Propos d’actualité et d’inactualité, 1887-1931

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« Les oeuvres de Charles Gide », vol. XII. Comité pour l’édition des œuvres de Charles Gide. Paris, L’Harmattan, 2008.
 
Avec ce douzième volume s’achève cette remarquable édition des oeuvres de Charles Gide. Il est présenté par Marc Pénin, auteur d’une biographie de l’économiste parue en 1998 en introduction de cette édition dont il fut le maître d’oeuvre soutenu par André Chomel, ancien dirigeant du Crédit coopératif et président de la fondation de cette banque.

La première partie de l’ouvrage comprend des « miettes d’actualité ». Ce sont des textes courts publiés entre 1887 et 1927 dans les revues auxquelles l’auteur avait coutume de participer : la Revue d’économie politique, qu’il avait fondée, des revues de son engagement de chrétien réformé, Le Huguenot et Foi et Vie, des publications d’intérêt général comme La Semaine littéraire et surtout L’Emancipation. L’actualité de l’époque y rejoint la nôtre : le racisme à l’encontre des travailleurs d’origine étrangère, la place du machinisme et de la technique, les rapports avec la Chine, le sens d’un nouveau siècle qui commence, la diversification des formes d’énergie, les relations avec l’Allemagne, les grèves et les problèmes sociaux, les problèmes monétaires.

La deuxième partie rassemble des contributions plus substantielles de l’économiste de Nîmes. Le premier texte date de 1888 et est intitulé « Les illusions du progrès ». Il débat d’un thème récurrent de l’auteur autour du machinisme et du sens du progrès technique, au sujet duquel il émet des doutes : « Le progrès actuel n’est pas si grand qu’on le dit ; le progrès futur n’est pas si sûr qu’on le pense » (p. 130). Ce thème sera repris après la Seconde Guerre mondiale par un autre protestant, Jacques Ellul, professeur à Bordeaux, qui s’en fera l’avocat à charge. Le deuxième texte est la traduction d’un article qui n’avait jamais paru en français et que la revue américaine Political Science Quaterly avait publié en 1890. Il traite de l’enseignement de l’économie politique en France. On est moins frappé par la critique du libéralisme des professeurs d’économie que de ce qui apparaît aujourd’hui comme le plus évident dans les difficultés de la profession, à savoir la critique du manque de dialogue entre les économistes ingénieurs et les professeurs d’économie politique des facultés de droit.
L’auteur déplore notamment que ces derniers ignorent les innovations majeures apportées au XIXe siècle par Dupuis et Cournot. Le troisième texte est un rapport à la commission d’action morale et sociale de l’Eglise protestante en 1904 et traite des sans-travail à une époque où la catégorie statistique de chômeur n’existe pas encore. Le quatrième texte de 1911 est un appel à la prise de conscience des équilibres démographiques : « Prenons garde ! A l’arrêt de la natalité correspond l’arrêt de la richesse française. » L’école française de démographie reprendra avec Landry et Sauvy cet appel dans les années 30, après la mort de Charles Gide. Trois textes traitent ensuite de la production et du profit, un autre du sionisme face à la propriété foncière et un autre encore de l’Homo oeconomicus.
Intitulé « Autour de l’économie », cet ensemble de textes n’achève pas le contenu de la deuxième partie : deux documents s’y ajoutent. Le premier regroupe dix-neuf textes sur le protectionnisme dont la publication s’étale entre 1887 et 1899. Cela fournit un panorama suggestif des débats très chauds à ce tournant de la politique économique française du libre-échange au protectionnisme. Le second document s’attache aux débuts de l’histoire de l’URSS. Comme son neveu, l’illustrissime André Gide, l’auteur a fait son voyage en Russie. Il s’y attache aux questions agricoles et agraires, à la propriété, au salariat, à la monnaie ainsi qu’aux coopératives, sans oublier de donner ses impressions sur la vie russe.
La troisième partie conclut l’ouvrage par quelques textes plus personnels qui révèlent la qualité exceptionnelle de l’homme qu’était Charles Gide. Auteur avec Charles Rist d’une Histoire des doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu’à nos jours qui a formé les économistes de ma génération, je ressens comme une oeuvre de justice la réalisation de cette édition des oeuvres de Charles Gide qui honore la valeur de sa contribution personnelle à cette histoire.
 
Hugues Puel