Pour son XXVII e colloque, l’Addes questionne les relations entre ESS et pouvoirs publics
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Le XXVII e colloque de l’Association pour le développement des données sur l’économie sociale (Addes) s’est tenu le 26 janvier 2017 dans les locaux de la MGEN autour du thème : « Les relations entre l’économie sociale et solidaire (ESS) et les pouvoirs publics. » Si la question des relations entre l’ESS et l’Etat a été sous-jacente dans nombre de colloques de l’Addes, notamment ceux portant sur les financements (Thème du colloque de 1986 : « Economie sociale et financements publics. ») , elle n’avait jamais été traitée per se depuis 1995. Les colloques de l’Addes constituent l’une de ces agoras incontournables où les acteurs et les chercheurs de l’ESS viennent restituer leurs expériences et les travaux menés au sein de leurs laboratoires respectifs. Selon une méthode qui a fait ses preuves depuis l’origine de l’association (Le premier colloque a eu lieu en juin 1983.) , les interventions sont discutées et enrichies en amont du colloque. La journée a été introduite par Henry Noguès, président de l’association, assisté d’Hugues Sibille, président de la Fondation du Crédit coopératif (La Fondation du Crédit coopératif est le principal mécène de l’Addes et de la Recma.) et d’Odile Kirchner, déléguée à l’ESS.
Des liens historiques étroits entre ESS et pouvoirs publics
La thématique choisie cette année se prêtait à l’approche historique. Celle-ci a fait l’objet de deux interventions de qualité dans la première session animée par Lionel Prouteau (U. Nantes). Sur le constat que les groupements de personnes ont été depuis le XIX e siècle morcelés en un ensemble d’organisations ayant chacune leur statut propre, Anne Frétel (U. Lille-1) a défendu l’hypothèse que cette partition découle d’une volonté de l’Etat de garder le monopole de l’intérêt général» et par là même de limiter la dimension politique de l’économie sociale. Cette stratégie de contention du potentiel contestataire des organisations s’est accompagnée d’une tentative d’instrumentalisation de certaines branches de l’économie sociale, comme les mutuelles, devenues des relais de l’intervention publique. Anne Frétel a constaté que la partition juridique s’est souvent faite au mépris de la multifonctionnalité eff ective des organisations. La loi de 2014 ne fait pas exception car, bien que considérant l’ESS « comme un grand tout », elle l’appréhende comme un acteur économique et non comme un acteur politique.
Olivier Chaïbi (U. Créteil) a retracé l’évolution historique du financement public de l’économie sociale. Bien que chaque période ait connu son lot de tendances divergentes exprimant une volonté d’indépendance financière à l’égard de l’Etat, son analyse historique l’amène à considérer que le financement des collectivités locales « permet d’afficher une indépendance de principe par rapport à l’Etat », mais témoigne en fait « d’une dépendance tacite à l’égard des fi nancements publics ». Observant l’évolution des relations entre l’Etat et les mutuelles de fonctionnaires, Luc Pierron (FNMF), Romain Guerry (MGEN) et Olivier Boned (MGEN, U. du Maine) ont rappelé que le concept de non-lucrativité ne s’applique pas à l’activité mutualiste dans le cadre européen. La fiscalité des mutuelles s’est alignée au fi l des ans sur celle des assurances, avec pour corollaire la disparition progressive des aides d’Etat – interdites par la réglementation européenne. Un point qu’il conviendrait de revoir pour soutenir ces organismes.
Une approche comparatiste internationale pour les associations et fondations
La seconde session, présidée par Eric Bidet (U. du Maine), privilégiait une approche comparatiste internationale. La présentation d’Edith Archambault (U. Paris-1) portait sur « Les relations entre les pouvoirs publics et les institutions sans but lucratif (ISBL) » en Italie, aux Pays-Bas, en France, en Pologne et en Allemagne. S’appuyant sur la théorie institutionnaliste des origines sociales, elle a défini quatre modèles de développement du secteur non lucratif : le modèle étatiste des pays de l’Est dont la Pologne, le modèle libéral des pays anglo-saxons, le modèle corporatiste de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la France et de l’Italie, et le modèle socio-démocrate des pays nordiques. Cependant, Edith Archambault a souligné un effacement accéléré des spécificités nationales depuis la crise de 2007 ainsi qu’une évolution de la France, d’un modèle fortement étatiste vers un modèle partenarial. D’une façon générale, les partenariats entre les ISBL et l’Etat apparaissent d’autant plus solides qu’ils sont anciens.
