne dépend pas du Conseil, mais il n’a aucune force obligatoire. La Commission invite aussi les états membres à aller de l’avant par leurs propres initiatives. Il s’agit d’une posture pragmatique. Consciente des limites de son action, la Commission tente d’utiliser tous les leviers disponibles. Il se pourrait donc qu’on assiste plutôt à la multiplication de micro-mesures dans les prochaines années, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise idée, dès lors qu’elles s’inscrivent dans une politique animée par un souffle. On l’aura compris, nous donnons crédit aux propositions de latemps forts Commission, sans méconnaître les faiblesses du plan d’action. L’avenir dira si nous avons raison.
David Hiez
(5) Traduit par l’auteur de cet article
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