Les armuriers de l’Etat, du Grand Siècle à la globalisation (1665-1989)
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Patrick Mortal. Lille, Presses universitairesdu Septentrion, 2007, 335 pages.
L’ouvrage de Patrick Mortal, issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Lille en 2004, évoque l’histoire d’un monde professionnel méconnu, celui des arsenaux de terre. Au coeur du système industrialo-militaire encadré par l’Etat, le groupe des ouvriers apparaît comme l’acteur principal d’une épopée qui commença dans les années 1660 pour s’achever en 1989.
Evoluant de statut en statut, sous la double responsabilité des entrepreneurs détenteurs d’un monopole de fabrication et des inspecteurs soucieux de l’intérêt public, ces ouvriers qualifiés et revendicatifs expérimentent précocement la notion de protection sociale liée à l’exercice d’une profession.
Le statut de 1792 leur accorde la première retraite attribuée au personnel civil d’une entreprise, à l’âge de 50 ans après trente ans de travail au service de l’Etat. Au milieu du XIXe siècle, la « masse de secours », constituée par les cotisations ouvrières et les contributions volontaires des entrepreneurs, s’apparente à la prévoyance mutualiste encouragée par le Second Empire. Le statut de 1897 leur octroie l’avantage des soins médicaux gratuits, auquel viennent s’ajouter les dispositions de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Par ailleurs, il est possible pour un ouvrier d’accéder à une certaine promotion sociale en « faisant carrière » au sein de ce système manufacturier dont ce n’est pas la moindre particularité.
D’abord écartés comme les fonctionnaires du droit syndical en 1884, les travailleurs de l’Etat s’appuient sur un réseau amicaliste et coopératif dynamique et efficace pour obtenir des avancées. Ils développent ensuite une forme de syndicalisme plutôt réformiste et fertile en oeuvres sociales, à l’image de celui des ouvriers du livre, et ne se rapprochent de la CGT que lorsque celle-ci abandonne la voie révolutionnaire au cours des années 10. A l’approche de la Première Guerre mondiale, ils adoptent des positions pacifistes particulièrement remarquées dans ce secteur sensible, qui se retrouve d’ailleurs à l’avantgarde des grèves du printemps 1917. Au passage, l’auteur écorne le mythe d’une accélération de l’émancipation des femmes employées dans la production de l’armement pendant les hostilités, en rappelant que celles-ci ont été renvoyées dans leurs foyers à l’armistice, avec l’assentiment de syndicats réticents à l’emploi féminin.
Après la Seconde Guerre mondiale, direction et syndicats sont appelés à coopérer pour la reconversion des arsenaux vers les productions civiles, jusqu’aux grandes grèves de la fin de 1947, très suivies dans le secteur, et à l’engagement massif des ouvriers dans les mouvements pacifistes au début des années 50. Le quotidien des luttes contemporaines fait l’objet de récits détaillés, amenant parfois le lecteur à se perdre dans une chronologie malmenée par le croisement des trajectoires individuelles, des évolutions propres aux établissements et des transformations nationales du secteur de l’armement.
Si l’approche socio-biographique des ouvriers est privilégiée, cette étude constitue aussi la première synthèse sur l’industrie armurière, au carrefour de plusieurs histoires, sociale, technique, militaire et économique. A ce titre, elle ouvre de nouvelles pistes de réflexion. Par exemple, la cartographie changeante de l’implantation des établissements donne à comprendre ce que les monographies ne suffisent pas à saisir : contrairement à la plupart des autres activités manufacturières, les arsenaux dépendent avant tout d’enjeux géopolitiques qui relativisent l’importance des ressources naturelles dans leur localisation. Pour la même raison, la modernisation de l’industrie militaire apparaît comme une nécessité permanente pour l’Etat, représenté dans les manufactures par les ingénieurs-inspecteurs. Tayloristes avant l’heure, ceux-ci se sont appliqués à rationaliser les modes de travail et à homogénéiser le système de production sur tout le territoire au tournant du XXe siècle.
C’est sur un ton résolument engagé que Patrick Mortal restitue cette histoire longue d’une communauté professionnelle en voie de disparition, au sein de laquelle des notions comme « utilité publique », "sens de l’Etat" ou « conscience ouvrière « prenaient toute leur noblesse. A l’heure où la vulgate libérale dominante tend à les reléguer dans l’oubli, on peut lui savoir gré de nous livrer une étude rafraîchissante et riche d’enseignements.
Les armuriers de l’Etat, du Grand Siècle à la globalisation (1665-1989), Patrick Mortal. Lille, Presses universitairesdu Septentrion, 2007, 335 pages.
Patricia Toucas
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