Retour sur une journée d’étude : « Que sait-on aujourd’hui des valeurs de l’ESS ? Comment sont-elles transmises ? »
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Dans le cadre du Mois de l’ESS, une journée d’étude sur le thème « Que sait-on aujourd’hui des valeurs de l’économie sociale et solidaire ? Comment sont-elles transmises ? » était organisée au palais Bourbon le 28 novembre 2016 à l’initiative du Pôle international de ressources de Limoges et du Limousin pour l’histoire du monde du travail et de l’économie sociale (PR2L). Cette association limousine rassemble des historiens, des militants de l’économie sociale et des syndicats partageant un souci de mise en valeur des expériences d’économie sociale. Dans l’histoire, les débats et les clivages autour des orientations et des valeurs n’ont pas manqué. Ce patrimoine immatériel peut-il être transmis ?
Pour y réfléchir, cette journée, organisée en partenariat avec le Musée social (Cedias), rassemblait une quarantaine de militants de l’ESS, de syndicalistes et de chercheurs dans la salle Colbert du palais Bourbon.
Après l’accueil de Catherine Beaubatie, députée de la Haute-Vienne, Jean-Philippe Milésy, directeur des Rencontres sociales, a animé les différentes sessions. La première, organisée sur l’ancrage territorial des échanges a été l’occasion pour Bernard Lacorre (PR2L) de présenter les grandes figures limousines de l’économie sociale aux xix e et au xx e siècles (Jules Leroux, Michel Chevalier, Théodore Bac, etc.). La seconde session était consacrée la mutualité. Un cadrage historique de Patricia Toucas-Truyen (CHS-Paris I) a décrit l’évolution parallèle mais divergente au xix e siècle entre, d’une part, des compagnies d’assurance prioritairement orientées vers les catégories sociales aisées détentrices de biens, et d’autre part des sociétés de secours mutuels cherchant à répondre aux besoins des travailleurs plutôt qualifiés mais dépourvus de patrimoine. Les exemples de la MGEN et de la Maif, présentés respectivement par Roland Berthilier, président de l’Esper (Economie sociale partenaire de la République), et Roger Belot, président de la Chambre française de l’ESS, ont souligné la permanence des spécificités de ces entreprises de l’économie sociale et leur double engagement, dès l’origine, dans les champs économique et sociopolitique. Des échanges sur les tendances actuelles à la convergence entre les formes d’entreprise évoquées par des responsables syndicaux ou politiques ou par des universitaires ont initié un débat autour de l’actualité des valeurs portées. La matinée s’est achevée par les réflexions croisées d’Eric Forti (Ligue de l ’enseignement 95), et de Dominique Demangel (Cedias), sur les nouvelles formes prises par l’éducation populaire, dont l’enjeu va bien au-delà des expériences particulières associatives, coopératives ou mutualistes, puisqu’il concerne la qualité et la vitalité de la démocratie. Incontestablement, l ’ouverture nécessaire pour la transmission des valeurs aux jeunes générations et dans le contexte de nouvelles formes d’engagement invite à un effort soutenu d’intelligence collective parmi les responsables de l’ESS en ce début du xxi e siècle.
L’après-midi fut l’occasion d’une ouverture internationale dans une perspective plutôt comparative. Une première présentation de Geert Van Goethem, directeur de l’Amsab-Institut d’histoire sociale de Gand (Dans le numéro 334 de la Recma figure une présentation des archives historiques des mouvements coopératif et mutualiste détenues à l’Amsab-IHS de Gand), a permis à l’auditoire de comprendre les spécificités des mouvements coopératifs et mutualistes en Belgique. Singulièrement, les auditeurs ont ainsi découvert les subtilités particulières du principe de la « liberté subsidiée » qui a structuré jusqu’à aujourd’hui les mutuelles belges selon la famille d’appartenance de leurs membres (catholique, socialiste, libérale). Un dépaysement manifeste au cœur de la République française. L’exposé de Maria-Grazzia Meriggi (université de Bergame) a expliqué ensuite l’évolution, après la Seconde Guerre mondiale, des coopératives italiennes qui avaient été laminées par le régime fasciste et qui manifestent aujourd’hui une forme de renaissance. Enfin, la communication de José-Maria Pérez de Ulrado, président du Ciriec Espagne, sur le renouveau de l’économie sociale en Espagne, a permis de relancer le débat sur la question de la transmission intergénérationnelle des valeurs. Michel Dreyfus, historien et secrétaire général du Cedias, a conclu cette journée d’étude en revenant sur la structuration historique du secteur en France et ses spécificités dans les autres pays évoqués.
Cette journée a confirmé la pertinence de la question de la transmission des valeurs au sein des mouvements de l’économie sociale et solidaire. Incontestablement, les travaux historiques doivent être amplifiés dans tous les pays et pour toutes les familles de l’ESS. Ils constituent une nécessité vitale pour les mouvements de l’ESS. En effet, s’il ne s’agit évidemment pas seulement de commémorer le passé ni d’espérer y trouver des recettes miracles, il est toujours utile d’enrichir les débats actuels à partir des questionnements et d’expériences plus anciennes. Pour autant, la logique même de l’ESS et ses principes de référence impliquent que chaque génération participe, à sa manière et pour son temps, à la construction des formes d’action collective qu’elle souhaite mais cela suppose un inventaire des héritages. Le chantier évoqué lors de cette intéressante journée d’étude reste donc devant nous.
Henry Noguès
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