Le souffle coopératif québécois

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Le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et l’Alliance de recherche universités-communautés Développement territorial et coopération (Aruc DTC) organisaient les 22-23 septembre 2010 une conférence internationale à Lévis sur le thème « Quel projet de société pour demain? Coopératives, mutuelles et territoires : Enjeux, défis et alternatives ». Autour de ces deux jours de débats et d’ateliers ayant réunis plus de 550 chercheurs, acteurs de la coopération (dont plusieurs membres de la Recma) et des mouvements sociaux du Canada, d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Europe, plusieurs séminaires de recherche étaient organisés, sur la coopération et le développement des territoires, sur la coopération agricole ainsi qu'un troisième à destination d’une soixantaine d’étudiants québécois et de 16 jeunes coopérateurs français ayant traversé l’Atlantique avec le soutien de l’Office franco-québécois de la jeunesse pour découvrir la vitalité coopérative de la Belle Province. Ils n’ont pas été déçus.

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Du très local au vaste monde

Cette semaine dans les environs de Québec visait plusieurs objectifs : un moment de rencontre et d’échange entre les jeunes coopérateurs français et québécois ; faire vivre et renforcer des partenariats de recherches interuniversitaires et transcontinentales ; permettre aux acteurs de la coopération et de la mutualité québécoise de réfléchir avec les représentants des mouvements sociaux à l’élaboration d’un discours politique commun ; permettre au Groupe d’économie solidaire du Québec (Gesq) de préparer la rencontre internationale de Saint-Louis (Sénégal) qui se tiendra du 1er au 5 février 2011 ainsi que sa participation au Forum social mondial prévu à Dakar du 6 au 11 février. Le rayonnement coopératif québécois, avec par exemple la Société de coopération pour le développement international s’exerce depuis longtemps.

La jeune délégation française réunie par l’entremise de la Recma, de la Fédération nationale des coopératives d’utilisation de matériel agricole et du Mouvement rural des jeunesses chrétiennes (www.mrjc.org) rassemblait des administrateurs d’une coopérative d’activité et d’emploi parisienne (www.coopaname.coop), d’une Coopérative agricole d'approvisionnement et de services du Lot (la Sicaséli), des salariées de Coop de France, de chercheurs spécialisés sur la coopération agricole, des membres des MRJC et des porteurs d’un projet de coopérative alimentaire à Toulouse. Si certains ont prolongé leur périple coopératif, la semaine fut remarquablement organisée par l’équipe du CQCM, en privilégiant les visites de coopératives à Québec, dans le secteur agricole, bancaire bien sûr avec Desjardins, mais aussi de l’habitat, de la santé, de la consommation, des médias et ce qui ne gâte rien, de nombreuses micro-brasseries coopératives…

Une structuration importante, une identité forte

Les séminaires comme les nombreux ateliers de la Conférence ont permis d’appréhender concrètement le poids et le rôle de la coopération sur ce territoire 6 fois grand comme la France mais à la densité de population très faible (à l’exception de la région de Montréal qui concentre 4 des 8 millions d’habitants de la province). Si l’existence de champions, comme Agropur, la plus grande coopérative laitière du Canada et Desjardins par exemple, ou la part du PIB réalisée par la coopération (qui regroupe beaucoup de ce qui seraient des associations 1901 ici) et la mutualité au Québec sont comparables à la situation française, la présence de ces structures dans les territoires (1) ou dans le système éducatif laissent songeur (60 coopératives scolaires contrôlées par les étudiants emploient 1600 salariés dans les cafétérias scolaires, les résidences étudiantes et trois maisons d'éditions…).

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Pour un militant de l’économie sociale française au fait de la vie et des moyens dont disposent nos instances représentatives, la rencontre avec le CQCM (l’équivalent de notre Ceges et du GNC réunis) est plus qu’impressionnante : 28 salariés ; un travail étroit avec les universités locales et internationales (mises à disposition de personnel, 35 doctorants…); la présence au conseil d’administration d’un représentant de l’Alliance des jeunes coopérateurs et mutualistes du Québec… Le travail commun et permanent du CQCM avec les représentants du gouvernement provincial permet de prendre la mesure de ce changement d’échelle, tant il est vrai qu’en Amérique tout est plus grand.

Pour Lise Jacob, responsable de la direction des coopératives au ministère du Développement économique, de l'innovation et de l'exportation, « les coopératives font mieux que l'Etat pour maintenir l’activité sur les territoires ». Ce constat a permis depuis 2003 la mise en place d’une politique partenariale avec les instances coopératives : rédaction d’une nouvelle loi pour le secteur ; création d’outils de capitalisation et de financement ad hoc (notamment un régime d’investissement coopératif ouvrant droit à un crédit d’impôt de 125 %) ; administration d’une base de données coopératives (taux de survie, capitalisation….) ; déblocage de 4,3 millions de dollars (environ 2,9 millions d’euros) pour le développement des coopératives. La mise en œuvre de cet investissement résume à elle seule le contexte : l’Etat finance, les grandes coopératives abondent pour 1,5 millions de dollars et le CQCM choisit les projets à soutenir. Ce qui conforte l’indépendance du mouvement tout en permettant à l'Etat de s'affranchir des lobbyings directement exercés par les fédérations.

