Fin de partie. Un texte de M. Hipszman sur la finance solidaire

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Deux ans nous séparent de la faillite de la banque Lehman Brothers et déjà cet événement paraît appartenir à un passé lointain. Et pourtant qu’on se remémore l’énorme stupeur qui a frappé le monde dans les heures et les jours qui en ont suivi l’annonce. Que n’a t-on pas entendu de la bouche même de ceux qui il y a peu encore célébraient le culte du veau d’or. N’a-t-on pas entendu Alan Greespan, ancien président de la Fed, l’un de ses grands prêtres aller jusqu’à faire acte de contrition.

Dans les semaines et les mois qui ont suivi, pendant qu’une avalanche de chiffres plus énormes les uns que les autres mesurant les pertes abyssales des banques, des bourses ,des assurances et autres institutions financières réputées les plus solides de la planète défilaient sur les écrans ,remplissaient les pages des journaux, les condamnations les plus fermes des présumés coupables étaient prononcées :les banquiers sans scrupules et autres mercenaires de la finance, les agences de notation, les paradis fiscaux, les autorités de régulation négligentes ou complices, les gouvernements impuissants..Les économistes qui, sauf très rares exceptions, n’avaient su ni prévoir la crise ni donner l’alerte étaient déconsidérés et la science économique réduite à l’état de pratique divinatoire. Le grand public découvrait en même temps toutes sortes de pratiques scandaleuses, affublées de termes ésotériques, certaines parfaitement légales, d’autres frauduleuses, voire carrément criminelles, qui avaient permis aux principaux opérateurs et à beaucoup d’autres de moindre envergure des profits fabuleux

De tous ces termes anglo-saxons, il est un qui devait connaitre, ,une fortune singulière si l’on peut dire, puisque considéré comme à l’origine du cataclysme, c’est celui de « subprime » qualificatif donné à des prêts immobiliers très rémunérateurs, mais très risqués, accordés à des emprunteurs dont on pouvait savoir par avance qu’il y avait peu de chance qu’ils soient en mesure de les rembourser à l’échéance et qui transformés, packagés en produits financiers, titrisés, vendus un peu partout dans le monde, allaient contaminer les bilans des banques et institutions financières , précipiter la crise et ruiner au passage nombre d’épargnants, séduits à la perspective de gains alléchants mais peu avertis des risques encourus..C’est ce que montre de façon très convaincante le film d’un réalisateur français, récemment sorti sur les écrans, Cleveland contre Wall Street .Ce film, à travers un procès fictif démonte le mécanisme des subprime ou comment les Lehman Brothers, Goldman Sachs,Citybank, Countrywide et autres mastodontes de la finance, relayés par des intermédiaires peu scrupuleux ont su en utilisant l’aspiration des habitants d’un des quartiers les plus déshérités de Cleveland à devenir propriétaires de leurs logements ,en attendant de les en évincer plus tard ,à faire effectivement de la pauvreté une source de profit considérable.

On connaît la suite.

Des Etats Unis l’onde de choc s’est propagée à l’ensemble des places financières, provoquant dans un enchainement fatal une crise économique sans précédent, puis sous les effets conjugués de la crise et des sommes astronomiques engagées pour le sauvetage des banques et la relance de l’économie, un endettement public abyssal conduisant certains états au bord de la faillite; des politiques d’austérité drastiques venant couronner le tout et en aggravant les effets dévastateurs.

« Effervescence boursière », « Wall Street a effacé ses pertes » sont les titres qui très récemment faisaient la une des journaux. Et, en effet, les grandes banques, les places financières ont retrouvé leurs profits d’antan. Les liquidités abondent, même si les pme éprouvent toujours les mêmes difficultés à se financer. On pourrait croire que rien ne s’est passé et même si une certaine prudence reste de mise, on sent bien qu’elle n’est que provisoire.

Il serait pourtant exagéré de dire que rien n’a été fait pour conjurer le renouvellement de crises du même genre.

D’abord, le pire a été évité, grâce à la réactivité des principaux gouvernements de la planète et des institutions internationales qui se sont révélés capables d’agir de concert s’agissant du sauvetage des banques ,du renforcement de la régulation et du contrôle, notamment en ce qui concerne les risque systémiques, les exigences en matière de fonds propres, certains types d’opérations risquées ,les rémunérations des opérateurs, etc.. Tout un arsenal de mesures de régulation et de dispositifs de surveillance a été adopté aux différents niveaux international, européen et national .Ces mesures sont cependant souvent en deçà des propositions initiales et leur mise en œuvre étalées dans le temps pour des raisons techniques, mais aussi du fait de l’opposition très vive des lobbys bancaires. Cela a été le cas aux Etats unis avec la loi Dodd-Franck de réforme financière où Wall Street a dépensé plus de 350 millions € pour influencer le Congrès dans le sens de ses intérêts .C’est aussi le cas en Europe où la pression du lobby bancaire est tout aussi vive.

