L’Implication citoyenne dans la recherche
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Vie sociale, n° 20, Cedias Musée Social, Erès, 2018, 259 pages
La valorisation des savoirs expérientiels, histoires de vie ou approches narratives, souvent intégrée à des recherches participatives, prend de l’ampleur depuis les années 1980. Ce succès remet en question le monopole de la recherche académique, sans pour autant la disqualifier. Les personnes concernées (usagers, bénéficiaires, habitants, citoyens ? Leur dénomination même est sujet d’analyses et de débats) sont ainsi sollicitées pour apporter leur contribution à la recherche, exprimer leurs « capabilités » réflexives et analytiques, sans que leur statut et leurs apports soient bien définis. De telles démarches prennent de multiples directions et interrogent les professionnels et les chercheurs sur leurs méthodes et leur positionnement.
La revue Vie sociale propose ainsi une réflexion sur ces savoirs expérientiels et ces nouveaux modes de recherche dans le domaine du travail social (santé mentale, handicap, addictions, etc.), dans un numéro coordonné et introduit par Ève Gardien (sociologue à l’université Rennes-2) et Marcel Jaeger (titulaire de la chaire en travail social au Cnam), tous deux membres du comité de rédaction. Ce dossier se découpe en trois parties : questions épistémologiques, expériences démocratiques, effets et pratiques.
Quels sont les contours de ces recherches-actions participatives prenant en compte les savoirs expérientiels : coconstruction du projet, articulation de savoirs d’origine diverse, consultation ou simple participation en termes de recueil de données ? Rôle annexe ou essentiel pour définir les perspectives théoriques choisies ? Les résistances et les vraies questions ne manquent pas, explique Marcel Jaeger dans un chapitre introductif, en s’appuyant sur quelques prises de position (CNRS, Fondation Sciences citoyennes, Alliance Athena, etc.). En effet, la perte d’autonomie des personnes bénéficiant d’un accompagnement social ou médico-social, par exemple, pose des questions spécifiques, alors que le travail social « est supposé acquis à l’idée d’une implication de l’ensemble des acteurs » pour développer « leur pouvoir d’agir ». Il s’agit à la fois d’associer les professionnels de l’action sociale et les personnes accompagnées afin de favoriser les « effets en retour », voire les critiques envers les chercheurs, et non une relation univoque.
Penser le travail social grâce aux savoirs expérientiels
Ève Gardien se penche sur les savoirs expérientiels promus depuis les années 1970. Ceux-ci, explique-t-elle, permettent de résoudre des difficultés pratiques, de changer des représentations, d’« alimenter des dispositions à l’empathie » et d’accroître la visibilité des situations vécues sans toujours être reconnus comme des « savoirs », car ils seraient trop pratiques et peu légitimes. Elle remet également en cause un certain dogmatisme sur ces usages. Patrick Brun, quant à lui, fait état d’un séminaire épistémologique ayant réuni ATD Quart-Monde et le Cnam en 2015-2016. Cette rencontre portait sur le croisement des savoirs dans les recherches participatives, en vue de construire un consensus et un argumentaire précis sur l’intérêt de cette démarche de recherche. Trois problématiques y ont été abordées : la nature des savoirs, les conditions du processus relationnel mis en œuvre et la validation-appropriation des travaux. Ce séminaire a débouché sur un « appel pour le développement des recherches participatives en croisement des savoirs ». Un an plus tard, une trentaine d’organismes de recherche et d’organisations de la société civile signaient la charte des sciences et recherches participatives en France. Dominique Paturel la présente dans cette livraison de Vie sociale en distinguant la recherche-action, la science-action et la recherche-intervention, avant d’interroger l’implication du chercheur.
Julien Grard, quant à lui, fait la généalogie des « narrative studies » à partir des travaux de Paul Ricœur et de leurs applications au travail social, à la formation des adultes, à la médecine et à la psychiatrie, pour finir avec la « mise à l’épreuve du chercheur ». Les auteurs analysent ensuite des exemples de programmes avec des sans-abri (Christian Laval), des usagers de drogues (Marie dos Santos), des malades mentaux (Baptiste Godrie), des parents de jeunes enfants (collectif) et des personnes accompagnées par la protection de l’enfance (Anne Rurka et Patrick Rousseau) ou en situation de handicap (Sandrine Amaré et Marielle Valran).
L’ouvrage se termine avec des réflexions sur les effets produits par de tels processus de recherche partagée, en y intégrant le témoignage d’une « survivante de la psychiatrie », « usagère-chercheure » (Anne-Laure Donskoy). Sandrine Amaré et Marielle Valran jugent ces processus « très disparates » en termes de participation, d’expertise, de visibilité ou d transformation des pratiques et des situations, voire de l’action politique.
Polarisées sur le travail social, ces réflexionssont néanmoins importantes pour la recherche en économie sociale et solidaire, qui ne peut pas considérer les acteurs comme de simples objets d’observation, des « échantillons », mais tente de s’inscrire dans des perspectives diverses de recherche-action, de recherche appliquée, de recherche-développement, etc., afin d’associer au maximum les principaux intéressés à la réflexion et à l’analyse sur leurs pratiques.
Cependant, la multitude des questions posées, des perspectives ouvertes et des analyses proposées, non synthétisées dans un chapitre conclusif, peut laisser le lecteur intéressé par la démarche un peu perplexe sur les difficultés de l’exercice et le choix des méthodes, comme sur les points de vigilance quant aux risques de détournement (vers un simple plaidoyer ou la pure critique) ou d’instrumentalisation (par les uns comme par les autres) de telles recherches.
Danièle Demoustier
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