Bien sûr, la réalité de l’économie sociale dans cette province du Canada est moins enchantée que ne le suggèrent ces lignes, ne serait-ce qu’en raison de la coexistence de deux droits coopératifs distincts, d’une organisation anglophone canadienne, d’une organisation canadienne francophone et d’une organisation québécoise. Reste que l’identité coopérative s’y affirme fièrement. « La coop, c’est cute » s’entend aussi bien dans la petite coopérative acéricole biologique, que chez les géants de l’agroalimentaire ou dans les coopératives de solidarités où s’autogèrent utilisateurs de salles de concerts et salariés d’un bar du quartier Saint-Roch. D’ailleurs, alors que les instances françaises discutent depuis un an de la possibilité d’un label pour les entreprises du secteur, les acteurs (fédérés ou non) de la coopération québécoise ont adopté en quelques semaines un logo « 100 % coop » à apposer sur les produits et les outils de communication des coopératives et des mutuelles. Simple et efficace, le logo se veut international.

La coopération comme alternative au capitalisme ?

Le modèle de développement économique et social poursuivi depuis la « révolution tranquille » de la fin des années 60, nationaliste, progressiste, misant beaucoup sur le rôle de l’Etat, explique que la société québécoise soit la moins inégalitaire d'Amérique du Nord. Toutefois, « ce modèle prend l’eau » explique Louis Favreau, chercheur associé à l’Université du Québec en Outaouais et l’un des grands artisans de la Conférence internationale. En cause notamment le déficit structurel de l’Etat et l’incapacité pour les organisations centralisées à profiter du bouillonnement des nouveaux mouvements sociaux, altermondialistes et écologiques, à resserrer davantage encore les liens avec les syndicats (40 % des travailleurs sont syndiqués au Québec). D’où l’idée d’inviter les autres mouvements à réfléchir dans ce contexte de crise, à questionner le modèle économique dominant et à proposer un autre « projet de société ».

La nécessité de se fixer un horizon commun renvoie aux débuts du mouvement coopératif, lorsqu’une multitude d’organisation se créait localement, en réponse à des besoins mais aussi en résistance à la brutalité du capitalisme industriel. « L’objectif est de démontrer, d’établir, qu’il y a une vie hors du capitalisme » résumait l’éditorial du Devoir (numéro des 11 et 12 septembre), journal indépendant distribué en ouverture de la Conférence internationale.

La présence de Felice Scalvini (Cecop-ACI), d’Abdou Salam Fall (Université Cheikh Anta Diop de Dakar, d’Enzo Pezzini (Confédération des coopératives italiennes), de Saïdou Ouedraogo (Réseau des Caisses populaires du Burkina Faso), de Paul Macquet (Université de Lima, Pérou) ou d’Igor Vocatch-Boldyrev du Bureau international du travail, sans parler de la délégation française (D. Demoustier, J.-F. Draperi, T. Jeantet et de nombreux chercheurs) a sans conteste donné une teinte internationale à cette manifestation, mais il est clair que la question « d’un autre projet de société » fut avant tout posée, et c’est bien normal, dans le contexte québécois.

La méconnaissance des organisations de la société civile québécoise, de leurs histoires, de leurs positionnements, rend impossible pour un observateur extérieur de se prononcer sur un éventuel rapprochement des différents mouvements sociaux à l’issu de ces deux jours de rencontre (voir le compte rendu de la conférence par le CQCM). Une chose est frappante toutefois : pour de nombreux universitaires, anciens dirigeants syndicaux comme Gérald Larose, grandes figures de la coopération comme Claude Béland qui présida aux destinées du mouvement des Caisses Desjardins, ou simple coopérateur, il n’est pas incongru au Québec de s’interroger sur le bienfondé du système capitaliste et du libéralisme économique. Comme de ce côté-ci de l’Atlantique, les conférenciers partagent un même rejet des excès de la finance. Certains ne vont pas plus loin, mais pas un atelier, pas une séance plénière ne s’est interdit d’opposer fondamentalement la coopération à la concurrence, de questionner le caractère de classe de l’actuelle puissance publique ou de se demander si tous les besoins auxquels nos organisations sont appelées à répondre doivent effectivement être satisfaits, en raison notamment de leur impact écologique ou des modes de fonctionnement peu démocratiques qu’ils supposent de mettre en œuvre.

En France comme au Québec, la coopération cherche donc sa voie, entre envie ou nécessité de sortir du capitalisme et l’obligation de survivre et de se développer dans le monde tel qu’il est organisé aujourd’hui. Il apparaît toutefois que les « cousins » ont une longueur d’avance. Pour 2012 « année internationale des coopératives » par exemple, Desjardins réfléchit à réunir les 300 plus grandes coopératives mondiales. Que se prépare-t-il ici ?

Jordane Legleye


(1) En raison du dispersement géographique et de leurs activités particulières à un territoire donnée, un tiers des coopératives ne sont pas fédérées nationalement. Elles sont alors membres d’une Coopérative de développement régional.


 

Article paru dans le numéro 318 de la Recma

www.ofqj.org