La construction du projet de loi sur l’ESS
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Le projet de loi sur l’ESS que le ministre chargé du secteur s’apprête à présenter au gouvernement, en juillet, puis au Parlement, en septembre, a eu la particularité d’être basé sur un processus très participatif : trois instances importantes (le Conseil supérieur de l’ESS [CSESS], le Conseil économique, social et environnemental [Cese] et le Contrôle général économique et financier [Cgefi, Actualité, Recma, n° 328]) ont été consultées ; plusieurs commissions du CSESS se sont réunies régulièrement et ont formulé interrogations, critiques et propositions. Par ailleurs, un fort lobbying externe des acteurs et des partenaires sociaux s’est exercé dans de nombreuses directions. Cela en fait une loi déséquilibrée composée de trente-deux articles relatifs à des dispositions communes aux différentes familles et de cinquante-trois dispositions particulières relatives à une famille spécifique.
Polarisation sur l’emploi
Elle traduit néanmoins un réel volontarisme politique de la part du ministère de l’ESS pour dynamiser l’économie sociale et solidaire et la faire changer d’échelle. Mais le projet politique explicite semble relativement pauvre, en rapport aux enjeux de société dans lesquels s’intègre l’ESS d’aujourd’hui et, surtout, de demain. Le manque d’ambition politique (qui sera peut-être corrigé par l’écriture de l’exposé des motifs que les membres du CSESS n’ont pas discuté) s’explique sans doute par la polarisation sur l’objectif de l’emploi. La volonté d’avoir une perspective inclusive pour élargir le champ et l’ouvrir à de nouveaux entrants au-delà des acteurs statutaires conduit le texte à survaloriser l’entrepreneuriat de production, en accueillant l’entrepreneuriat social sans le nommer et en mettant l’accent sur les coopératives et les structures d’insertion. Ainsi, la notion d’utilité sociale, déterminante pour définir l’apport spécifique de l’ESS à notre société, est à la fois restrictive (insertion des populations fragilisées) et très large (lien social, cohésion sociale et transition écologique), sans que la notion de participation à l’intérêt général soit abordée par quelque indicateur clé. Toutefois, les diverses consultations ont conduit le ministère a réintroduire dans la loi (dans l’article 1) et au même niveau les deux principes fondamentaux caractéristiques de l’ESS : le principe d’affectation des excédents (non-lucrativité ou lucrativité limitée et réserves impartageables) et celui de gouvernance démocratique. Ce réajustement est important, car il conforte la spécificité de l’ESS, qui sans cela aurait pu être seulement assimilée à une économie non opéable, non délocalisable du fait de réserves impartageables. La rédaction communiquée au CSESS permet de réintroduire et une finalité sociale et l’engagement particulier des parties prenantes, dont la contrepartie ne se traduit pas en enrichissement monétaire, mais en participation au pouvoir de décision.
Approche instrumentale de l’ESS
La volonté du ministre de rédiger une « loi économique » pleinement inscrite dans le champ de compétence du ministère de l’Economie et des Finances semble traduire, en l’état actuel de l’explicitation du projet, une vision réductrice de l’économie et une approche relativement instrumentale de l’ESS et peu porteuse d’une ambition politique forte. Si le projet de loi reconnaît bien au secteur sa qualité de mode d’entreprendre spécifique, se profile tout de même une vision de l’ESS considérée davantage comme amortisseur de cycles et de crise que comme germed’un modèle de développement socio-économique plus équilibré car plus démocratique et solidaire, un modèle fondé sur l’internalisation des dimensions économiques et sociales (1) et non sur de simples pondérations comme dans la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Une pleine reconnaissance de l’ESS ne viserait pas seulement à favoriser l’intégration aux marchés (du travail, des produits, de l’argent). En revanche, une vision restreinte conduit en particulier à sous valoriser le rôle sociétal des associations, basé notamment sur l’engagement collectif et la responsabilité citoyenne. De même, la participation de l’ESS aux évolutions des modes de vie (par la distribution, l’échange, la consommation…) demeure occultée, alors qu’elle rend les activités plus accessibles, plus responsables, plus solidaires, plus durables.
Repolitiser la vie quotidienne
Donner davantage d’ambition à une politique d’appui à l’ESS est possible et serait d’intérêt général. Cela permettrait à nos gouvernants de repolitiser la vie quotidienne de façon plus responsable, juste et démocratique, à l’inverse des courants extrêmes qui la politisent sur la base de la culpabilité ou de la victimisation. Le projet de loi a le grand mérite de refonder la reconnaissance de l’ESS (avec plus de force qu’à l’occasion de la création de la Délégation interministérielle à l’économie sociale [Dies]) : il actualise plusieurs statuts et installe durablement un certain nombre de moyens (tel l’accès à la commande publique, les clauses sociales, la subvention pour les associations). Il restera à répondre aux multiples attentes sur le terrain que son annonce a fait surgir. Espérons que le souffle qui inspirera l’exposé des motifs permettra de lever des préoccupations qui demeurent et de faire de cette loi un instrument dédié tout autant à l’ensemble des citoyens qu’à la catégorie des acteurs les plus concernés.
Danièle Demoustier, CSESS, Eseac
(1) Intégration et non hiérarchisation entre un développement économique qui créerait de la richesse et un développement social qui la dépenserait (par exemple le modèle fordiste). Cf. le débat sur les nouveaux indicateurs de richesse.
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