Les chevaliers de l’infortune. Microcrédit au Maroc : la genèse

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Lamrini Rida, Editions Marsam, Rabat, 2008,184 p.

Cet ouvrage de témoignage, au style très personnel, relate les grandes étapes de l’émergence du secteur de la microfinance au Maroc, secteur qui a reçu, en 2005, une importante reconnaissance nationale (accord-cadre avec l’Etat) et internationale (Prix du microcrédit du PNUD). Constitué d’associations, sans collecte d’épargne mais dotées de fonds de crédit par les ONG, les pouvoirs publics ou les agences de coopération, il sert en crédit plus de 40 % du public de la microfinance dans le monde arabe. Rida Lamrini a été le premier Président de la Fédération nationale des associations de microcrédit du maroc (Fnam), de 2001 à 2008 et son ouvrage permet de rétablir quelques vérités oubliées dans les reconstitutions historiques accompagnant le succès médiatique du secteur.

Un militantisme associatif relevant du « trouble à l’ordre public »

Initié au Maroc au début des années 1990, le microcrédit est un phénomène récent et a pour origine des militants des militants des Droits humains qui ont osé parler de pauvreté. « Le sujet relevait du trouble à l’ordre public » (p. 16). Surtout, ils ont osé agir, en se mettant hors la loi et cela pour des montants prêtés jugés dérisoires, en effet, « comment prétendre changer les conditions de vie des démunis avec 500 ou 1 000 DH (1) » (p. 17). En contact avec des organismes des Nations-Unies ou des ONG internationales, surtout anglo-saxonnes, le livre situe les origines de la microfinance à l’occasion d’une conférence à l’Ecole nationale d’agriculture de Meknès sur la désertification en 1992 où « le microcrédit y fut invoqué incidemment sous forme de prêts à des femmes rurales réunies dans des groupes solidaires, accordés sur 6 mois, moyennant un taux de 1 ou 1,5 %, avec une épargne obligatoire » (p. 23).

Le livre relate comment plusieurs associations - Association marocaine de solidarité et de développement (Amsed), Association marocaine des amis sans frontières (Amasf), Association Oued Srou près de Khenifra, Acaet, etc. - ouvrent les voies au secteur, malgré les oppositions de certains imams jetant parfois l’anathème sur l’argent impie ou le harcèlement de l’administration, traitant de hors-la-loi les activités de prêts au public. Le mouvement se poursuit avec l’ATIL (Association Tétouanaise d’Initiatives Socio-Laborales), l’Amap Tamwil puis la Fondep et Al Amana, cette dernière résultant d’une implication directe du Gouvernement, en particulier, du premier Ministre, et d’un don de 15 millions de dollars de l’Usaid via le Fonds public Hassan II. U

Une bipolarisation croissante

En 1999, une législation adaptée au secteur maintient la vocation sociale du microcrédit en le confiant exclusivement aux associations, mais avec le souci additionnel d’inciter à plus de professionnalisme. Les dispositions exigent une spécialisation de l’activité, la viabilité financière et la transparence des comptes (p. 52). Elle enrôle de droit les associations dans une association professionnelle nationale, la Fnam. On retrouve ainsi, dans le secteur de la microfinance, le mouvement plus large décrit par Eric Cheynis sur la transformation de l’action associative au Maroc (2).

De fait, comme l’illustre Rida Lamrini, à la fin des années 1990, « deux types d’institutions préfigurent les contours actuels du secteur, selon leur positionnement auprès des centres de pouvoir. D’un côté les pionnières. Initiées par les militants de la première heure, elles opèrent avec des moyens modestes en dehors du périmètre Rabat-Casablanca. Sans connexions politiques et administratives, elles sont à l’écart des décisions qui impactent fondamentalement leurs activités. De l’autre la vague des associations qui voient le jour durant la deuxième moitié des années 1990. Créées avec des moyens importants, [notamment la dotation du fonds Hassan II], elles sont présidées par des figures de proue de la politique ou de l’économie, étroitement connectées aux cercles du pouvoir, parfaitement informées, pour ne pas dire parties-prenantes de ce qu’aménagent  les officines de la haute administration » (p. 55).

Cette bipolarisation croissante joue sur les dynamiques du secteur. Par exemple, dans la répartition des financements publics, quel est le critère à retenir : encours de crédit ou nombre clients ? Le critère de l’encours, favorables aux associations les plus nanties, est retenu sous prétexte de l’insuffisante capacité d’absorption des petites associations ; alors que les précurseurs auraient pu renforcer leurs fonds propres et se développer avec le soutien de l’argent public.

Des difficultés d’une Fédération renforcées par les courtiers du développement

La Fnam est créée en 2001 à partir de la volonté des pouvoirs publics d’avoir un seul interlocuteur, sans s’éparpiller au milieu d’une multitude d’acteurs (p. 68). Mais sa création est laborieuse, avec un débat houleux sur les modalités de vote. Les plus grandes associations souhaitent mettre en place un vote proportionnel au nombre de clients ; alors que les autres, souhaitant une association professionnelle centrée sur les problèmes communs, défendent le principe d’une institution, une voix (p. 69).