S’agissant enfin des mesures de relance économique, elles ont revêtu une plus ou moins grande ampleur suivant les pays sans qu’on puisse toujours mesurer leur efficacité à faire repartir la croissance, d’autant que les politiques d’austérité mises en œuvre risquent d’en contrecarrer les effets

La crise que nous venons de vivre et de laquelle nous ne sommes pas encore totalement sorti revêt par sa dimension et ses conséquences un caractère exceptionnel. Le système qui depuis un peu plus de deux siècles domine l’économie de la planète en ressort profondément ébranlé, même s’il reprend ici et là des couleurs. La crise en a révélé les ressorts profonds : appât du gain, recherche immodérée du profit, vision de court terme, caractère prédateur, qui aujourd’hui sont devenus des obstacles à une croissance équilibrée, à la réduction des inégalités les plus criantes et au bien être de l’humanité, en même temps qu’à la survie de notre planète,

La fréquence des crises, leur gravité, leur cout en terme économique mais aussi social ne permet plus de voir avec Schumpeter dans le processus de destruction-création , un facteur de progrès. Si un intervalle de près de 80 ans nous sépare de la crise de 1929 ,il y a fort à parier ,sans vouloir jouer les pythies, que la prochaine n’attendra pas aussi longtemps, d’autant que de l’avis de la plupart des observateurs les mécanismes régulateurs laborieusement mis en place sont insuffisants pour en éviter la répétition, que la fameuse effervescence des marchés chère à Alan Greenspan, aura bientôt raison de la prudence observée un temps et qu’au fond la matrice du système demeure inchangée.

Il serait vain d’attendre des efforts déployés à l’échelle planétaire (G20,FMI), à celle de l’UE ou des états, si utiles qu’ils puissent être éventuellement, afin d’éviter le renouvellement d’une crise comme celle dont nous sortons à peine, qu’ils suffisent à purger le système de ses tares

Car c’est rien moins que d’un changement radical dont il s’agit et non d’une quelconque refondation, certains disent d’une moralisation du capitalisme, un capitalisme redevenu raisonnable, si tant qu’il l’ait jamais été .C’est d’un nouveau modèle fondé sur de toutes autres valeurs, à l’exact opposé de celles qui prévalent aujourd’hui dont le monde a besoin, celles que promeut l’économie sociale.

C’est pour celle ci une formidable interpellation en même temps qu’une opportunité historique.et c’est ce qu’on entend répété à satiété depuis deux ans à chaque réunion, conférence, colloque séminaire de l’économie sociale, sur le mode incantatoire, sans qu’il y soit apporté une réponse tant soit peu audible.

Le fait que l’économie sociale n’ait pas toujours su totalement éviter les dérives aujourd’hui condamnées y a sans doute sa part.. Certaines des plus importantes institutions financières de l’économie sociale, entrainées dans une course mal maitrisée à la puissance ont en effet quelque peu perdu de vue les valeurs dont elles se réclamaient .C’est à la logique du système dans l’engrenage duquel elles se sont laissées prendre autant qu’à l’ambition personnelle ou la faiblesse de jugement de leurs dirigeants qu’elles le doivent. C’était d’ailleurs déjà le constat prémonitoire que pouvait faire 10 ans auparavant dans la RECMA David Vallat et Maurice Parodi

Ses égarements provisoires ou définitifs( ?) n’invalident pas pour autant le modèle comme le reconnaît tardivement le dirigeant de l’une des institutions qui s’y est livrée avec le plus d’entrain, dans des propos rapportés dans le Financial Times sous un titre « Mutual suspicion » suffisamment explicite pour se passer de traduction. Ce modèle pourrait, en effet, utilement inspirer le changement profond que la situation exige pour éviter de nouvelles crises de grande ampleur et au contraire assurer un développement équilibré dans le monde, la réduction des inégalités, lé bien être des populations et la mise en œuvre des solutions pour faire face aux défis écologiques.

Au reste, ce modèle n’est pas une vue de l’esprit. Il existe, il a fait ses preuves et se développe partout dans le monde, sous des formes diverses mais avec des principes communs. Il innove et se renouvelle.

