Créateurs d’utopies: démocratie, autogestion, économie sociale et solidaire

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Pierre Thomé. Co-édition Adels et Yves Michel, 2012, 300 p.

Le sujet initial de l’ouvrage était l’autogestion en France. Devant le constat actuel d’absence presque complète du mot, mais de l’existence de pratiques, la démarche a évolué : « La méthodologie qui a semblé la plus appropriée est celle de l’enquête auprès de personnes dont la vie militante et (ou) professionnelle ferait référence à des pratiques collectives non hiérarchisées et à l’autonomie, c’est- à-dire aux bases mêmes de l’autogestion. » D’où l’évolution du titre de l’ouvrage, l'autogestion étant reléguée dans le sous-titre, avec les notions de démocratie et d’économie sociale et solidaire. Mais le contenu est là, et il est passionnant.

Des témoignages de pratiques

Le livre est presque entièrement construit sur des témoignages de personnes ayant eu ou ayant toujours des pratiques autogestionnaires (1), pour beaucoup dans les années 70, mais aussi dans les années 80, 90 et à notre époque. Ces témoignages de plusieurs générations – divers, complets, nuancés et très souvent émouvants – montrent la constance des thématiques à travers des pratiques qui, elles, évoluent plus ou moins. Les différents chapitres traitent des principales thématiques (écologie, ville, féminisme, école, entreprise) autour du développement de quelques exemples symboliques ou moins connus.

Chaque témoignage contient à la fois le récit d’une pratique et une réflexion sur celle-ci, présentant ainsi dans une théorisation très concrète des pratiques et des problèmes qui sont apparus. Seul le premier chapitre se livre à une présentation théorique des origines de l’autogestion au XIXe et au début du XXe siècle, à travers l’étude des courants politiques libertaires, marxistes et chrétiens. Nous voilà alors d’autant plus loin des pratiques que tout ce qui concerne les mouvements de sociétés de secours mutuel (ancêtres des mutuelles), de coopératives de production et de coopératives de consommation du XIXe siècle est renvoyé en introduction du dernier chapitre, consacré à l’économie sociale et solidaire (2). Cette absence dans le premier chapitre fait alors manquer la continuité des pratiques, si bien montrée ensuite pour les cinquante dernières années, qu’il s’agisse des revendications autogestionnaires ou des luttes et des lieux autogérés.

Le PSU, la CFDT et les chrétiens

Ce qui est très bien rappelé dans l’ouvrage est l’apport très important du christianisme social à l’autogestion, via le Parti socialiste unifié (PSU) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Jeunesse agricole, étudiante ou ouvrière catholique, Action ouvrière catholique (ACO) et La Vie nouvelle : aucune des composantes n’est oubliée. Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans les itinéraires des témoins le passage dans ces différentes organisations, voire souvent dans le scoutisme. Si ce rappel de l’apport du christianisme social à l’autogestion est important, d’autant plus qu’il est sans doute largement ignoré des générations actuelles, l’ouvrage pèche par l’absence de trois apports non négligeables : ceux des libertaires, des mouvements d’éducation populaire laïcs (Peuples et Cultures, Culture loisirs animation jeunesse [Claj, évoqué rapidement dans le dernier chapitre], etc.) et du mouvement communautaire, qui ont animé et animent toujours des lieux culturels ou des entreprises autogérés, sans aucune origine religieuse de leurs membres.

On peut d’ailleurs noter que le PSU est présenté du point de vue rocardien, de manière partielle (même si ce qui est dit est juste), voire partiale : les « gauchistes » entrés en force au PSU après Mai 68 sont montrés comme perturbateurs et assez « dangereux », trop « marxistes-léninistes », donc « autoritaires », donc peu autogestionnaires. Vision tout à fait fausse. Les seuls aujourd’hui à défendre officiellement l’autogestion sont les Alternatifs, fruits de différentes recompositions de tendances dites gauchistes, du PSU et de la Ligue communiste d’antan. Sans oublier, bien sûr, les libertaires.

Economie sociale et économie solidaire

Le dernier chapitre est consacré à l’économie sociale et solidaire. Son principal mérite, et il n’est pas mince, est de présenter, toujours sous forme de témoignages, une dizaine d’entreprises actuelles de l’ESS, plus ou moins autogérées. Curieusement, étant donné le ton très rocardien de l’ouvrage et le long entretien avec Michel Rocard, rien n’est dit sur le rôle essentiel joué par lui-même et les siens dans la renaissance de l’idée d’économie sociale et sa structuration en mouvement au cours des années 70, dans le secrétariat d’Etat à l’Economie sociale du premier gouvernement Mauroy, dans la loi de 1983 sur l’économie sociale ou dans la création d’une délégation interministérielle en 1995.

L’apparition de l’économie solidaire est réduite à presque rien. Il s’agirait d’un simple rappel à l’économie sociale d’être solidaire, ce qui serait sa vocation d’origine. L’auteur peut alors écrire : « L’ESS se définit en premier par ses activités et son utilité sociale et non par sa nature juridique et économique. » Rarement la mise en cause des valeurs fondamentales de l’économie sociale depuis les années 80 (mise en cause renouvelée avec la notion actuelle d’« entrepreneurs sociaux ») n’aura été traitée par une si rapide pirouette.

L’égalité et la rotation des tâches

Si l’égalité dans la prise de décision est revendiquée dans tous les témoignages, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, il n’en va pas de même de l’égalité financière. D’ailleurs, même l’égalité dans la prise de décision est visiblement largement battue en brèche dans les entreprises actuelles présentées dans le livre. La démocratie directe, qui s’admet bien dans les luttes, semble difficile à concevoir dans le fonctionnement d’une entreprise. Seules deux entreprises y échappent (du moins dans le livre, car dans les entreprises du Réseau des pratiques alternatives et solidaires [Repas] (3), c’est pratiquement la règle). Ces deux entreprises (La Péniche et Ardelaine, membres toutes deux du Repas) pratiquent l’égalité salariale – encore plus définitivement rejetée par les autres – et, enfin, ce sont toujours ces deux mêmes structures qui parlent de la rotation des tâches, pour assurer une meilleure connaissance par tous de tous les aspects de l’entreprise (4). Démocratie directe, rotation des tâches et égalité financière apparaissent ainsi comme les pierres de touche d’un fonctionnement irrécupérable par le capitalisme.

Christian Vaillant, www.autogestion.coop


(1) Les différentes parties sont prolongées en ligne par d’abondantes et riches annexes.

(2) Ce décalage historique s’expliquerait notamment par le décès brutal de l’historienne Françoise Tétard durant l’élaboration de l’ouvrage (lettre de Pierre Thomé du 19 avril 2012). NDLR.

(3) Pour en savoir plus : www.reseaurepas.free.fr.

(4) Gaby Cohn-Bendit, à propos du lycée expérimental de Saint-Nazaire,présente aussi l’absence de division du travail comme un principe fondamental de l’autogestion (p. 177).