Très vite, l’association professionnelle connait des problèmes de gouvernance que le récit décrit succinctement : élus peu assidus, se faisant représenter par des collaborateurs quitte à les contredire ultérieurement, voir à récuser les résolutions du Conseil d’administration. Des associations représentées par leur Président, d’autres par leurs directeurs, d’autres par des niveaux subalternes, à chaque fois renouvelés (p. 87). Cela n’empêchera pas l’association de se doter d’un programme ambitieux et visionnaire sur un grand nombre de dossiers : normes comptables, stratégie de refinancement, échanges d’expériences, banque de données, collecte de statistiques sur l’activité, harmonisation des rapports envoyés au Ministère des finances, lobbying en vue de faire évoluer la réglementation, sauvegarde de l’objet du microcrédit comme instrument de lutte contre la pauvreté par opposition au crédit à la consommation, formation des membres du Conseil d’administration, code de déontologie, etc. (p. 89)

Mais, faute de soutien et de moyens, ce programme peinera à se concrétiser. Dans ce registre, l’ouvrage relate le comportement opportuniste de PlaNet Finance, l’ONG fondée par Jacques Attali, « l’invité surprise ». « Les conventions signées avec des partenaires crédules, pas très au fait des arcanes qui mènent aux mannes financières, servent à ferrer les bailleurs de fonds impressionnés par les programmes de PlaNet Finance et subjugués par la faconde de ses dirigeants » (p. 108). Een bon « courtier du développement » (3), PlaNet Finance parvient néanmoins à court-circuiter la Fédération dans un programme mis en place dans le cadre d’un partenariat entre la Caisse des Dépôts et Consignation française et sa consœur marocaine, la CDG.

Sans doute, ces difficultés ne sont pas sans lien de causes à effet avec la crise d’impayés que le secteur va connaître à partir de 2007. En effet, dès 2002, la Fnam détecte qu’un problème de prêts croisés (4) commence à se poser (p. 122). Elle engage une réflexion sur un code de déontologie obligeant les associations à envoyer chaque année à la Fnam la cartographie détaillée de leurs implantations et se concerter avec ses consœurs sur le terrain. Malheureusement cet effort n’est pas complété par les instruments appropriés et, malgré les expériences pilotes d’échanges d’expériences entre associations, le projet de centrale de risques échoue alors que, là encore, PlaNet Finance a proposé une étude de faisabilité en 2003, mais rien n’a jamais suivi sur le terrain.

Concurrence au détriment des plus pauvres

Avec un secteur très concentré, où les quatre plus grandes associations servent 90 % des emprunteurs du secteur mais où 40 % de leurs clients sont engagés dans des prêts croisés, le taux de remboursement se détériore, dépassant les 30 % en mai 2009 (5). Depuis, une institution leader, Zakoura, a fusionné avec une Fondation d’origine bancaire et les rééchelonnements de crédit se poursuivent. Pour le CGAP (6), les capacités institutionnelles des associations ont été dépassées et il est vrai que les politiques de crédit, les systèmes d’information ou le contrôle interne doivent être renforcés, tout comme les systèmes de gouvernance d’associations aux pouvoirs souvent très concentrés. Mais Rida Lamrini a de bonnes raisons de rappeler que la crise de la microfinance au Maroc a également pour origine une « distorsion que les bailleurs publics et étrangers ont créé en soutenant massivement des associations au détriment d’autres. Certains qualifient à tort ces distorsions de compétition, alors que la règle première de la concurrence est le respect des règles du jeu et la fourniture des mêmes [bases] de départ […] Cette même réalité est à l’origine de l’absence de cohésion pour le développement du secteur et présente le risque de son glissement vers la course à la taille et la réduction des coûts : ce qui ne se traduirait pas forcément par une réduction des coûts pour [les] clients. Cette course risque d’éloigner [les associations de microcrédit] du segment le plus pauvres de la population, les plus petits crédits engendrant les coûts de transaction les plus élevés ! L’exemple du monde rural servi à 3 ou 4 % par rapport à ses besoins est édifiant à cet égard ! Car le microcrédit rural est coûteux avec des crédits qui se situent entre 500 et 3 000 DH » (p. 155).

 

On comprendra la faible diffusion de ce type de témoignage issu de l’expérience des acteurs de terrain et on en attend avec d’autant plus d’impatience la suite pour comprendre, à l’instar d’Eric Cheynis, comment l’association associative se construit dans la « pratique » au Maroc.

François Doligez, IRAM-Université de Rennes 1



(1) 100 dirham équivalent à 9 euros environ.

(2) Cheynis E., 2008, "L’espace des transformations de l’action associative au Maroc", Thèse de doctorat, Université Paris-1, 569 p. & annexes.

(3) En mobilisant, à l’échelle globale, la notion développée par les socio-anthropologues au niveau local.

(4) Les emprunteurs accumulent les prêts dans les différentes associations et remboursent leurs échéances en contractant de nouveaux prêts.

(5) Reille X., 2009 : The Rise, Fall, and Recovery of the Microfinance Sector in Morocco, CGAP Brief, 4 p.

(6) Groupe consultatif d’assistance aux pauvres, « club » de bailleurs de fonds publics et privés dont le secrétariat est à la Banque mondiale.