L’Économie sociale et solidaire dans les territoires. Les enjeux d’une coopération d’avenir
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Raphaël Daufresne et François Rousseau, Éditions Territorial, 2021, 208 pages
Cet ouvrage est à visée explicitement pédagogique. Il est publié par un éditeur spécialisé dans les collectivités territoriales, au sein d’une collection au nom sans ambiguïté, « Dossiers d’experts », où il côtoie des titres comme Piloter la gestion des déchets. De la prévention à la tarification incitative ou Guide pratique de l’élaboration du budget. Les auteurs, Raphaël Daufresne et François Rousseau, sont formateurs et accompagnateurs de projets. Ce n’est pas leur faire injure de dire que cet ouvrage n’est pas un livre de recherche : il n’en a pas la prétention. Les lecteurs de la Recma n’y apprendront peut-être pas grand-chose sur l’économie sociale et solidaire. Alors pourquoi s’y arrêter ? Parce qu’il est représentatif d’une préoccupation croissante des collectivités territoriales vis-à-vis de l’économie sociale et solidaire, l’inverse étant également exact. En outre, ce livre est bien conçu et de qualité, et le lecteur averti de la Recma pourra toujours en conseiller la lecture aux agents territoriaux avec qui il collabore ou projette de collaborer. D’ailleurs, loin d’être purement descriptif, le propos est porteur d’une conviction en faveur de l’ESS. En se fondant sur l’action des collectivités territoriales en la matière, les auteurs cherchent à contribuer à la démultiplication du mouvement. Reprenant des propos de l’ancien ministre en charge du secteur Nicolas Hulot, ils aspirent à ce que l’ESS devienne la norme en France.
De façon didactique, le livre est structuré en trois parties : qu’est-ce que l’ESS, pourquoi la développer dans les territoires, comment la développer. Chaque partie est subdivisée en chapitres, eux mêmes segmentés en d’autres niveaux de lecture, ce qui facilite sa consultation sur l’un ou l’autre point précis. Toutefois, il ne s’agit pas d’un simple guide avec des informations pratiques, voire des recettes. C’est un outil d’aide à la réflexion, une somme de connaissances de base, de descriptions d’expériences, d’avis de témoins. Illustrons sommairement les trois axes du livre et exprimons quelques idées sur cette territorialisation de l’ESS.
La première partie est la plus familière aux lecteurs de la Recma puisqu’elle consiste en une description de l’ESS. Les auteurs apportent d’abord des éléments de compréhension sur cette notion puis sur le paysage qu’elle recouvre. Ils approfondissent ensuite deux caractéristiques de l’ESS particulièrement intéressantes : son approche renouvelée et innovante de l’économie en tant que germe d’une reconstruction du modèle dominant (l’ESS est d’ailleurs présentée comme en essor), et sa dimension territoriale.
La deuxième partie a une cohérence moins forte. En effet, tandis que son intitulé annonce un plaidoyer en faveur d’une coopération entre ESS et collectivités territoriales, son objectif avoué est moins direct : « L’objet de la présente partie est d’attirer l’attention du lecteur sur l’importance d’une approche territoriale pour faire de l’ESS un mode de développement économique et social des territoires » (p. 99). Nul doute que les auteurs soient convaincus des bienfaits de ce rapprochement, mais peut-être ont-ils craint de se départir de l’objectivité attendue par les lecteurs. Ce n’est donc que dans la dernière partie qu’ils mettent en avant la dimension de plaidoyer, en présentant l’ESS comme un puissant levier de développement des territoires. Au préalable, c’est sa prise en compte dans les politiques publiques territoriales qui est effectivement creusée : territorialité de l’ESS et politiques territoriales de soutien, principalement initiées par les collectivités elles -mêmes.
La troisième partie se rapproche davantage du modèle d’un guide en ce qu’elle délivre, quoique non explicitement, des conseils aux collectivités territoriales pour la mise en place de politiques publiques de soutien à l’ESS. Les intitulés des chapitres sont parfois trompeurs, alors que la démarche des auteurs présente une belle cohérence : mise en place d’un contexte favorable au sein des réseaux de personnes publiques et impulsion d’une société civile dynamique, ces deux éléments permettant un accompagnement fructueux des structures de l’ESS. Nous n’insistons pas sur cette notion d’accompagnement, qu’on pourra juger déjà datée, mais qui marque bien le souci d’éviter l’instrumentalisation. Le chercheur en ESS aura naturellement un regard critique dans son domaine de compétences, et la proposition d’une typologie des entreprises de l’ESS retient autant l’attention qu’elle soulève d’interrogations. Les auteurs proposent deux critères fondamentaux pour les distinguer (p. 28-29). D’une part, sur le plan économique, ces structures vont des entreprises solidaires aux entreprises sociales, « certaines s’inscrivant plus dans des formes d’économie marchande, quand d’autres s’inscrivent résolument dans des formes d’économie non marchandes et participatives ». D’autre part, concernant leur finalité, « alors que certaines ont une vocation tournée vers l’inclusion des publics les plus vulnérables et le développement social, d’autres ont une vocation plutôt orientée sur la mise en œuvre de projets d’intérêt général et le développement du territoire». Les découpages binaires sont souvent pauvres, voire trompeurs. On regrettera donc que le modèle économique soit finalement ramené à l’opposition du capitaliste et du gratuit, alors que l’ESS cherche précisément à dépasser ce clivage. Quant à l’inclusion sociale et à l’intérêt général, ces notions peinent à rendre compte de toutes les entreprises d’ESS. Il est par ailleurs frappant que cette typologie laisse totalement de côté le mode d’organisation du pouvoir dans l’entreprise, alors même que les auteurs s’y arrêtent à d’autres moments.
Laissons de côté ces maladresses et voyons ce que l’on peut conclure de ce projet éditorial. L’ESS intéresse de plus en plus les collectivités territoriales : il existe même un nombre croissant de formations consacrées à cette thématique, que ce soit dans les cursus académiques ou dans ceux destinés aux professionnels. Ce public est assez large pour justifier la production d’un livre. Est-ce si nouveau ? Souvenons- nous qu’il y a plus d’un siècle, déjà, on attendait des collectivités territoriales qu’elles réservent des marchés publics aux coopératives ouvrières pour manifester leur soutien et stimuler leur développement. Néanmoins, il est indéniable que les relations entre ESS et communes, régions ou départements et autres se sont intensifiées ces dernières décennies.
C’est le fruit de la décentralisation, d’une part, et de la prise au sérieux de l’ESS, d’autre part. Les attaques contre la mondialisation et l’amplification qu’elles ont connues avec la pandémie de covid-19 et la crise environnementale ne sont pas de nature à freiner le phénomène. Au contraire, les coopérations locales ont de beaux jours devant elles. Les chercheurs en ESS s’y intéressent, sous diverses formes : PTCE, études de politiques publiques, forme du soutien et tentation de l’instrumentalisation… Mais ces recherches sont orientées vers l’ESS et ne considèrent souvent les collectivités territoriales que de façon secondaire, médiate. Or les collectivités territoriales ont aussi besoin d’être prises comme objets d’étude…
David Hiez
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