Il reste certes minoritaire dans un monde longtemps et aujourd’hui encore dominé par le credo de l’économie libérale, fondé sur la toute puissance des marchés, de l’argent et la recherche exclusive du profit, mais que la crise a sérieusement ébranlé.

En témoigne, en particulier, le succès croissant de la finance solidaire. En effet, la perte de confiance d’une partie du public dans les banques et le système financier a accru l’intérêt pour les solutions alternatives et créé un climat favorable pour les institutions de la finance solidaire qui pour la plupart n’ont pas été affectées par la crise dont elles ont, au contraire, tiré profit pour développer leurs activités, accroitre leurs parts de marché et amélioré leurs résultats.

A l’œuvre depuis des décennies ,souvent regroupées en réseaux à l’échelle d’une région ,d’un pays ,d’un continent ou à celle de la planète ,ces institutions de la finance solidaire, banques sociétés ou fonds d’investissement, organismes de microcrédit, de taille et de statuts juridiques divers (souvent sous forme coopérative) fournissent toute une gamme de services financiers à des publics ,particuliers ou entreprises ayant difficilement accès aux réseaux bancaires classiques.

Elles ont en commun de privilégier l’utilité sociale et les résultats sur le long terme plutôt que la rentabilité immédiate et le profit maximum, tout en veillant à s’assurer de la viabilité des projets financés. Elles sont fréquemment investies dans des projets innovants et à forte plus value sociale et environnementale : agriculture et distribution bio, commerce équitable, énergies renouvelables, services sociaux, culturels et éducatifs, habitat collectif, soutien à la création et au développement d’entreprises de proximité en particulier sous forme coopérative ou associative.

Elles ne sont pas, par ailleurs, engagées dans des activités spéculatives ou dans des opérations offshore et ne font pas courir de risque systémique.

Certes leur part de marché est encore modeste rapportée au total des activités financières mais elle est en forte croissance.

La finance solidaire ne peut évidemment pas prétendre se substituer en totalité au modèle dominant, mais elle offre un modèle fiable et éprouvé qui exclu les pratiques dont la crise à montré le caractère dangereux.

Les évènements que nous venons de vivre s’ils marquent sans doute la fin d’une époque, marquent-ils pour autant la fin d’un système, maintes fois annoncée mais qui déjouant tous les pronostics a su faire preuve d’une résilience exceptionnelle. Sorti victorieux et formidablement renforcé de son affrontement avec le communisme, le capitalisme a pu après la chute du mur, paraître avec Francis Fukuyama notre horizon indépassable. Pourtant avec Paul Valéry nous savons que les civilisations sont mortelles, pourquoi un système économique-mais pas seulement tant il a pénétré tous les espaces –vieux seulement de deux siècles ne le serait-il pas ?

Voici en tout cas qui devrait stimuler une pensée économique encore terriblement conformiste, mais dont certains travaux, ceux d’Elinor Ostrom, Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Amartya Sen entre autres ou plus près de nous Jean Gadrey, dessinent des orientations plus prometteuses.

Dans l’immédiat et de façon très concrète cette crise est l’occasion, notamment en Europe, où l’économie sociale et solidaire joue un rôle tout à fait essentiel, et plus encore dans une période comme celle que nous traversons, de faire entendre avec force une voix longtemps ignorée, mais que la situation rend davantage audible auprès des institutions communautaires, la Commission et le parlement européens notamment, des Etats membres (Royaume Uni, France) et surtout de l’opinion publique. Dans ce sens l’interpellation de la Commission par un groupe d’universitaires, même si elle illustre en creux la faiblesse politique de l’économie sociale, constitue un bon exemple du type d’initiative qu’il faudrait multiplier à tous les niveaux politiques ,communautaires et nationaux ainsi qu’en direction des autres partenaires : syndicats, organisations de la société civiles ,notamment pour créer le rapport de force qui permettra à l’économie sociale et solidaire de cesser d’être un nain politique pour être enfin un interlocuteur reconnu à la mesure de son poids réel dans l’économie et la société.

Enfin dans un monde globalisé, c’est aussi des différentes instances du système onusien où sont discutées les questions cruciales pour notre planète qu’il faut pouvoir faire entendre la voixde l’économie sociale et solidaire. La comparaison avec l’action des ONG, même si elle se situe sur un tout autre registre et quelqu’aléatoire qu’en soient les résultats est à cet égard intéressante à plus d’un titre.

La préparation de l’année 2012, décrétée « Année Internationale des Coopératives »par l’ONU représente à cet égard une occasion historique.

Marcel Hipszman