Les mutations du monde au programme du 70 e anniversaire du Ciriec- France
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Le 26 octobre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) accueillait le Ciriec-France pour la célébration de son 70 e anniversaire. Un lieu emblématique pour le Ciriec, qui travaille à la promotion de l’économie publique et de l’économie sociale et solidaire (ESS). En ouverture de cet événement, Patrick Bernasconi, président du Cese, et Alain Arnaud, président du Ciriec-France et du Ciriec International, ont rappelé que le Cese et le Ciriec ont pour filiation commune d’avoir été présidés à leurs débuts par le syndicaliste Léon Jouhaux (1879-1954), prix Nobel de la paix en 1951.
La conférence organisée autour du thème « Mutations du monde, enjeux et défis » était animée par Catherine André, rédactrice en chef adjointe d’Alternatives économiques. Experts des politiques de santé et de la transition écologique, acteurs des politiques publiques, praticiens mutualistes et du monde associatif se sont succédé pour dresser une sorte de bilan (nécessairement sombre) de la crise sanitaire, économique, sociale et environnementale, et envisager des pistes de sortie, au niveau local, national et européen.
La plupart des interventions de cette conférence rejoignaient les analyses qui circulent dans les rencontres actuelles, notamment le fait que la pandémie a été un révélateur des inégalités sociales, un « amplificateur des fragilités existantes » (Hélène Fauvel, Cese), avec l’explosion de la pauvreté, qui menace aujourd’hui 22 millions d’Européens (Aurélie Chompret, Institut de la protection sociale européenne). La capacité de l’ESS à mieux repérer les besoins sociaux grâce à son ancrage territorial a été maintes fois soulignée. On notera d’ailleurs que, depuis le début de cette crise sanitaire, le lien au territoire est régulièrement présenté comme la première qualité de l’ESS envisagée comme un tout, alors que certaines branches ont depuis longtemps perdu ce lien. Cette vision essentialiste et homogène de l’ESS n’est guère opérationnelle. Elle peut être dépassée grâce au croisement des réflexions des chercheurs et des acteurs, qui est l’approche privilégiée au Ciriec mais aussi celle de la Recma.
Au-delà du constat communément admis d’une meilleure résilience des entreprises de l’ESS, certains participants ont formulé des propositions précises concernant le positionnement souhaitable de l’ESS dans les transformations du monde. Ainsi, selon Aurélie Chompret, l’ESS gagnerait en efficacité si la lucrativité limitée était reconnue par l’Union européenne. Pascal Michard (Macif) souligne que le modèle mutualiste se définit par une performance au service du bien commun. Déplorant que cet objectif ait disparu des politiques publiques, Jérôme Saddier estime que les statuts de l’ESS devraient « inspirer la norme », notamment en matière de démocratie économique. Il appelle les différentes branches de l’ESS à mieux coopérer entre elles et il invite l’ensemble du secteur à être plus offensif pour « se faire entendre » des pouvoirs publics. De fait, comme l’affirme Bertrand Souquet (Institut Montparnasse), « les entreprises de l’ESS sont très peu connues des cadres de l’État, qui ne les voient pas comme des entreprises solides et pérennes ».
Selon Louis Gallois, qui a dirigé de grandes entreprises publiques et présidé la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), l’articulation de l’économie publique et de l’ESS est la seule voie possible. Il s’inscrit ainsi pleinement dans la doctrine du Ciriec. Contre la fracture territoriale, il appelle au retour des services publics dans les départements dévitalisés. Pour lutter contre le fléau du chômage de longue durée, il préconise l’embauche, par les entreprises de l’ESS, de salariés effectuant des « travaux utiles mais non rentables », du fait que l’ESS, « moins exposée à la concurrence internationale, peut accepter une rentabilité plus faible ». Cette assertion mériterait d’être nuancée, car force est de constater que certains secteurs de l’ESS (notamment les mutuelles santé) subissent au contraire une telle pression concurrentielle qu’elle obère leur marge de manœuvre.
La dernière partie de la rencontre a aussi été l’occasion de revenir sur la fondation de la première section du Ciriec par Edgar Milhaud en 1947, en Suisse, où il enseignait l’économie à l’université de Genève. Collaborateur de l’Organisation internationale du travail (OIT) et militant pacifiste, Milhaud a été également un acteur important de l’Alliance coopérative internationale (ACI).
Au total, un après-midi riche de la diversité des apports, analyses et témoignages, avec pour boussole l’objectif de l’intérêt collectif, dans le sillage des fondateurs du Ciriec.
Patricia Toucas-Truyen