Comment former à l’économie sociale et solidaire ?
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Josiane Stoessel-Ritz et Maurice Blanc (dir.), Presses universitaires de Rennes, coll. « Économie, gestion et société », 2020, 354 pages.
En mai 2017, à Marrakech (Maroc), se déroulaient conjointement le Forum international de l’économie sociale et solidaire (ESS) sur le thème « Engagement, citoyenneté et développement », organisé par l’université de Marrakech et l’université de Haute-Alsace, et la 17 e édition des rencontres du Réseau inter-universitaire de l’ESS (Riuess), dont la thématique était « Comment former à l’ESS ? ». Issu de cette double rencontre, cet ouvrage réunit une vingtaine des cent contributions qui ont été présentées pour tenter de répondre à cette question. Même si une grande place est accordée à la sociologie, une multiplicité d’approches disciplinaires permet de mêler réflexions générales et expériences de terrain. Comme bien souvent lorsqu’il s’agit des actes d’un colloque, l’ouvrage ne couvre pas toutes les facettes de la thématique abordée – la formation à l’ESS englobe la formation professionnelle, la formation coopérative, la formation en école de commerce, etc. – mais est plutôt orienté vers les cursus universitaires, et ceux de l’université de Haute-Alsace, coorganisatrice de la rencontre, sont privilégiés. Trente et un contributeurs (principalement de France, mais aussi du Chili, d’Angleterre, des États-Unis et du Québec, du Maroc, d’Algérie et de Côte d’Ivoire) tentent ainsi de répondre à la question « Comment décloisonner, coconstruire et transmettre les savoirs de l’ESS ? ».
Dans une longue préface, Marguerite Mendell montre l’importance des innovations pédagogiques dans l’enseignement, la formation et l’apprentissage de l’ESS grâce à un rapport plus partagé au savoir. Ceci nécessite la rupture des barrières institutionnelles (entre disciplines, entre connaissances vernaculaires et scientifiques, entre défis sociaux et environnementaux) ainsi qu’une transmission des savoirs plus itérative et souple pour prendre en compte la complexité du champ et coconstruire des programmes plus cohérents en ESS. Puis, dans leur introduction, Josiane Stoessel-Ritz et Maurice Blanc, qui ont dirigé l’ouvrage, s’élèvent contre la neutralité supposée des outils pédagogiques et insistent sur la nécessité d’« enseigner autrement ».
C’est ainsi que la première partie est consacrée à l’articulation entre outils pédagogiques et visée socio-politique d’une ESS présentée comme « utopie en devenir » : la formation renforce l’adhésion aux valeurs fondamentales de l’ESS et leur enracinement dans les pratiques, mais pour cela elle doit établir des compromis, car il existe des contradictions et des paradoxes. Ainsi (p. 34), « la formation à l’ESS inclut une préparation à la “gestion” des tensions et paradoxes » (entre pédagogies traditionnelle et coopérative, entre apprentissages individuel et collectif, entre créativité et institutionnalisation, entre reproduction sociale et coproduction), lit-on. Et « former à l’ESS, c’est avant tout de l’éducation : l’appropriation des valeurs » (p. 35). La deuxième partie relate des exemples de la diffusion de l’ESS dans la pratique professionnelle, forme d’éducation par l’expérience, sans recours à des formations universitaires. La troisième partie s’attache à montrer la spécificité des formations universitaires, fondée sur la réflexivité, l’apprentissage à partir de la pratique et le « savoir-composer ».
Les exemples présentés sont fort divers, parfois un peu loin de la thématique de départ, pour montrer la visée éducative de l’ESS, qui passe par une action générale (le combat énergétique, les parcs naturels, l’aide au développement), par des pratiques locales (jardins partagés, coopératives Jeunesse en France, ONG, coopérative de femmes en Côte d’Ivoire, École des dirigeants coopératifs dans l’agriculture familiale au Chili, formation des forestiers au Maroc), par la recherche-action (Crida, 2DLiS), et enfin par des formations universitaires (Haute-Alsace, Valenciennes, Aix-Marseille, avec des focus particuliers sur la formation en GRH, les VAE-VAP (1) , l’apprentissage de l’anglais et les « voyages apprenants »).
La postface de Jean-Louis Laville, « Éléments pour une épistémologie de l’ESS », aborde le débat entre science et action. Sans se prétendre une conclusion, elle semble largement décalée par rapport aux contributions, étant plus axée sur la recherche que sur la formation. Après la critique de la « sociologie post-bourdieusienne » et de l’académisme des économistes « transposé aux sociologues », il propose de s’appuyer sur « l’alliance » entre épistémologies du Sud et pragmatisme (le sens commun fondé sur l’action contre le scientisme), qui permet la « coconstruction des savoirs », en faisant référence aux recherches participatives (2). Hormis l’intervention de l’OCCE 68 (3) à l’université de Haute-Alsace et de brèves allusions aux collèges coopératifs, on peut regretter l’absence de référence à l’éducation coopérative, promue notamment par Henri Desroche et ses successeurs, ainsi qu’aux coopératives universitaires présentées dans ce numéro. De même, la création de liens entre pratiques professionnelles, enseignements universitaires et scolaires, promue par L’Esper (L’Economie sociale pour l’école de la République) , ne pourrait que nourrir ce type d’apprentissage que souhaitent renforcer les auteurs.
Danièle Demoustier
(1) GRH : gestion des ressources humaines ; VAE-VAP : validation des acquis de l’expérience-validation des acquis professionnels.
(2) Voir note de lecture sur « L’implication citoyenne dans la recherche » (Vie sociale, n° 20, Cedias Musée Social, Erès), dans Recma n° 351, 2018.
(3) OCCE : Office central de la coopération à l’école.
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