Université coopérative et portative de Broons : « Le statut coopératif est-il toujours adapté pour coopérer ? »
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Renouant avec la dimension émancipatrice de la coopération, et incarnant son projet d’éducation populaire, l’Université coopérative portative, sous les auspices lointains d’Henri Desroche, a tenu sa cinquième édition le 9 septembre à Broons, dans les Côtes-d’Armor, autour du thème de l’adaptation du statut coopératif aux projets coopératifs innovants. Yves Cariou, de la coopérative d’activités et d’emploi (CAE) Oxymore, était l’initiateur et le maître d’œuvre de ce projet avec la Fédération nationale des Coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma). Certains projets de coopération se sentent bridés par les statuts coopératifs actuels. Ceux-ci sont-ils toujours adaptés pour répondre à tous les besoins des coopérateurs d’aujourd’hui et à même d’assurer les transitions nécessaires ? Tel était le fil conducteur de cette journée.
Accompagner les coopérateurs innovants
La première table ronde, centrée sur les « nouvelles coopératives pour de nouveaux entrepreneurs », s’est appuyée sur le témoignage de deux coopératives dont la finalité est de répondre à de nouveaux besoins. Élan Créateur, qui a troqué un statut de Scop contre celui de CAE, accompagne les personnes souhaitant créer leur activité. Pas moins de 15 000 entrepreneurs ont été accompagnés depuis sa création en 2001. Pour Noémie de Grenier, grand témoin, ces modalités d’insertion dans la vie professionnelle témoignent du désir de travailler autrement tout en se prémunissant du risque lié à l’indépendance. Ce besoin de protection sociale devrait être reconnu et amélioré, et le salariat mieux se prêter à l’entrepreneuriat. La coopérative d’installation en agriculture paysanne (Ciap) des Pays de Loire, quant à elle, a apporté un témoignage sur un secteur dans lequel de multiples voies conventionnelles existent. Cent cinquante installations ont été accompagnées depuis cinq ans. Un des freins majeurs à la transition vers le statut coopératif est que le patrimoine de l’agriculteur sortant constitue son « capital-retraite ».
L’installation de plusieurs agriculteurs sur une même exploitation se heurte donc à de multiples obstacles juridiques, financiers et de droit aux aides de la Politique agricole commune (PAC). Curieusement, le statut de coopérative d’exploitation en commun n’a pas été utilisé par la Ciap. Les participants ont tous souligné que les coopératives répondaient à une finalité d’émancipation sociale, à la fois individuelle et collective, et qu’elles doivent tenir ce cap si elles veulent affirmer tant leur originalité que leur utilité.
La deuxième table ronde – au « salon des Cuma aux champs », une séquence plus prospective – portait sur le thème « Le statut coopératif est-il toujours adapté pour coopérer ? ». Deux témoignages issus de deux expériences marquantes se sont confrontés. La SAS Biolait, fondée en 1994 pour collecter du lait biologique dans la France entière (1 300 agriculteurs sur 73 départements), a d’emblée fait le choix d’un fonctionnement coopératif, c’est-à-dire démocratique et égalitaire, mais sans s’inscrire dans le statut des coopératives agricoles, qui lui semblait trop limité à la circonscription territoriale. Pour cette SAS, l’inspiration coopérative et le projet politique inscrit dans les statuts sont plus importants que le statut juridique lui-même. Elle reconnaît toutefois que le modèle de la coopération agricole constitue un garde-fou contre des dérives « capitalistiques » et que ses statuts permettent d’organiser une durabilité trans-générationnelle très pertinente.
La Scop « Tout en vélo », spécialisée en logistique urbaine, dont tous les livreurs à vélo sont sociétaires, a souligné quant à elle à quel point sa gouvernance est un facteur d’attractivité. L’utilisation de bicyclettes devient un vecteur de transformation sociale et écologique, avec pour volonté de se démarquer de marques telles qu’Uber ou Deliveroo. L’enjeu pour elle est donc de se développer dans d’autres territoires et de créer un réseau national (en cours de constitution) autour d’une « free-chise » et sous forme de Scic.
Vers un statut unifié de coopérative ?
Pour clore cette table ronde, le travail réalisé par un groupe de juristes spécialisés dans le droit des coopératives, sous la responsabilité de David Hiez, portant sur l’élaboration d’un statut unifié de coopérative, a été présenté. Ce statut permettrait de s’adapter à toutes les situations, particulièrement les plus innovantes, qui rencontrent des difficultés à s’inscrire dans les textes existants, pour- tant nombreux. Aux origines de ce travail, notamment, le constat que la multiplicité des textes juridiques nuit à la lisibilité du projet coopératif et ne distingue pas suffisamment la coopérative d’une société commerciale. Cette proposition a donc pour ambition de construire un statut coopératif universel, distinct d’une société commerciale. Elle doit beaucoup au code rural, qui consacre la spécificité coopérative tout en apportant une protection de l’identité coopérative. Certes, en renvoyant aux statuts de chaque coopérative le soin de définir tant l’objet que les catégories de personnes susceptibles d’en devenir membres, ce projet est de facture plus « libérale » que les textes actuels. Mais il est aussi plus adaptable et envisage la possibilité d’un multisociétariat aujourd’hui réservé aux Scic, parce que, dans certains contextes, ce besoin apparaît comme essentiel pour associer des partenaires divers.
Finalement, le débat s’est centré sur la recherche d’un meilleur point d’équilibre entre l’innovation (tant sur l’objet que sur la gouvernance) et la préservation de l’existant. Les participants ont manifesté un réel intérêt pour l’approche novatrice d’un statut légal unique qui non seulement efface les cloisonnements existants, mais ouvre également sur de nouvelles approches en phase avec l’époque de transitions que nous vivons.
Chantal Chomel
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