Histoires d’économie sociale et solidaire
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Jean-François Draperi
Les Petits Matins, 2017, 206 pages
En digne héritier d’Henri Desroche, Jean-François Draperi poursuit les Histoires d’économies sociales de ce dernier (Syros, 1991) par des histoires courtes sélectionnées parmi les événements qui lui semblent les plus significatifs de l’histoire bicentenaire de l’économie sociale et solidaire. Elles puisent à la fois dans le passé (les associations de maçons et de cordonniers parisiens en 1848, les pionniers de Rochdale, le familistère de Guise...), chez des auteurs emblématiques (comme Gide et Jaurès) et dans des expériences étrangères moins connues (des coopératives russes aux coopératives brésiliennes et éthiopiennes) pour terminer avec le retour aux coopérations territoriales. Ce livre rend ainsi accessible à un plus grand nombre de lecteurs certaines thèses et exemples déjà développés par l’auteur dans ses ouvrages précédents : La République coopérative (Larcier, 2012) et S’inspirer du succès des coopératives (en collaboration avec Cécile Le Corroller, Dunod, 2016).
L’introduction, originale, s’appuie sur une réflexion personnelle sur la nature et l’origine des objets quotidiens, en phase avec l’enjeu climatique actuel, qui valorise le changement de comportements individuels. Néanmoins, l’ensemble de l’ouvrage s’attache à montrer l’importance de l’organisation collective dans la production, la distribution, le crédit, etc., jusqu’à l’éducation, notamment dans sa phase d’émergence. La thèse sous-jacente penche vers la promotion des relations inter-coopératives et de nouvelles alliances sur les territoires pour leur développement, alors que les mouvements de concentration entraîneraient la faillite, à l’image des coopératives de consommation, ou la dérive des structures de l’ESS. Les « dérives » marchandes en France, étatiques dans les pays du Sud postcolonial, auraient cependant mérité des analyses un peu plus circonstanciées que les quelques pages qui leur sont consacrées, ce qui aurait pu permettre de concevoir « l’unité » au-delà du seul principe de la double qualité et du lien de proximité géographique.
L’accent est également mis sur l’importance de l’éducation : coopérative, populaire, générale... pour faire réellement vivre un projet coopératif. Il est important de le rappeler au moment où la formation gestionnaire tend à supplanter toutes les autres formes d’apprentissage.
Certains choix, cependant, peuvent être discutés : la coopération de travail est renvoyée au XIXe siècle alors qu’elle connaît un renouveau depuis les années 1970, l’auteur s’inscrivant dans la lignée gidienne de la coopération de consommation jugée d’intérêt général, donc plus « universelle » ; l’approche de la monnaie et du crédit, limitée aux monnaies locales (avec l’exemple du wir) et aux banques dites « alternatives », fait l’impasse sur toute l’histoire du mouvement bancaire coopératif ; les mutuelles sont réduites aux mutuelles d’assurances alors que l’ESS est née avec les sociétés de prévoyance ; les associations présentées se limitent principalement à l’éducation alors que le tissu associatif emploie 77 % des salariés de l’ESS.
Le format en 32 chapitres, de 2 à 10 pages chacun, peut sembler à première vue un peu « patchwork » ; il permet néanmoins de bien approcher la richesse et une certaine diversité de l’ESS, à la fois passées et actuelles, et de trouver une multitude de références fondatrices et illustratrices. Il invite à se référer à de plus amples développements si le lecteur veut approfondir la connaissance et la compréhension de telle ou telle initiative (pour cela, la bibliographie aurait pu être un peu plus étoffée).
En résumé, un petit livre pour « mettre en appétit » celles et ceux qui veulent se plonger dans une connaissance plus intime des ressorts de cette autre économie qui cherche inlassablement à promouvoir la satisfaction des besoins et l’émancipation des personnes.
Danièle Demoustier