Femmes, économies et développement, de la résistance à la justice sociale

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I. Guérin, M. Hersent et L. Fraisse (dir.). Editions Eres-IRD, Paris, 2011, 382 p.

Ce livre part d’un constat : qu’il s’agisse de cantines populaires, de microfinance, de coopératives de transformation de produits agricoles, d’emplois et de protection sociale ou de prise en charge des questions d’assainissement ou de déchets, se développent une multitude d’initiatives féminines mêlant actions économiques et solidarités, alors que, paradoxalement, les inégalités hommes-femmes font l’objet d’une remarquable permanence. L’ouvrage s’est donné pour objet d’étude ces initiatives, pour l’essentiel situées dans le champ de l’économie sociale et solidaire, et qui constituent une réponse pragmatique aux problèmes du quotidien des femmes, mais qui, par leur dimension collective, apportent aussi des innovations en matière d’organisation et de formes de revendication de changements structurels. La grille de lecture est double : elle analyse le rôle économique des initiatives des femmes, mais questionne également leurs enjeux du point de vue des rapports sociaux et politiques.

 

Lutter contre la domination masculine

L’enjeu, énoncé dans l’introduction, est de repenser les rapports sociaux de sexe contre une triple institutionnalisation : le « genre » dans les politiques de développement, un certain radicalisme désincarné dans les mouvements féministes et les approches de la question dans l’économie sociale et solidaire.

La première partie traite, d’un point de vue théorique, la double inégalité que subissent les femmes – l’accès restreint à la sphère productive et la féminisation de la sphère reproductive – et les deux postures rencontrées pour y faire face. La première, illustrée par l’approche de la Banque mondiale, est résolument moderniste et présuppose que l’intégration croissante des femmes au marché va permettre la « convergence » de leurs positions avec celles des hommes. La seconde, étayée par les pensées féministes, plaide pour une nouvelle conception de la richesse en reconsidérant les rôles de l’activité de reproduction : économique, cohésion sociale, épanouissement individuel et collectif. Le reproductif est converti en ressource pour le développement : émancipateur et source de développement local.

« Le bien le plus important que je possède, c’est mon mari » (p. 135)

La deuxième partie développe une série d’études de cas en Afrique, en Amérique latine et en Asie : coopératives de production d’huile d’argan au Maroc, transformation du beurre de karité au Burkina Faso, self help group comme base de l’intermédiation financière en Inde, organisations du commerce équitable en Bolivie, organisations populaires féminines en milieu urbain. Ces études de cas sont appréhendées sous trois angles.

Pour le premier, il s’agit de repenser l’articulation entre sphère économique et sphère reproductive grâce à la socialisation et à la revalorisation d’une partie des activités reproductives (ou de soins à autrui). De fait, les lieux de production ne sont pas complètement séparés de la sphère familiale ou communautaire et les formes d’organisation économique diffèrent des modèles entrepreneuriaux classiques.

Dans le second, il s’agit de repenser l’action politique par la discussion et la mise en place d’espaces d’échanges et de délibération. En effet, l’autonomisation économique ne s’accompagne pas forcément d’émancipation sociale et de nombreux cas illustrent les risques et les difficultés d’une opposition frontale de la part des femmes. Malgré cela, l’intérêt des processus engagés à ce niveau est souligné contre l’intériorisation des mécanismes de domination.

Enfin, le troisième aborde l’ancrage territorial des initiatives afin de recontextualiser les formes d’action en fonction des besoins, des enjeux et des identités territoriales. Il s’agit d’intégrer dans l’analyse les formes de reproduction d’un territoire de vie ainsi que le rôle économique, social et politique qu’y jouent les femmes.

Entre résistances et transformations sociales

La dernière partie aborde l’épineuse question de l’institutionnalisation : quelle durée, quelle montée en généralité pour impulser de véritables changements sociaux ? Les exemples analysés traitent : des initiatives des femmes en migration dans l’économie sociale et solidaire française ; des cantines populaires péruviennes ; des nouvelles formes de syndicalisme et de l’émergence d’innovations en matière de protection sociale, comme le mouvement Maria Elena Cuadra au Nicaragua ou la SEWA en Inde ; des enjeux de l’économie sociale et solidaire en Amérique latine d’un point de vue féministe ; enfin, du rôle des groupements de femmes dans l’économie sociale québécoise. Si la diversité des situations rend difficile un traitement homogène et comparatif, les auteurs concluent à l’« oscillation » des initiatives entre les deux postures théoriques esquissées en introduction. De fait, toute approche pragmatique est forcément une résultante hybride dont la pérennité économique est soumise aux contraintes du marché, et ce quel que soit le radicalisme de sa volonté transformatrice.

En conclusion, l’ouvrage se veut une contribution à la lutte contre l’« invisibilité » de ces initiatives qui témoignent d’un changement social « à petit pas » et dont l’étude relève de l’analyse du champ des possibles et, par là, de la construction d’un autre futur possible, à défaut de faire rêver les tenants de la « révolution radicale ». S’il inscrit leur reconnaissance dans le plaidoyer pour « repenser la richesse », reste posée la question de comment, sinon par la refondation du rôle de l’Etat et des pouvoirs publics face aux logiques de marché, les nouveaux indicateurs peuvent devenir de véritables outils de pilotage pour les agents économiques.

F. Doligez, Iram, université de Rennes 1