Pour une socioéconomie engagée. Monnaie, finance et alternatives
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Farinet (dir.), Classiques Garnier, 2018, 382 pages
Farinet est le pseudonyme utilisé par des collègues et anciens doctorants de Jean-Michel Servet, éditeurs des contributions de cet ouvrage, proposées comme hommages, mises en débat et prolongements du travail de ce dernier dans le champ de la socioéconomie.
Le nom, faisant acte d’auteur, fait référence à un faux-monnayeur valaisan des années 1870 immortalisé par le roman de Charles-Ferdinand Ramuz, Farinet ou la fausse monnaie (1932). Une longue introduction rappelle la démarche singulière de Jean-Michel Servet ainsi que les principaux concepts et objets de recherche développés et abordés par lui, justifiant la partition de l’ouvrage. Le parcours de Servet
dans la socioéconomie est retracé par Pierre Dockès, qui resitue en particulier ses travaux sur la confiance, condition du vivre-ensemble, et rappelle qu’en aucun cas le lien de confiance ne peut découler d’un calcul transactionnel ou d’avantages comparatifs, au motif que ce serait « un mode de transaction moins coûteux ou plus rentable qu’une logique opportuniste » (p. 45).
La première partie aborde le thème de la monnaie, que Jean-Michel Servet a étudié au travers de nombreux travaux, notamment sa contribution à La Monnaie souveraine (sous la direction de Michel Aglietta et André Orléan, Odile Jacob, 1998) et, plus récemment, Les Monnaies du lien (Presses universitaires de Lyon, 2012). Derrière la présentation de l’histoire de Farinet, Jérôme Blanc offre au lecteur une saisissante interprétation de l’histoire de la monnaie, des fondements de la confiance à l’origine de son acceptation et des effets qu’elle produit. Jean-Pierre Warnier relit des classiques de l’anthropologie (Annette Weiner, en l’occurrence) pour renforcer l’argumentaire de Jean-Michel Servet sur la monnaie comme commun. Josette Rivallain, enfin, illustre comment la conquête de l’Afrique a entraîné l’imposition du numéraire (p. 98).
La deuxième partie développe des contributions sur l’inclusion financière, un thème que Jean-Michel Servet a traité dans différents travaux, parmi lesquels Banquiers aux pieds nus (Odile Jacob, 2006), repris et complété, après la crise de 2008 et « l’empire de la liquidité », par La Vraie Révolution du microcrédit (Odile Jacob, 2015), et qui conduit à prolonger la réflexion sur la finance solidaire par le biais des communs. Le chapitre de Cyril Fouillet et Solène Morvant-Roux revient sur les travaux de Servet sur la microfinance et l’inclusion financière, en lien avec la financiarisation accélérée des économies domestiques dans les pays du Sud. Ils montrent comment le mouvement de l’inclusion financière dépasse celui de la microfinance en interrogeant le processus de construction étatique (p. 102) par l’utilisation, notamment au Mexique et en Inde, des infrastructures de paiement comme un réseau qui facilite une extension de la délivrance des prestations sociales (p. 111). Isabelle Guérin propose une relecture de ses travaux en Inde (Voir Guérin I., 2015, La Microfinance et ses dérives. Émanciper, discipliner ou exploiter ? Paris, IRD-Démopolis) à partir de la réinterprétation des contributions de Jean-Michel Servet à l’analyse de la double face ou de l’ambivalence de la dette, « à la fois universelle, tragique et émancipatrice » (p. 127). Hadrien Saiag dévoile comment, en Argentine, l’accès du sous-prolétariat urbain aux nouvelles formes de prestations sociales s’accompagne de l’élargissement de l’accès au crédit à la consommation, mais aussi des risques que celui-ci comporte. Enfin Eveline Baumann rappelle l’importance de l’épargne rurale dans des milieux aussi contrastés que la Géorgie ou le Mali.
Les interactions entre pratiques économiques et mobilisations politiques
Parmi les contributions de Jean-Michel Servet à une « socioéconomie engagée », Bruno Théret discute, en ouverture de la troisième partie, sa réinterprétation des principes polanyiens d’intégration économique. En excluant le don de la réciprocité afin de le remplacer par la notion de partage, emboîtant ainsi le pas à l’analyse des communs d’Elinor Ostrom (p. 202), Théret considère que Servet ouvre une piste erronée dans ses analyses de l’économie sociale et solidaire comme de la monnaie. Il faut, pour cela, remonter à la source de la réciprocité chez Karl Polanyi, que Bruno Théret assimile au mécanisme du don triadique maussien, caractérisé par la triple obligation de donner, recevoir et rendre, engendrant un enchaînement de dettes ou d’obligations mutuelles qui ne peut se réduire au marché (p. 223). Dans ce cadre, le partage et les communs sont plutôt à considérer comme l’expression d’une forme démocratique du principe d’« administration domestique » également proposé par Polanyi. Cette tension entre réciprocité et solidarité est reprise par Marlyne Sahakian à propos de l’économie de partage. Mobilisant six exemples d’initiatives en Suisse, elle montre comment certaines expériences relèvent de l’économie solidaire et d’autres de l’économie de marché concurrentielle (p. 232). Cette question est reprise par David Vallat, qui étudie les formes d’économie collaborative en analysant la manière dont celles-ci redéfinissent leurs valeurs et leurs modèles d’affaires pour intégrer la coopération dans leurs objectifs stratégiques et leurs modes d’organisation ou, à l’inverse refonder, à partir des opportunités ouvertes par Internet, un « capitalisme nétarchique » (p. 264). Sophie Swaton prolonge la question du statut de l’économie sociale et solidaire en tant qu’« alternative » au capitalisme du point de vue de la philosophie économique à partir d’une lecture du personnalisme d’Emmanuel Mounier. Celui-ci permettrait d’« affirmer que le type d’interdépendance propre au principe de réciprocité, à savoir la complémentarité fondée sur l’égalité dans la différence, constitue un modèle d’émancipation », ce qui permettrait de « se démarquer de la domination du social-business et de la ploutocratie en général » (p. 279). Ce thème des interactions entre pratiques économiques et mobilisations politiques est également repris par Isabelle Hillenkamp à propos du Brésil, conduisant l’auteure à resituer les acteurs de l’économie solidaire « dans le contexte large des luttes pour la démocratisation » (p. 295).
Enfin, la quatrième et dernière partie, proposée par André Tiran, s’intéresse aux difficultés de la traduction de textes fondateurs de l’histoire de la pensée économique et souligne l’importance de l’interprétation qu’elle sous-tend en rappelant l’exercice collectif codirigé par Jean-Michel Servet sur la traduction de La Richesse des nations d’Adam Smith (1776).
Complété par une bibliographie et différents index, l’ouvrage permet au lecteur d’apprécier la diversité des réflexions théoriques et des observations de terrain ouvertes par les travaux de Jean-Michel Servet, étayant analyses des expériences et pratiques de l’économie sociale et solidaire au Nord comme au Sud.
François Doligez, Iram