L’ESS face à la nouvelle normalité : un colloque du Ciriec-Mexique
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Pour son premier anniversaire, la section mexicaine du Ciriec a organisé le 30 mai 2020 un colloque en ligne intitulé « Perspectivas internacionales de la Economia social y solidaria ante la nueva normalidad ». Les participants étaient invités à tirer un bilan de la crise sanitaire, économique et sociale et à s’exprimer sur les développements souhaitables de l’économie sociale et solidaire (ESS). Six mois plus tard, le sujet et son analyse par ces spécialistes de l’ESS en Espagne et en Amérique latine restent d’actualité, tandis que la locution « nouvelle normalité 2 » est entrée dans le vocabulaire international sans que la situation qu’elle est censée désigner ne soit stabilisée.
Ce colloque réunit un panel de représentants du Ciriec dans différents pays d’Amérique latine et en Espagne : Juan-Fernando Alvarez (Ciriec-Colombie), Daniel Menezes (Ciriec-Brésil), Federico Li Bonilla (Ciriec-Costa Rica), Roberto Cañedo et Juan-José Rojas(Ciriec-Mexique) et José-Luis Monzon (Ciriec Espagne). D’entrée, les différents intervenants soulignent la relation de cause à effet entre l’accélération de la destruction environnementale (notamment la raréfaction de l’habitat des animaux sauvages) et le surgissement de la pandémie de Covid-19, exprimant ainsi une préoccupation écologique qui semble curieusement avoir reculé dans le débat en France depuis le début de la crise sanitaire. Tous soulignent l’importance d’une réhabilitation du local, domaine d’excellence de l’ESS. Selon José-Luis Monzon (Espagne), l’ancrage territorial des entreprises de l’ESS plaide en faveur du renforcement des partenariats du tiers-secteur avec les pouvoirs publics pour la gestion des services publics, sanitaires et culturels. Il fait remarquer que ces entreprises ne s’installent pas là où il y a une possibilité de faire du profit, mais là où il y a des besoins sociaux non satisfaits. Il estime donc que, dans la mesure où les entreprises de l’ESS internalisent les coûts sociaux, cette internalisation devrait être compensée par l’État, car elle permet au secteur public et à la société de faire des économies.
Surmonter les impacts de la pandémie
Hormis l’Uruguay et le Costa Rica, qui bénéficient de systèmes de santé, le bilan de la gestion de la pandémie est particulièrement sombre pour les pays d’Amérique latine et ceux des Caraïbes. En un an, le pourcentage de personnes pauvres est passé de 30,3 % de la population à 33,8 %, celui de personnes en pauvreté absolue de 11 % à 13,3 % (Juan-Fernando Alvarez, Colombie), et les objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU semblent désormais inatteignables. Daniel Menezes (Brésil) se déclare pessimiste, les nécessaires mesures de quarantaine ayant accru dans cette région du monde l’extrême précarité de la masse des travailleurs informels privés de filets sociaux. Cependant, dans un contexte de transition vers « une nouvelle normalité » dont on peine encore à distinguer les contours, l’ESS peut aider à passer de l’économie informelle à l’économie formelle. Il s’agit d’un enjeu important dans les sociétés d’Amérique latine et des Caraïbes. Par ailleurs, selon Menezes, alors qu’aucune doctrine économique ne semble opérante face à ce scénario inédit de la pandémie, la flexibilité méthodologique de l’ESS lui a permis de s’adapter rapidement à la situation de crise sanitaire et de proposer des initiatives en coconstruction avec les pouvoirs publics.
Le Costa Rica se singularise par sa faible mortalité due au Covid-19, grâce à la solidité de son système de santé et à l’existence d’un État social qui, par ailleurs, aide à la création de coopératives 3 . Le chômage n’en a pas moins explosé pendant la crise sanitaire, mais aucune coopérative n’a fermé, car « les seules entreprises qui localisent le travail sont celles de l’ESS » (Federico Li Bonilla). Au Mexique également, les pratiques communautaires, l’aide mutuelle et l’activité coopérative ont permis de survivre dans des espaces micro (Juan-José Rojas). D’une façon plus générale, l’ESS en Amérique latine a hérité des antécédents historiques de la solidarité dans les communautés préhispaniques, notamment un partage du travail sur les espaces communs (tequio, mano vuelta).
La plupart des participants soulignent les nouvelles potentialités des technologies disruptives, qui constituent, selon eux, des niches pour une « démocratisation à bas coût » (Federico Li Bonilla) dont pourrait s’emparer l’ESS. José-Luis Monzón affirme ainsi que « la révolution technologique développe un espace pour les entreprises qui ne sont pas les plus intensives en capital mais les plus intensives en capital humain », ce qui pourrait se concrétiser par la création de plateformes collaboratives et la multiplication des mises en réseaux. Il préconise également la mise en œuvre d’actions pour l’introduction de l’ESS dans les programmes d’enseignement.
Les interventions convergent sur la nécessité d’une coordination internationale sur les problèmes environnementaux, migratoires et démographiques, mais aussi, parallèlement, d’un renforcement du pouvoir de la société civile face à la concentration de la gouvernance mondiale, ce qui va de pair avec une consolidation de l’ESS en tant que vecteur de démocratie économique. Plus que de proposer des « perspectives internationales », cette rencontre fournit une lecture latino-américaine des conséquences de cette crise plurielle qui aura marqué l’année 2020.
Elle offre aussi une vision de l’ESS moins normée qu’en France, et de ce fait potentiellement plus inventive dans un contexte aussi déstabilisant que celui de la pandémie.
Patricia Toucas-Truyen
Pour les hispanophones, le webinaire est accessible dans son intégralité sur le site du Ciriec international : http://www.ciriec.uliege.be/notre-reseau/sections-nationales/mexique/
(2) En Espagne, le gouvernement de Pedro Sanchez a adopté à la sortie du déconfinement le Plan para la transición hacia una nueva normalidad
(3) Retrouver doc sur reconnaissance de l’ESS au Costa Rica
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