Loi cadre ESS au Québec et transition écologique de l'économie : où en est-on ?
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En mars 2013, le ministre du MAMROT Sylvain Gaudreault, dépose un projet de loi, le projet de loi 27 sur l’économie sociale au nom du gouvernement du Québec. Dès lors, toutes les organisations représentant ce «tiers secteur» économique qui représente quelques 125 000 emplois et 7 à 8 % du PIB, c’est-à-dire les coopératives, les mutuelles et les associations ayant des activités marchandes, se sont affairées à produire leur mémoire en vue d’une commission parlementaire sur la question. Les organisations communautaires qui ne se considèrent pas de l’économie sociale se sont également invitées pour éviter de se faire assimiler à des entreprises si sociales qu’elles puissent être, ce qui n’est pas leur tasse de thé. L’intérêt de ce projet de loi a été cependant d’additionner différentes dynamiques d’entreprises collectives sans en négliger aucune les forçant en quelque sorte à changer d’échelle et à se positionner sur l’ensemble du Québec. Le point sur la loi 27, par Louis Favreau pour Oikos Blog.
Le projet de loi reconnaît la « biodiversité » de l’économie, autrement dit que l’économie capitaliste de marché n’occupe pas tout le champ de la « production de la richesse » et il reconnaît la pluralité et le pluralisme des organisations de représentation soit en premier lieu les deux regroupements que sont le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et le Chantier de l’économie sociale. Il considère aussi que ces entreprises coopératives, associatives et mutualistes sont plus disposées de par leurs valeurs, structures et modes de fonctionnement à développer « une forme d’économie solidaire et durable ». Position progressiste à première vue. En revanche, on ne voit pas de plan de développement poindre à l’horizon pour les années à venir. Le futur « plan d’action » prévu pour avril 2014 semble naviguer à vue.
En d’autres termes, est-ce que cette loi lorsqu’elle sera adoptée nous conduira uniquement à une meilleure reconnaissance des initiatives plus récentes de «tiers secteur», celle surtout d’associations, comme à Montréal, où on réclame des contrats d’organisations publiques (municipalité, collèges, centres hospitaliers) autour de 27 entreprises en manutention, en entretien ménager, en services informatiques….comme en fait état la récente déclaration du Comité d’économie sociale de l’île de Montréal (CESIM). C’est déjà bien mais c’est peu (que 6 sur des milliers) et c’est un peu court. L’économie sociale ne peut se réduire aux marchés publics et au développement de l’emploi dans certains services de proximité. Les pouvoirs publics se satisfont aisément de cette forme de demande et d’une réponse en pièces détachées (six organisations ici, quatre là…).
À la recherche d’un plan de développement et d’une vision
Mais il y a d’autres demandes particulièrement en régions qui vont autrement plus loin et qui engagent sur d’autres enjeux que l’emploi : celui de la transition écologique de l’économie. En d’autres termes, y aura-t-il un plan de développement qui prendra en compte les principales coordonnées stratégiques de l’économie de demain : a) l’aménagement durable des forêts et le virage de la biomasse pour alimenter les chaufferies d’institutions publiques mais aussi d’entreprises privées locales ou régionales ; b) la transition vers une économie agricole plus durable et donc moins industriellement intensive (voire écologiquement intensive) et qui privilégie le transport de marchandises par train plutôt que par camion (ce qui commande une réforme ferroviaire pour ne pas avoir d’autres Mégantic mais tel n’est pas mon propos ici) ; c) le soutien aux coopératives d’énergies renouvelables qui végètent parce qu’Hydro-Québec les a marginalisées ; écofiscalité… Et ainsi de suite.
Bref un plan de développement qui a de l’ambition comme l’a déjà proposé en 2011 et 2012 une mouvance d’organisations liées à la Caisse d’économie solidaire Desjardins et à Fondaction. De plus le plan de développement intitulé très pragmatiquement « plan d’action » qui est prévu pour avril 2014 rendra-t-il compte de la dimension internationale telle qu’avancée par certaines organisations qui cherchent à reconfigurer la coopération internationale en proposant la mise sur pied notamment d’un fonds de solidarité avec des communautés du Sud qui soit dédié, par prêts et garantis de prêts, au développement de PME collectives dans le Sud, ce qui serait une innovation sans précédent dans ce domaine qui roule depuis 40 ans quasi uniquement avec la logique du don (celui de la population et celui du financement public surtout fédéral).
Du côté des organisations, si le projet de loi sur l’économie sociale est assez explicitement une loi sur l’entrepreneuriat coopératif, associatif et mutualiste, ce qui est déjà quelque chose, ce n’est certes pas suffisant. Malheureusement le plan d’action qui s’esquisse dans les coulisses semblent assez branché sur le court terme en recoupant les doléances sectorielles d’organisations incapables de faire mouvement parce que plusieurs points de friction préexistant à la loi n’ont pas été résolu en cours de route. Mise à part que cette association entre la loi-cadre et l’appellation à une seule organisation, le Chantier, crée une confusion aux yeux du mouvement coopératif, ce que reconnaît en principe le projet de loi, les coopératives de développement régional (CDR) ont été les premières à pointer du doigt une distorsion : le CQCM est reconnu comme représentant à l’échelle du Québec mais pas les CDR au plan des régions.
Que sera la démarche qui suivra son adoption ?
La version finale du gouvernement tiendra-t-elle suffisamment compte d’une part de ces zones de friction, une avec le mouvement coopératif, l’autre avec le mouvement communautaire ? La stratégie de développement après adoption sera-t-elle autre chose qu’un ensemble de demandes sectorielles sans projet général ? C’est peut-être de ce côté qu’il faut regarder parce que c’est là que le bât blesse maintenant. Le débat semble être en bonne partie figé sur les positions antérieures des différentes familles de l’ÉS en présence révélant par là qu’on pourrait s’écarter encore un peu plus d’un horizon de mouvement au bénéfice de quelques groupes d’intérêts ayant réalisé un meilleur lobby que d’autres. Par delà les formules incantatoires de l’économie sociale qui est solidaire, démocratique, équitable et tout et tout, assisterons-nous au terme de ce projet de loi uniquement à la confirmation d’activités d’influence par des pratiques de lobby plutôt qu’à des pratiques de mobilisation sociale ?
La très grande hétérogénéité de l’économie sociale n’est pas le dernier mais le premier des problèmes de l’économie sociale. Et au Québec c’est un impensé politique qui oblige le gouvernement à ne pas tout mettre dans le même sac : qu’y a-t-il en effet de commun entre un centre de la petite enfance et une coopérative forestière, entre une OBNL en habitation et une coopérative agricole… Des valeurs communes très générales. Mais un projet politique commun sur des enjeux économiques majeurs de notre époque (urgence écologique; emprise des multinationales sur nos vies en matière d’agriculture et d’alimentation, en matière de santé, en matière d’énergie…; développement des territoires; solidarité internationale…), un projet susceptible d’aider à faire mouvement…nous n’en sommes qu’aux premiers balbutiements.
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