Epargnants solidaires : une analyse économique de la finance solidaire en France et en Europe
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Pascal Glémain. PUR, septembre 2008.
Au milieu du gué d’un capitalisme financier et patrimonial déliquescent qui n’en finit pas de montrer ses faiblesses, l’ouvrage de Pascal Glémain sur la finance solidaire constitue un indispensable, à plus d’un titre.
Le défi de lier finance, solidarité et territoire
Tout d’abord, ainsi que le souligne Henry Noguès dans son propos introductif à l’ouvrage, il articule finance et solidarité. Si la démarche n’est pas nouvelle et s’inscrit pour partie dans la veine de l’ex-centre Walras de l’université de Lyon, elle s’en démarque aussi en privilégiant une approche plus économique. Son originalité est de combiner dimension économique et dimension territoriale, alternant entre facteurs de contingence et spécificités locales, d’une part, et caractérisation plus universaliste de la finance solidaire, d’autre part. Face à la crise actuelle, l’ambition de remettre la finance au coeur des solidarités et des territoires représente à la fois un enjeu et un défi, que l’ouvrage permet d’aborder même s’il n’a pas été écrit dans cette perspective. Ensuite, il lie une approche micro-économique de la finance solidaire et une approche plus macroéconomique. Cette combinaison permet à l’auteur de nous amener conjointement sur la compréhension du comportement des acteurs et sur celle du système global de la finance solidaire.
Dans cette double perspective, il distingue ainsi l’épargne éthique de l’épargne solidaire, non pour en induire la supériorité de l’une sur l’autre, mais avant tout pour mettre en évidence la diversité des dispositifs existants et leur complémentarité. Plus largement, l’auteur démontre le rôle de cette « autre » finance dans le développement économique, social et durable d’un territoire, et donc dans le développement de ce que l’on pourrait qualifier de territoires socialement responsables. Si les montants dédiés à la finance solidaire restent encore de faible ampleur, ils sont en forte augmentation et traduisent la montée de préoccupations plus altruistes en matière de finance, en réponse, mais pas seulement, aux dérives de la finance de marché. La diversité des dispositifs de finance solidaire traduit enfin une forte créativité et l’existence d’innovations financières solidaires, dont la portée reste encore à évaluer. On perçoit ainsi les efforts de l’auteur pour tenter de rendre compte des dynamiques des finances solidaires et de leurs effets économique, social et territorial. On retrouve bien ici les enjeux entêtants d’une évaluation élargie de la richesse et les limites actuelles d’une évaluation pluraliste.
Enfin, il est très documenté et étayé sur des enquêtes de terrain, des traitements de données dans la région nantaise et en Bretagne, de l’analyse de dispositifs, mais aussi d’expérimentations en Afrique. Bien évidemment, on s’interroge parfois sur les spécificités territoriales du grand ouest de la France et sur les « matrices territoriales », au sens d’Itçaina, qui permettraient de comprendre ou d’expliciter ces spécificités locales.
Il nous semble, par exemple, que le rôle du Crédit municipal est réduit en Paca et en Rhône- Alpes du point de vue de ses interactions avec les dispositifs territoriaux de finance solidaire. Si l’explicitation par la mise en évidence des dynamiques territoriales dans l’Ouest est très illustrative des caractéristiques de la finance solidaire et si le choix de deux territoires permet de diagnostiquer des spécificités, la question de la contingence reste forte. En ce sens, il serait intéressant de prolonger cette analyse par des comparaisons avec des territoires moins proches d’un point de vue géographique
Une construction pédagogique de l’ouvrage
Cet ouvrage d’un peu plus de 150 pages est construit autour de trois chapitres. Le premier permet de comprendre en quoi l’épargne solidaire est un phénomène économique, les acteurs qui en assurent le développement et le territoire de référence qui articule le local et l’Europe. L’auteur nous amène progressivement à une définition de la finance solidaire qui met l’accent à la fois sur l’hétérogénéité de ses composantes et la difficulté à distinguer épargne éthique et épargne solidaire (p. 32). On repère aussi un intéressant tableau sur les coeurs financiers solidaires, offrant un panorama rapide sur différents pays européens en différenciant la nature de l’épargne solidaire, les mécanismes de solidarité, les domaines financés et les acteurs financiers solidaires (p. 45-47). Le deuxième chapitre est consacré à l’épargnant solidaire et à sa caractérisation. L’illustration par une application de l’analyse sur les épargnants solidaires en Bretagne et pays de Loire est particulièrement stimulante. Nous relèverons ici deux des résultats obtenus. Le premier concerne l’épargnant solidaire. C’est un « épargnant entrepreneur, c’est-à-dire coproducteur de son produit d’épargne et surtout des conséquences de son usage » (p. 94). Ce résultat permet, ainsi que le souligne l’auteur, de retrouver dans la finance solidaire le principe de double qualité au fondement de l’économie sociale, tandis qu’il contribue à mettre l’accent sur l’usage des biens et des services comme étant au coeur de la production de la valeur. Le second résultat concerne le caractère non abouti du système des finances solidaires. L’illustration qu’en fait l’auteur à travers un sociogramme montrant les ruptures de lien entre banques standards et une partie des porteurs de projet, ainsi que les tensions entre épargnants solidaires et industrie bancaire, est là encore très stimulante. Cette seconde partie est très remarquablement illustrée. On ne peut que regretter que le travail de cartographie, original et pertinent, soit mal mis en valeur du point de vue éditorial.
Le troisième chapitre, dans une perspective plus stratégique, s’efforce de caractériser l’émergence d’un nouveau paysage bancaire et les relations généralement réduites entre banque et finances solidaires à l’exclusion du Crédit coopératif. L’originalité de ce troisième chapitre n’est pas tant celui de ce constat de liens distendus entre finance solidaire et finance coopérative, ou plus largement finance standard, que celui des liens entre Crédit municipal, banque méconnue, et finances solidaires. L’illustration par les dispositifs de France active (Fondes en région nantaise) permet d’expliciter le réseau nantais des finances solidaires. Plus globalement, ce dernier chapitre caractérise la division du travail entre des banques coopératives « tournées vers le développement local et l’industrialisation bancaire et les banques et financiers solidaires tournés vers les particuliers en rupture de capacités de financement et vers le développement local durable » (p. 127)
Loin d’être redondant avec les ouvrages existants, il complète utilement le remarquable ouvrage de J.-M. Servet sur la microfinance, Banquiers aux pieds nus, plus difficilement accessible en raison de sa longueur (plus de 500 pages), par une approche plus économique; il complète de même les publications d’Alternatives économiques, plus centrées sur les différents dispositifs existants (hors-série pratiques sur les placements éthiques et solidaires, régulièrement actualisés).
Nadine Richez-Battesti
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