Laurence de Nervaux (Fondation de France) présentait une comparaison internationale de la situation très diverse des fondations européennes au regard des pouvoirs publics.
En Espagne, « les fondations prolifèrent » alors que les associations sont peu nombreuses ; les fondations françaises sont « peu dotées mais généreuses en dépenses » ; en Suède, elles bénéficient de l’appui fort des pouvoirs publics et en Allemagne d’une « générosité fléchée », via cette « part de l’impôt qui va au caritatif ». Particulièrement original est le cas de l’Italie où la loi de 1990 sur la privatisation des banques a entraîné la création de quatre-vingt-huit fondations de caisses d’épargne. Laurence de Nervaux a souligné que partout s’entrechoquent les concepts d’intérêt général, d’utilité publique et d’utilité sociale, ouvrant ainsi une piste de réflexion inspirante sur l’usage de la terminologie.
La matinée s’est conclue par la remise des prix de l’Addes par Christine Jacglin (Crédit coopératif) (voir les articles suivants de cette rubrique).
ESS, gestion des communs et collectivités locales
Cette troisième session était animée par Elisa Braley (Uniformation). S’appuyant sur l’exemple des associations d’aide à domicile dans les régions du Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes et Pays de la Loire, François-Xavier Devetter (U. Lille), Emmanuelle Puissant (U. Grenoble) et Annie Dussuet (U. Nantes) ont fait la démonstration de l’ambiguïté des pouvoirs publics locaux qui peuvent se positionner à l’égard de ces acteurs de l’ESS comme régulateurs, clients ou « employeurs cachés ». Puis, Hervé Defalvard et Geneviève Fontaine (Upem, Erudite), se plaçant au croisement des analyses de E. Ostrom et A. Sen, ont émis l’hypothèse que les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), issus de l’ESS, pouvaient constituer un troisième type de communs sociaux, à côté des communs traditionnels et des communs informationnels, même si une posture « dominatrice » des pouvoirs publics a tendance à éloigner les PTCE de leur construction en tant que communs.
Le rôle institutionnel des pouvoirs publics dans la construction et la gestion des communs en Italie a fait l’objet de deux présentations. Benedetta Celati (U. Pise) a exposé les exemples de la charte de Bologne, premier règlement local pour l’administration partagée (2014), et du « Laboratoire de Naples pour une constituante des biens communs » (2012). Daniela Ciaffi (U. Palerme) a présenté le travail entrepris par Labsus (laboratoire pour la subsidiarité) pour accompagner les initiatives menées conjointement par les pouvoirs publics et des organisations de la société civile dans une centaine de villes en Italie, et traduisant le principe de subsidiarité horizontale, introduit en 2001 dans la Constitution italienne.
La journée s’est terminée par un dialogue entre deux grands témoins de l’ESS, Yannick Blanc (Fonda) et Jean-Louis Bancel (Crédit coopératif) sur le thème de la mutation du rapport entre pouvoirs publics et société et de ses implications pour l’ESS. L’exemple des PTCE a été une nouvelle fois convoqué pour illustrer l’opportunité d’une stratégie collective entre l’ESS et un Etat qui serait à la fois régulateur, investisseur et intégrateur. Jean-Louis Bancel estime que l’ESS traverse actuellement une « crise d’infantilisme », car elle peine à « penser son autonomie ».
En dépit de la variété des approches et des aires géographiques ou sectorielles étudiées, toutes les interventions de cette journée ont convergé pour souligner la vulnérabilité de l’ESS suspendue aux financements publics (et donc à une volonté politique plus ou moins affirmée de les octroyer), l’influence croissante des pouvoirs locaux et la nécessité de démarches partenariales, dont témoigne la récurrence du terme «coconstruction » dans toutes les interventions.
Patricia Toucas-Truyen
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